Affaire Kemi Seba : sa deuxième femme, se confie

Natou, vous êtes ecrivaine, chercheuse en histoire, directrice de la structure Reines et Héroïnes d’Afrique depuis 2010 et chroniqueuse radio, mais on vous connait également pour être la deuxième femme de l’activiste panafricaniste Kemi Seba et la mère de son fils cadet. Or, suite aux derniers événements concernant l’actualité du président de l’ONG Urgences Panafricanistes, on ne vous a pas entendu vous prononcer dans la sphère médiatique, à l’exception de quelques réactions sur les réseaux. Pourriez vous nous expliquer la raison de ce retrait et de ce silence ? 

Ce retrait médiatique est volontaire et s’explique par la manière dont nous avons décidé de construire notre famille. En effet, voilà maintenant sept ans que je partage la vie de Kemi, et le Clan Seba, qui comptait déja deux petits anges, Satherou et Khonsou, nés de son union avec la soeur Etuma, s’est agrandi il y a quatre ans par la venue de notre fils cadet, Anupé. À ce jour nos enfants sont au nombre de cinq, en comptant notre aîné Imhotep et notre fille Vérona. Il faut savoir que notre famille se réfère principalement aux préceptes légués par nos ancêtres et qui exigent que chaque membre y occupe un rôle bien précis, dans le respect d’un ordre établi. Et dans ce climat délicat où le combat de Kemi prend une tournure inimaginable, le meilleur son de cloche que vous pourrez entendre sur son combat sera sans hésitation celui provenant de sa première épouse, l’institutrice et activiste panafricaniste Etuma. Notez que cette dernière a été témoin des débuts de Kemi dans l’activisme et qu’elle a embrassé le militantisme bien avant lui. Son expertise précise dans la manière de gérer cette crise d’un point de vue médiatique et politique est donc plus pertinente. Aussi, la soeur Etuma fait partie des personnes qui ont vécu les dernières mésaventures avec Kemi sur le terrain, à Dakar. Voilà plusieurs éléments qui justifient ma préférence à ce qu’elle occupe le paysage médiatique, et je la soutiens dans cette tâche qu’elle accomplit dignement. En d’autres termes, c’est pour éviter toute cacophonie médiatique et privilégier un discours harmonieux et homogène émanant de notre famille. Cette interview est donc une exception, mais j’y réponds avec plaisir.

2) Comment qualifieriez-vous, outre le rôle de compagne et de mère, le rôle que vous jouez dans le grand combat que mène Kemi Seba?

Outre ceux de compagne et de mère, mes rôles auprès de Kemi consistent à l’assister dans ce grand combat qu’il mène vaillamment pour la libération de notre continent, notamment dans les activités de l’ONG Urgences Panafricanistes, en ma qualité de chercheuse dans le département consacré à l’Histoire. J’y apporte également ma contribution sur le plan administratif.

3) Comment avez-vous vécu les récents événements de l’actualité de votre époux, à savoir son incarcération pour avoir brûlé un billet de 5000 FCFA et son expulsion du Sénégal ?

Vous savez, lorsque vous partagez la vie d’un homme tel que Kemi Seba, vous devez vous attendre à tout. J’ai toujours eu conscience que je vivais avec un homme dont les idées, que je partage évidemment pleinement, dérangent l’oligarchie occidentale à un très haut niveau. Vivre aux côtés de Kemi c’est, par exemple, être constamment suivis de policiers en civil, être placés sur écoute ou le voir gardé à la douane de longs moments lorsqu’il voyage d’un pays à un autre. Kemi n’est pourtant pas un criminel, son seul crime est de dénoncer le néo-colonialisme qui paralyse l’Afrique et empêche son avancement. L’incarcération m’a évidement révoltée, mais je savais, qu’étant une cause juste, l’issue serait en notre faveur. Et à juste titre, car la voix de Kemi c’est la voix du peuple ostracisé d’Afrique. J’ai donc été heureuse de voir que ce dernier ait tenu sa promesse en soutenant Kemi et son compagnon de détention, et en participant activement à leur libération. Quant à l’expulsion, pour ma part, elle a été vécue plus difficilement car inattendue et brutale. Je considère cela comme un acte qui relève d’une grande irresponsabilité de la part des autorités sénégalaises.

4) Quelle est aujourd’hui votre vision du Sénégal où reste encore une partie de votre famille ?

Ma vision du Sénégal, qui pour moi est une partie de l’Afrique, n’a pas changée. J’y ai vécu durant deux années et demie, alors que nous venions de nous y installer en 2011, et je garde toujours l’ image d’un pays fidèle à sa merveilleuse notion de « terranga ». Bien que loin de mes parents, je me souviens y avoir trouvé des pères et des mères qui m’ont accueillie comme si j’étais leur fille, sans oublier les nombreux frères et sœurs de cœur que je m’y suis faite. Comprenez alors que la réaction des autorités sénégalaises, en expulsant Kemi vers la France, représente pour moi un acte qui viole honteusement la notion de « terranga ». Et je réitère, Kemi n’est pas un criminel et ne devait pas être traité comme tel. Où sont passées nos valeurs africaines ? Car dans nos villages africains, le rôle des aînés a toujours été de protéger les plus jeunes. Et le rôle des pères et des mères est de protéger tous les enfants du village, sans exception, de les rassembler et non de les diviser. Or, les autorités ont failli à ce rôle en chassant un enfant d’Afrique de la terre de ses ancêtres pour le renvoyer dans la plantation des maîtres. Ils n’ont ni pensé aux enfants, ni à Etuma, et pourtant ils y vivent depuis 7 ans, ils y ont leurs amis et leurs activités. Et paradoxalement, le Sénégal se vente d’accorder à la femme et à la famille une place de choix!

4) Selon vous, quelles ont été les réelles motivations du gouvernement sénégalais pour expulser Kemi Seba de leur territoire? 

L’état sénégalais n’a fait qu’agir de concert avec la France, tout en faisant fi, pour leurs intérêts personnels et non ceux du peuple, de la grande notion de panafricanisme dont pourtant il se révendique. Kemi dénonce les méfaits du néo-colonialisme à travers la Françafrique et cela ne pouvait pas plaire aux Impérialistes, qui justement agissent avec l’aide de certains Chefs d’État africains. Je pense qu’en faisant preuve d’une telle ignominie à l’endroit de Kemi, les Impérialistes et certaines autorités sénégalaises ont simplement voulu faire de lui un « exemple de punition ». Cette situation me ramène à l’image d’un nègre marron récalcitrant qui cherche à libérer d’autres esclaves restés dans la plantation. Lorsqu’il est livré aux maîtres avec l’aide de ses propres frères, et que le maître le renvoie dans la plantation, c’est en général pour deux raisons : en finir avec lui et décourager les esclaves qui ont pour idée de fuir la plantation.

5) Sous entendez-vous , à travers cette métaphore, que d’autres représailles s’annoncent autour des activités de Kemi Seba? 

Le combat que mène Kemi depuis presque vingt ans maintenant a pris ces derniers temps un tournant décisif. Jamais depuis les prétendues indépendances, la société civile africaine ne s’était autant mobilisée pour la libération du continent. Et à travers la question du FCFA que Kemi et l’ONG Urgences Panafricanistes ont su remettre sur la place publique, suscitant d’ailleurs la vexation de certains experts sur la question car, en réalité, ils se sont révélés inefficaces à la traiter, c’est une sorte de Printemps Africain qui est lancé. Pensez-vous qu’une personne suscitant autant d’ébullition puisse être appréciée des pilleurs de l’Afrique et de ces Africains qui profitent des bienfaits que leur offre « la mangeoire »? Rappelez-vous du sort final de tous les leaders d’opinion anti- impérialistes. Allons-nous laisser l’histoire se répéter encore et encore ? Je le dis clairement et fermement: pour les Impérialistes et les traîtres de l’Afrique, Kemi Seba est plus que jamais une personne qui dérange. Mais nous ne laisserons plus faire ces gens-là. Le peuple est debout!

6) Quelles sont les conséquences de l’ expulsion de votre époux en France pour vous et pour le restant de votre famille?

Lorsque je considère cette mobilisation phénoménale et internationale des fils et filles d’Afrique autour du Front anti-FCFA, je reste confiante quant à la suite des événements. La victoire est certaine, et il nous suffira juste de prendre des décisions sages et nécessaires afin que notre famille soit reunie à nouveau, sur la terre-mère, là où le combat se mène réellement. Et en effet, le combat que mène Kemi se passe désormais sur le terrain, en Afrique, et ce, malgré qu’il continue à mobiliser les siens dans la diaspora. Par cette expulsion, les autorités sénégalaises ont manqué de réaliser qu’en arrachant brusquement Kemi du Sénégal, devant ses enfants, alors que ces derniers avaient vécu l’incarcération de leur père quelques jours à peine avant cela, ils ne faisaient qu’attiser sa soif de lutter sur le terrain. Kemi quittera très bientôt cette plantation que représente l’Occident pour piétiner à nouveau la terre de ses ancêtres qu’il chérit avec force. Et n’oublions pas que sa vie sera menacée tant qu’il restera en Europe. Pour nous, la lutte ne s’arrête donc pas à cette expulsion, bien au contraire.

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