Une vidéo montrant des hommes fouetter une femme circule sur les réseaux sociaux tchadiens depuis le 16 février, bien qu’elle aurait été tournée en 2018, dans l’ouest du pays. Il s’agit d’éléments de la Garde nationale et nomade du Tchad (GNNT). D’après un journaliste tchadien ayant enquêté sur cette vidéo, cette femme a été fouettée après avoir refusé les avances de l’un d’entre eux. Une pratique loin d’être exceptionnelle selon lui.
Dans cette vidéo, on voit trois hommes fouetter une femme, qui se trouve au sol. Ils ont le visage dissimulé par un foulard et portent des vêtements de type « camouflage », mais également des vêtements « classiques » (jean, chaussures).
On les entend dire : « Ne vise pas la tête », « Pourquoi elle ne pleure pas ? Pourquoi elle ne crie pas ? » ou encore « Pourquoi tu es partie dans les bois ? Vous faîtes entrer du tramol [surnom donné à un médicament, fréquemment utilisé comme une drogue en Afrique subsaharienne notamment, NDLR] dans la ville. » La femme répond : « Non, non, je vous jure que je ne fais pas ce genre de travail. »
« Cette femme m’a dit qu’elle était restée couchée pendant six mois à la suite de ces violences »
Wal Moussa Achitela est un journaliste tchadien qui a enquêté sur cette vidéo, pour le site d’information TchadInfos.com. Il s’agit d’un pseudonyme, par crainte de représailles de la part des collègues des hommes que l’on voit sur les images.
Quand j’ai découvert cette vidéo sur les réseaux sociaux, j’ai immédiatement pensé qu’elle avait dû être tournée dans la province du Lac, en raison du sol blanchâtre et de l’aspect de l’abri que l’on voit en arrière-plan. Comme je connais bien cette zone, j’ai contacté différentes personnes sur place, pour tenter d’identifier la victime, ainsi que l’endroit où la scène s’était déroulée.
Plusieurs personnes m’ont alors renvoyé vers une femme de 28 ans : quand je l’ai appelée, elle m’a confirmé que c’était elle dans la vidéo et que la scène avait eu lieu à Tchoukou Talia, dans le département de Kaya, dans la province du Lac, il y a huit mois environ. Des habitants de cette localité m’ont d’ailleurs confirmé que c’était bien elle. Cette dernière m’a dit qu’elle était restée couchée pendant six mois à la suite de ces violences.
Elle m’a raconté que c’était des éléments de la Garde nationale et nomade du Tchad (GNNT), basés dans la localité, qui l’avaient fouettée. Pour vérifier cela, je lui ai demandé de me décrire les bérets portés par ces hommes dans cette localité, le reste du temps : elle m’a dit qu’ils étaient gris, ce qui correspond à la couleur des bérets de la GNNT. Par ailleurs, dans la vidéo, on aperçoit un véhicule dont les motifs correspondent également à la GNNT.
Cette femme m’a raconté que l’un des hommes de la GNNT avait voulu coucher avec elle, mais qu’elle avait refusé. Du coup, ils l’auraient accusée de trafic de drogues, une excuse utilisée pour la frapper, mais aussi pour la torturer dans l’eau.
Selon elle, plusieurs femmes dans la zone ont subi le même sort après avoir refusé les avances de ces hommes. Ou alors ce sont leurs maris qui sont accusés de trafic de drogues, puis emprisonnés, ce qui peut pousser les femmes à céder à leurs avances, pour qu’ils soient libérés. Moi-même, j’ai déjà entendu parler de ce genre de pratiques à plusieurs reprises dans cette zone…
Réactions en cascade
Une autre vidéo circule sur les réseaux sociaux depuis le 18 février, où l’on voit un homme présenté comme un domestique se faire tabasser par plusieurs personnes, possiblement à N’Djamena, bien que notre rédaction ne l’ait pas vérifiée.
Ces deux vidéos ont suscité l’indignation sur les réseaux sociaux et ont fait réagir l’association tchadienne Voix de la femme, ainsi que la Convention tchadienne pour la défense des droits humains.
Ces images ont également poussé les autorités à réagir. Le ministre de la Justice, Djimet Arabi, a déclaré avoir « instruit les différents parquets compétents pour que des informations judiciaires soient ouvertes pour établir les responsabilités dans ces vidéos », estimant qu’il était « inacceptable » que de telles violences puissent se produire au Tchad : « Les auteurs […] doivent répondre de leurs actes devant les juridictions. » Le procureur général de N’Djamena a d’ailleurs confirmé que le ministre avait donné des instructions pour que des enquêtes judiciaires soient ouvertes. Enfin, le procureur de Bol, le chef-lieu de la province du Lac, a indiqué à RFI que les hommes dans la vidéo avaient été identifiés comme appartenant à la GNNT.
Fin décembre, une autre vidéo montrant un homme être torturé à mort, sous la supervision d’un colonel de police, avait également circulé sur les réseaux sociaux. Il avait ensuite été arrêté.
france24