Avec son documentaire « Un scandale à dix milliards de dollars », la BBC a suscité l’émoi au Sénégal. Le reportage fait état d’une supposée fraude dans un contrat d’exploitation d’hydrocarbures au large du pays. Le scandale a pris des proportions inattendues avec la mise en cause du frère du Président Macky Sall dans l’attribution de ces marchés pétroliers à l’homme d’affaires australo-roumain Franck Timis.
Ce dernier a par la suite cédé ses droits au géant British Petroleum (BP) contre une promesse de rémunération exorbitante. Selon la BBC, l’opération aurait été réalisée avec le blanc-seing du frère du président, Aliou Sall. Cette affaire est toutefois portée par des acteurs politiques et médiatiques qui ont tous un intérêt personnel à ce qu’elle fasse la Une et embarrasse le Président Macky Sall. Explications.
Si les accusations de corruption qui visent M Sall vont bon train, c’est peut-être parce que la liste des personnes ayant intérêt à faire tomber le président est longue.
D’abord, il y a Ousmane Sonko, un homme politique connu pour ses sorties très virulentes contre une classe politique qu’il juge «corrompue» et « vendue aux intérêts étrangers ». Ses prises de position souverainistes, «antisystème» et populistes lui ont même valu le surnom de « Trump africain ». Du fait de ses propos pro-islamique, « on lui prête volontiers une proximité avec l’idéologie salafiste », ce qui l’a affaibli politiquement dans un pays « qui pratique à plus de 90 % un islam soufi pacifique » soulignait récemment le Monde.
De même, les deux hommes politiques qui témoignent dans le reportage de la BBC ont de bonnes raisons de vouloir que le scandale éclate.
Ainsi, Mamadou Lamine Diallo qui aurait attribué des permis d’extraction d’or à son épouse, en 1997, lorsqu’il était conseiller du Premier ministre. Une affaire bien malvenue, qu’il souhaiterait faire oublier en faisant diversion et en fabriquant une autre affaire afin de ne pas faire lui-même la Une des journaux.
L’ex Premier ministre, Abdoul Mbaye a, lui aussi, tout intérêt à ce que l’affaire Timis devienne l’affaire Sall, ayant co-signé le décret d’attribution des concessions à Frank Timis lorsqu’il était Premier ministre. Ce même document est aujourd’hui remis en question pour l’exploitation du gaz sur sur ces sites.
Enfin, tous les concurrents de BP ont également intérêt à ce qu’une affaire éclate et entache la réputation de la société britannique. Disposant également d’une expertise dans le domaine, ils n’ont jamais vraiment accepté d’être coiffés au poteau par Franck Timis. Parmi eux, on peut citer Tullow Oil qui, selon de nombreux sites d’information sénégalais et ghanéen, aurait en partie financé la campagne présidentielle… d’Ousmane Sonko, et qui aurait décidé de faire payer au gouvernement le choix de ne pas lui confier les blocs. Rappelons au passage que Tullow Oil avait dû régler une pénalité de 3 millions de dollars américains pour inexécution d’engagements contractuels pris sur le bloc Saint-Louis, ce qui peut justifier les réserves du gouvernement sénégalais à son égard.
Difficile dans ce contexte trouble de savoir ce qui relève de la fraude ou de la manœuvre politique et d’une conspiration pour renverser le pouvoir établi. La justice sénégalaise devrait faire rapidement toute la lumière sur cette affaire.
François Lamontagne