( 52 Photos ) Au Sénégal a lieu le deuxième plus grand pèlerinage du monde musulman.

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v80), quality = 100

Au Sénégal, comme chaque année depuis 1927, a lieu le deuxième plus grand pèlerinage du monde musulman. Peu connu, il rassemble pourtant pendant trois jours près de 3,5 millions de mourides venus du monde entier pour commémorer le souvenir de cheikh Ahmadou Bamba.

Une fois encore, ils sont venus, de toute l’Afrique, de France, d’Italie et des Etats-Unis faire le voyage de Touba. Commémorer comme chaque année depuis quatre-vingt-six ans au cours du Magal (célébration en wolof), le départ pour l’exil en 1895 de cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la mouridiya, une confrérie soufie africaine.
Le 31 décembre dernier, veille de la fête, 3,5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont pris d’assaut tous les moyens de transport pour parcourir les 190 kilomètres qui séparent Dakar de Touba la sainte.
Etouffant dans des voitures surchargées, accrochés aux flancs de bus bancals ou entassés dans les bennes poisseuses de monstres rouillés, ils ont tenu plus de quinze heures dans le plus long embouteillage d’Afrique pour se rapprocher trois jours durant d’Allah et de leur cheikh, par la prière et par le chant.
L’arrivée à Touba est toujours un cauchemar. La ville de 1 million d’habitants, qui porte le nom de l’arbre sacré du paradis, disparaît à ce moment-là dans une tempête de sable, dont sortiront plus ou moins haletants 3,5 millions de visiteurs. Les camions collés les uns aux autres bloquent les avenues goudronnées. Les voitures sur les bas-côtés tentent de répondre aux ordres de policiers dépassés et des dizaines de carrioles à cheval avancent mètre par mètre, dirigées par des cochers prophétiques debout. Le désordre est tel que l’on pourrait croire que le diable l’a organisé en personne.

Boeufs et moutons seront égorgés à l’aube

Paralysé et au bord de l’asphyxie, chacun a finalement décidé de porter un masque. Seules les femmes, chics au possible, refusent jusqu’au voile et toussent en cachette. A la nuit tombée, les lampadaires confirment leur inutilité. C’est la mosquée, la deuxième plus grande du continent après celle d’al-Azhar au Caire et éclairée comme en plein jour, qui sert de repère. On tourne autour dans l’espoir de trouver ou retrouver, dans une ruelle sablonneuse, la maison d’un proche qui vous hébergera et vous nourrira pendant trois jours. Car la ville ne compte ni hôtel, ni restaurant, ni cinéma, ni café ; aucun lieu de «débauche». L’alcool et la cigarette sont bannis.
Ceux qui ont osé venir sans point de chute doivent se débrouiller en dormant dans la rue. Mais dort-on pendant les trois jours du Magal? Non. On prie, on chante, on se nourrit, on se désaltère et on parcourt sans inquiétude la ville, ballotté par la houle incessante des croyants. Même les plus démunis auront toujours de quoi manger et boire. Pour preuve, cette femme qui achète tout leur stock d’eau à des vendeurs en leur demandant de le distribuer à la foule. Ou ces hommes qui portent d’immenses plats de viande sur la tête et les déposent à même le sol pour des nécessiteux assis ou couchés entre les voitures. Des gestes cent fois répétés.
Dans les enclos des maisons des riches propriétaires, des dizaines de boeufs, moutons et chameaux attendent d’être égorgés à l’aube. Leur viande sera préparée par les femmes dans d’immenses cours-cuisines, entre la prière et l’accueil d’un oncle d’Amérique, d’un cousin d’Aulnay-sous-Bois ou d’une soeur de Milan. Certaines familles en vue hébergent jusqu’à deux cents proches. Touba la mouride est croyante, riche et généreuse comme l’a demandé Serigne Touba, l’autre nom du cheikh-marabout Ahmadou Bamba.
Né en 1853 à Mbacké-Baol, un village créé par son grand-père, Ahmadou Bamba grandit, élevé par son père Cayor Mbacké, dans le respect des lois et du Coran. Sa foi, très vite intransigeante et sereine, suscite l’admiration au point que, au décès de son père, les rois locaux recherchent son conseil. Il refuse tout assujettissement et rémunération, arguant que «le service que je rends au prophète m’interdit d’être au service des rois pour leurs largesses». Le mouridisme, ou la voie de l’imitation du Prophète, est né. En 1888, il fonde le village de Touba, où se pressent ses futurs disciples. L’autorité coloniale française ne voit pas d’un bon oeil les rassemblements de plus en plus nombreux autour du cheikh. Ahmadou Bamba est envoyé en exil au Gabon en 1895 avant de revenir sept ans plus tard au Sénégal pour un an.
Le père spirituel a refusé la Légion d’honneur

Ses adeptes l’ont attendu et lui font un triomphe, ce qui pousse le colonisateur à le renvoyer en exil en Mauritanie dès 1903 pour cinq ans. De retour au Sénégal en 1908, il demeurera en résidence surveillée dans le village de Djourbel jusqu’à la fin de sa vie. En 1919, la France croit bon de lui remettre la Légion d’honneur pour se faire pardonner. Il refuse en répondant: «Je suis un captif de Dieu et ne reconnais d’autorité que la sienne…»
En 1927, Ahmadou Bamba meurt, laissant une confrérie, la mouridiya, qui ne demande qu’à se développer. Elle tire son nom de la racine arabe arada (vouloir), qui donnera par extension mourid, celui qui veut servir Dieu. Sa doctrine se base sur quatre principes fondamentaux: la foi en Dieu, l’imitation du Prophète, l’apprentissage du Coran, et l’amour du travail. Bamba ajoutera, pour sceller sa pensée: «Travaillez comme si vous ne deviez jamais mourir et priez Dieu comme si vous deviez mourir demain.»
Les mourides seront donc croyants et travailleurs. Combien sont-ils? Heureux qui peut le dire ; 35 % des 12 millions de Sénégalais, dit-on à Touba. Après, les choses se compliquent: New York compte une importante communauté mouride dont les commerces sont regroupés dans la 116e Rue, à Harlem, connue aussi sous le nom de Little Senegal. Une communauté dynamique et sans problème qui s’est vu offrir officiellement par le maire de la ville un Mourid Cultural Day chaque 28 juillet. Ils sont aussi à Los Angeles, ainsi qu’ au Canada. En France, selon Abdoulaye Leye, président du collectif des mourides de France installé à Aulnay-sous-Bois, ils seraient «aux alentours de 11.000».
Tous reviendront le plus souvent possible à Touba.
La ville sainte bénéficie d’un statut particulier. Aujourd’hui, Touba est une communauté rurale de 74 villages gérée par 80 conseillers ruraux et leur président nommés pour cinq ans, tous issus du parti du président au pouvoir. Budget annuel: aux alentours de 2,7 milliards de francs CFA (4,2 millions d’euros). Mais rien ne s’y fait sans l’assentiment du calife général, cheikh Sidi al-Mokhtar Mbacké, 85 ans, reflet d’Ahmadou Bamba sur terre, et son septième successeur. Autorité religieuse et politique à la fois, il est le gardien du dogme et des clés de la ville. Il distribue la terre aux mourides qui en ont besoin, dès lors qu’elle servira au développement de la communauté. Il veille plus jalousement encore sur la commune de Touba, au coeur de laquelle trônent la mosquée et ses quatre minarets, dont le Lamp Fall (86,80 mètres) et, à l’intérieur, le mausolée d’Ahmadou Bamba.
On pourrait croire Touba austère et sage. Il n’en est rien. Les femmes ont des allures de mannequins et une spontanéité désarmante.
Tout le monde se retrouve sagement à la mosquée, qui ne désemplit pas. Le vendredi, jour de la grande prière qui clôture le Magal, elle reçoit plus de 7000 personnes derrière ses grilles, et on frise l’émeute à l’apparition du calife général venu conduire la prière. Les 1400 policiers du service d’ordre barrent bien quelques routes, mais ils interviennent rarement.
Deux hôpitaux accueillent les victimes de malaise ou les blessés légers. Le second a été construit par la communauté et donné en gérance à l’Etat. Les mourides ne sont pas architectes ni médecins ; ce sont des commerçants ou agriculteurs ayant fait fortune dans l’arachide. A Touba, ils ne paient pas d’impôts, ne paient pas l’eau et les taxis, pas de patente.
Entre deux prières, l’import-export fait rage. Les portables ne sont jamais coupés et, le soir, chacun finalise et signe des contrats en oubliant régulièrement de payer les taxes. Le Magal 2012 a généré 250 milliards de francs CFA (370 millions d’euros), selon Ousmane Ngom, ministre de l’Intérieur de l’ex-Président Wade. Si la communauté considère l’argent comme saint et en parle volontiers, c’est pour être libre de prier et d’honorer Dieu sans contraintes matérielles. Cette opulence lui vaut en retour critiques et médisances. Pourquoi les écoles «françaises» sont-elles interdites en ville au profit des madrasas? Pourquoi les marabouts traitent-ils aussi mal leurs talibés (étudiants en religion)? Comment sont-ils devenus si riches? Pourquoi le calife général se montre-t-il si peu transparent au sujet de sa fortune?

La plupart des mourides sont des commerçants prospères, souvent établis à l’étranger, ou des agriculteurs du Sénégal qui ont fait fortune dans la culture de l’arachide.

«Aucun homme politique ne peut se passer du soutien des mourides»

Qualifiés tour à tour de sectaires ou de fondamentalistes, les mourides préfèrent à la justification le refuge dans la maslaha (la sourde oreille).
Il n’empêche que, à toutes les élections, les hommes politiques sénégalais font le voyage de Touba. Aussi prudent que rusé, le calife général les accueille avec les mêmes égards et n’apporte son soutien officiel à personne, prônant la paix sociale, l’unité et la démocratie.
«Dans tout le pays, aucun homme politique ne peut se passer du soutien des mourides», nous avait dit, lors d’un entretien à Dakar, Abdoulaye Wade, ancien président de la République, avant de préciser dans la foulée: «A Dakar, je suis le Président ; à Touba, je reste un talibé.» Macky Sall, qui lui a succédé l’année dernière et qui est mouride lui aussi, pense rigoureusement la même chose.
Preuve de l’influence des mourides dans le monde, la présence, lors de la cérémonie de clôture du Magal aux côtés des diplomates arabes, des ambassadeurs américain, français, anglais et allemand, ainsi que d’émissaires religieux venus d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Maroc.
A la fin du discours du calife général, prononcé par son secrétaire, tous se pressent pour le saluer.
Puis, comme chaque année, Touba la sainte se vide en quelques heures. Des centaines de milliers de croyants sont à nouveau prisonniers d’embouteillages monstres, étouffant dans des voitures surchargées, accrochés aux flancs de bus bancals ou entassés dans les bennes poisseuses de monstres rouillés, mais plus déterminés que jamais à travailler comme s’ils ne devaient jamais mourir et prier comme s’ils devaient mourir demain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici