Affaire Gadio – L’enquête du FBI de A à Z

Affaire Gadio – L’enquête du FBI de A à Z

Le journal Libération a publié dans son édition de ce mercredi le contenu des procès-verbaux de l’enquête du FBI concernant Cheikh Tidiane Gadio. Avec des dates, des échanges de mails captés et d’autres détails croustillants. Extraits. 

Résumons : l’ancien ministre des Affaires étrangères est en détention à New York depuis vendredi dernier. Un juge de Manhattan l’a placé sous mandat de dépôt pour corruption et blanchiment présumés.

Cheikh Tidiane Gadio aurait facilité le versement de pots-de-vin au Président tchadien, Idriss Déby, contre des avantages accordés dans son pays à une société chinoise désireuse d’y mener des affaires. En contrepartie, il aurait touché 400 mille dollars (plus de 200 millions de francs Cfa). Gadio nie, affirmant avoir été rétribué pour son intervention, au nom de son cabinet, dans le dossier en question.

Le juge a fixé la caution, pour lui accorder la liberté, à 1 million de dollars (plus de 600 millions de francs Cfa). Son avocat, Me Roberts Blaum, conteste la décision en proposant de verser pour son client 250 mille dollars (plus de 125 millions de francs Cfa). Verdict, ce lundi.

Comment en est-on arrivé là ?

Tout est consigné dans les procès-verbaux d’enquête du FBI, qui a mené trois ans d’investigations. Il y a des dates, des mails captés, du marchandage, des montants…

Selon le compte-rendu de Libération, qui a consulté les documents de la police fédérale américaine, l’affaire peut être circonscrite en 8 dates clés.

Dans les couloirs de l’Onu…

Octobre 2014. Chi Ping Patrick Ho et Cheikh Tidiane Gadio se rencontrent au siège de l’Onu. Le premier dirige une Ong basée à Hong Kong et en Virginie, mais il cherche à aider une compagnie pétrolière chinoise, la China national petroleum corporation (Cnpc), à reprendre ses activités au Tchad. N’Djaména avait retiré à la compagnie sa licence, décision assortie d’une forte amende, pour violation du Code de l’environnement. Le second, qui a de bons rapports avec le Président tchadien, Idriss Déby, passe pour l’homme providentiel pour faciliter le rabibochage avec le Tchad.

Ho est aux anges. « À la réunion de l’Onu, j’ai rencontré un vieil ami, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal ; il s’appelle Dr Gadio, s’enflamme-t-il dans une correspondance adressée à la Cnpc. Je l’ai rencontré en toute confiance et lui ai fait part de notre implication dans la société chinoise au Tchad et j’ai souhaité obtenir l’aide du Président (Déby) pour résoudre le problème. »

Gadio accepte la mission, contacte par téléphone Déby pour un rendez-vous et promet de rendre compte à Ho. Ce dernier souligne que la rencontre « se tiendra probablement au milieu de la semaine prochaine ».

Vers fin octobre 2014. Comme prévu, l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise rencontre le Président tchadien. Rendant compte de l’entrevue, il révèle à Ho que Déby est prêt à rendre à la Cnpc son permis contre « une aide financière secrète ou très confidentielle pour ses campagnes politiques ». Les détails de la rencontre seront versés dans un mail envoyé par Gadio à Ho et auquel est joint un document intitulé « Rapport après la rencontre avec (le Président du Tchad) ».

Il est précisé dans le « Rapport » que Déby avait prévu de recevoir la délégation chinoise à N’Djaména, mais que, sur conseil de Gadio, il a accepté d’organiser la rencontre dans un village au milieu du désert. Ce, rapporte Libération, citant le FBI, « pour (éviter) que les ennemis et les lobbyistes » leur glissent des peaux de bananes.

Gadio : «J’ai peur…»

22 octobre. Changement de plan. Patrick Ho informe Gadio que le voyage au Tchad n’est plus urgent. Le gouvernement tchadien ayant signé un accord avec la Cnpc pour la réhabiliter. Il propose à l’ancien ministre de Wade de le rencontrer à Hong Kong d’abord avant le saut à N’Djaména pour une audience avec Déby.

Dès le lendemain de cette alerte, Gadio répond sur un ton inquiet : « C’est absolument étrange… J’ai peur que quelqu’un joue contre vous ou contre moi. »

Mi-novembre. Malgré ses inquiétudes, l’ancien ministre des Affaires étrangères se rend avec Ho au Tchad. Au cours d’une audience avec Déby, celui-ci leur déroule le tapis rouge. Tout se passe comme prévu. Quelques jours plus tard, Gadio suggère à Ho, selon les enquêteurs, de « donner un bon paquet au Président ».

18 novembre. Le patron de l’Ong basée à Hong Kong et en Virginie envoie un mail à son « vieil ami » sénégalais pour le remercier de sa contribution en l’informant que, pour le remercier, la compagnie allait lui verser la somme de 100 mille dollars (un peu plus de 60 millions de francs Cfa).

De la petite monnaie !, se serait indigné le fils de Gadio, directeur de l’Institut panafricain des stratégies (Ips). Ce dernier, dans un mail intercepté par le FBI, propose à son père : « Nous devons élaborer des stratégies par rapport à ce que nous pouvons gagner dans ce marché. 300 ou 500 mille dollars, c’est raisonnable à mon avis. Je suggère que nous demandons 2% sur tous les contrats que nous leur ferons gagner. »

60 millions, de la petite monnaie

Vers décembre. Ho écrit à Déby pour l’informer du souhait de la Cncp de lui faire un don de 2 millions de dollars (plus d’un milliard de francs Cfa), comme conseillé par l’ancien ministre de Wade, selon les enquêteurs. La lettre est envoyée pour correction à Gadio. Qui reformule la correspondance, gommant toutes les aspérités pouvant gêner Déby.

La version finale de la lettre : « En sa qualité de bon ami du gouvernement et du peuple tchadiens (la Cncp) exprime son vœu sincère et son soutien au développement du Tchad. Pour ce faire, nous voudrions faire un don de 2 millions de dollars US au gouvernement du Tchad pour la création d’un fonds de développement, afin de démontrer l’amitié profonde entre nous et le Tchad. (…) Nous espérons que votre Excellence Monsieur le Président acceptera ce don au nom du gouvernement et du peuple du Tchad. »

12 janvier 2015. La lettre, réécrite, est transmise à une personne présentée par le FBI comme un ministre tchadien. Dans la foulée, rapporte Libération, Gadio demande que les 100 mille dollars prévus pour son compte soient multipliés par cinq, « étant donné, argue-t-il, que la valeur d’opportunités totale accordée à (Cncp) est de plusieurs millions de dollars ». « En outre, poursuit l’ex-chef de la diplomatie sénégalaise, il est difficile de comprendre un cadeau de 2 millions de dollars au Président et seulement 100 mille dollars à l’animateur qui a rendu tout cela possible. »

Cette requête a été envoyée le 5 février

5 février 2015. Le même jour, l’assistant de Ho informe Gadio que son appel a été entendu. Qu’il touchera finalement 400 mille dollars répartis en don pour soutenir ses activités politiques au Sénégal (100 mille dollars), en rémunération du suivi du dossier au Tchad (100 mille dollars) et en commission pour son cabinet (200 mille dollars).

L’ancien ministre des Affaires étrangères réfute les accusations de corruption et de blanchiment. Il défend avoir été rémunéré juste pour des prestations effectuées pour le compte de son cabinet.

Libération informe que Gadio fera face au juge ce mercredi. Une occasion de se montrer convaincant avec l’espoir de recouvrer la liberté en attendant un éventuel procès.

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