George Weah : « Le Liberia, c’est moi ! »

George Weah a été l’un des plus grands footballeurs africains, mais il dispute désormais un autre match. À nouveau candidat à la présidentielle en octobre prochain, l’ancien attaquant part favori.
La clameur se fait de plus en plus forte, et les tam-tams s’emballent : le héros de tout un peuple vient d’apparaître. Ce 28 avril, à Monrovia, George Weah, l’enfant prodige, annonce officiellement sa candidature à la présidentielle libérienne du 10 octobre. « Notre heure est venue », assure-t-il, devant une foule vêtue de tee-shirts bleus à l’effigie de son champion. Déjà candidat en 2005, puis prétendant à la vice-présidence en 2011, il avait échoué par deux fois malgré sa popularité. Dans un pays où le football fait figure de religion, l’ancien attaquant est bien plus qu’une star. « Il pense être un envoyé de Dieu », confie l’un de ses plus proches amis, Sekou Coulibaly.
Un temps, il avait songé à devenir pasteur. Mais, à 50 ans, il s’imagine messie et rêve d’accéder à la présidence de la République. Être le seul Africain à avoir remporté le Ballon d’or – récompense suprême du football mondial –, puis avoir été élu joueur africain du XXe siècle, en 1996, ne lui suffisent pas.
Footballeur, humanitaire, et candidat

Au début des années 1990, « Mister George » est au sommet de son art. À l’AS Monaco, au Paris Saint-Germain, puis à l’AC Milan, il cumule les buts miraculeux. Chaque semaine, ses accélérations font briller les yeux d’un peuple plongé dans une longue guerre civile opposant les partisans du président Samuel Doe aux rebelles conduits par Charles Taylor. Entre 1990 et 2003, au moins 150 000 personnes sont tuées au Liberia, et un million sont déplacées.
Loin de ce conflit sanglant, George Weah ne revient au pays que pour jouer avec l’équipe nationale. En 2002, après avoir manqué de peu la qualification pour la Coupe du monde, il dénonce la corruption qui ravage son pays. En représailles, les partisans de Charles Taylor, devenu président, saccagent et brûlent sa maison. « Taylor était jaloux de ma popularité », dit-il à Jeune Afrique.
Mon peuple a besoin de moi, je dois me mettre à sa disposition

L’année suivante, « Mister George » – qui avait livré un baroud d’honneur à l’Olympique de Marseille lors de la saison 2000-2001 – range définitivement ses crampons et s’engage dans l’humanitaire. Ambassadeur de bonne volonté de l’Unicef, il lance aussi une ONG œuvrant à la resocialisation par le football. « Il estime qu’il doit beaucoup à son pays, il a toujours voulu lui rendre la pareille », observe l’un de ses proches.
C’est en 2005 que l’ex-joueur vedette se lance en politique. « Un jour, il m’a dit : “Mon peuple a besoin de moi, je dois me mettre à sa disposition” », se souvient Sekou Coulibaly. Deux ans seulement après la fin de la guerre civile, George Weah crée son parti, le Congrès pour le changement démocratique (CDC), et brigue la magistrature suprême.
Dans un pays aux fractures ethniques et politiques encore profondes, il pense être le seul à même d’unir la nation. George Weah ne doute pas de sa destinée. « J’ai toujours eu confiance en moi », affirme-t-il sans sourciller. Une conviction héritée de son parcours aux allures de conte pour enfants.
Du ghetto aux belles voitures

« King George » est né à Clara Town, un bidonville de la capitale libérienne coincé entre deux bras de rivière, où l’horizon est fait de taudis de bois. Élevé par sa grand-mère, il répare des téléphones alors qu’il est encore enfant, avant d’être repéré sur le terrain fait de boue et de cailloux où il aime à jouer. « Je connais les Libériens, je sais comment ils vivent », répète-t-il désormais à l’envi.
Dans un des pays les plus pauvres au monde, venir du ghetto est un atout politique. « George Weah a très vite capté une partie du vote populaire, d’autant qu’il est un “autochtone”, estime le Béninois Maurice Mahounon, chercheur en sciences politiques.
C’est important, car depuis l’indépendance le pays reste divisé entre les Afro-Américains [descendants des esclaves affranchis venus des États-Unis], qui représentent environ 5 % de la population, mais ont presque toujours détenu les leviers du pouvoir, et les “autochtones”. »
Il a investi dans de nombreux business

Pourtant, depuis qu’il a accédé à la célébrité, George Weah a préféré installer sa famille à l’ombre des palmiers de Miami, en Floride, plutôt qu’à Monrovia. Adepte des belles voitures, l’homme a les moyens. Après avoir mis un terme à sa carrière, « il a investi dans de nombreux business », précise un membre de son entourage.
« Aux États-Unis comme en Afrique de l’Ouest, il est surtout présent dans la restauration et l’immobilier. Il avait aussi créé une entreprise d’eau minérale en Côte d’Ivoire, avant de la revendre il y a quelques années », poursuit la même source. Chaque jour, à Monrovia, des dizaines de personnes campent devant l’une de ses villas.
« Les gens attendent de se faire offrir de quoi manger », raconte un autre proche de l’ancien Ballon d’or. Ceux qui l’ont fréquenté louent sa générosité. « Lorsqu’on rentrait d’un déplacement avec le PSG, il avait l’habitude de récupérer les ­plateaux-repas dans l’avion. À l’arrivée, il les distribuait aux sans-abri », se souvient Vincent Guérin, l’un de ses anciens partenaires. « Dans les années 1990, il avait même affrété un avion pour que l’équipe nationale du Liberia puisse aller disputer un match au Zaïre [actuelle RD Congo] », abonde Sekou Coulibaly.
Soutien de Nana Akufo-Addo

En 2005, ses bonnes œuvres n’auront pas suffi à lui ouvrir les portes de Mansion House, le palais présidentiel libérien. Ce novice en politique s’est alors incliné dans les urnes face à Ellen Johnson Sirleaf, ne recueillant que 40,6 % des voix. « Dans la sous-région, nous étions plutôt soulagés.
Deux ans seulement après la fin de la guerre civile, nous étions nombreux à lui préférer Sirleaf la compétente », témoigne un diplomate qui était alors en poste en Afrique de l’Ouest. Ancienne économiste à la Banque mondiale, « Ellen » n’avait pas manqué, durant sa campagne, de souligner le manque d’expérience de son adversaire. « Les élections ont été truquées », préfère penser George Weah. « Sinon je serais déjà président », assure-t-il.
Il a travaillé plus que tous les autres et a su se dépasser

« Au départ, il n’était pas le plus talentueux, mais il a travaillé plus que tous les autres et a su se dépasser », raconte Michel Kollar, un spécialiste de l’histoire du PSG. Une méthode que l’ancien numéro neuf a adoptée pour sa ­deuxième carrière. Après avoir repris ses études, il parvient à se faire élire sénateur, en 2014. Face au fils d’Ellen Johnson Sirleaf, il l’emporte avec 78 % des voix dans la région de Montserrado, où se trouve Monrovia.
Un nouveau statut qui lui permet de multiplier les tournées en Afrique de l’Ouest. En vue de la présidentielle d’octobre, il s’est assuré du soutien de Nana Akufo-Addo, le nouveau chef de l’État ghanéen. Et son entourage affirme que des contacts existent avec l’équipe d’Alassane Ouattara, le président du puissant voisin ivoirien.
« C’est un candidat très sérieux », reconnaît Cletus Sieh, ancien ministre libérien de la Communication et soutien du vice-président Joseph Boakai, qui sera le principal concurrent de la star en octobre. « Mais il manque de maturité et d’expérience, relativise-t-il aussitôt. En tant que sénateur, il a été décevant.
Ce n’est pas un véritable homme politique. » « Il n’a pas de programme clair », déplore Maurice Mahounon, selon qui les bonnes intentions affichées – lutte contre la corruption, efforts pour la paix et l’unité nationale, relance de l’agriculture… – ne sauraient suffire. Des critiques face auxquelles « King George » conserve une confiance inébranlable : « Je suis le visage du Liberia. Le Liberia, c’est moi ! »

La star et le condamné
Sans craindre les polémiques, George Weah n’a pas hésité à lancer une coalition intégrant le Front national patriotique, l’ancien parti de Charles Taylor. Après avoir choisi Ellen Howard-Taylor, l’ex-épouse du chef rebelle, comme candidate à la vice-présidence, il s’est récemment entretenu par téléphone avec le détenu le plus célèbre du pays.
Condamné, en 2012, à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Charles Taylor est désormais incarcéré en Grande-Bretagne. « Taylor n’est pas mon ami, mais il est l’ancien président. C’est un Libérien », se défend Weah.
« Malgré l’image négative qu’il a à l’extérieur du pays, Taylor continue de peser au Liberia », explique le politologue béninois Maurice Mahounon. « George Weah lorgne cet électorat, d’autant que, dans les rangs de son parti, il compte de nombreux anciens combattants », poursuit le chercheur.
Jeune Afrique

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