Viber, Skype, WhatsApp ou Imo, ces applications foisonnent dans les téléphones mobiles des Sénégalais qui se réjouissent de passer des appels gratuitement dès lors qu’ils disposent du NET. Mais cet engouement est loin d’être partagé par les opérateurs de téléphonie. Chaque année, ces applications leur causent un préjudice de plusieurs milliards, ainsi qu’à l’État.
Viber, Skype, WhatsApp ou Imo : elles sont nombreuses ces nouvelles applications qui permettent de communiquer sans bourse délier quand on dispose d’une connexion internet. Dépeintes comme des pirates par certains opérateurs, ces sociétés Over the top (Ott) (ou service par contournement) sont l’objet de plaintes récurrentes des opérateurs de téléphonie du Sénégal, par rapport aux pertes de chiffres d’affaires qu’entraîne l’exercice de leur activité. Une situation qui a poussé l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) à lancer une étude. Selon M. Seyni Faty, directeur de l’Économie et des marchés de l’Artp, une réflexion est en cours pour voir comment réguler ces Ott qui sont en réalité des sociétés de services de livraison d’audio, de vidéos et d’autres médias sur internet, sans la participation d’un opérateur de réseau traditionnel dans le contrôle ou la distribution du contenu et qui ne reversent rien à ces opérateurs historiques.
Le service de communication de la Sonatel, interpellé sur la question, souligne que « les Ott, avec leur modèle économique, génèrent des revenus considérables en s’appuyant sur nos infrastructures, sans contrepartie pour les opérateurs détenteurs de licence et les États à qui ils ne reversent pas un seul centime pour le trafic terminé sur les réseaux installés sur leur territoire ». Bien que le préjudice subi n’ait pas encore été évalué, Sonatel fait état « de plusieurs centaines de milliards ». Un préjudice qui concerne aussi bien les opérateurs que l’État du Sénégal.
Au cours d’un séminaire de formation de l’Artp en direction du Réseau des journalistes en Tic (Rejotic) tenu le week-end dernier à Saly, M. Fati est revenu sur l’épisode du blocage d’une de ces applications par un opérateur il y a quelques mois. Sans exprimer de certitudes, M. Faty indique que l’Artp a eu à mettre en demeure l’opérateur. « Il n’y a pas eu de certitudes, mais il y a eu des suspicions comme quoi il avait bloqué ces applications », indique-t-il. Cet épisode est venu s’ajouter à d’autres indications pour renforcer la conviction de l’Artp sur la nécessité de mettre en place un encadrement de l’activité des Ott.
Ainsi, explique Seyni Faty, un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir sur l’impact de ces sociétés Over the top (Ott). « Les opérateurs se sont beaucoup plaints à l’État et au régulateur parce que les populations utilisent de plus en plus cela et que c’est une perte de revenus pour eux au niveau du trafic international. Lorsque vous appelez un parent qui est à l’étranger, vous passez par Viber parce que c’est gratuit. Si vous avez internet tous les deux, c’est gratuit pour vous. Sauf que cela vient diminuer le chiffre d’affaires des opérateurs sur le trafic international. Ils ne gagnent plus d’argent comme ils le faisaient avant. »
Un préjudice de plusieurs centaines de milliards
L’expert note ainsi comme principale conséquence une baisse sur le chiffre d’affaires des opérateurs. Et même les caisses de l’État se trouvent lésées parce que ces prestataires ne paient aucune taxe et ne disposent pas d’une licence de téléphonie. Selon M. Faty, les Ott qui génèrent du trafic et du volume favorisent même des congestions sur les réseaux des opérateurs sans que l’on puisse savoir qui est en cause. Au Sénégal, l’utilisation de ces canaux de communication explique la baisse régulière du volume des appels sur l’international. Entre 2010 et 2014, ce volume est passé de 4,15 % à 2,24 %.
Au plan international, certains n’hésitent pas à qualifier les Ott de pirates. Et des mesures sont déjà prises dans certains pays pour limiter leurs activités. C’est le cas en France où Skype a été sommé de se déclarer en tant qu’opérateur. « Au Sénégal, on n’est pas dans ce cas parce qu’on considère que quand quelqu’un utilise internet, il a déjà payé sa prestation et il peut utiliser n’importe quelle application. Mais comme les opérateurs doivent vivre aussi dans un cadre concurrentiel et avoir un retour sur investissement, il faut qu’on voie comment gérer l’impact de ces Ott sur les opérateurs », explique M. Faty. Pour sa part, Sonatel propose « un accompagnement règlementaire pour impliquer les Ott dans la chaîne de valeurs et une réflexion sur le développement d’un partenariat avec les Ott ». En tout état de cause, certains États n’hésitent pas à bloquer purement et simplement ces applications et principalement pour des raisons sécuritaires. « Il y a des pays du Moyen-Orient qui ont pris des mesures d’interdiction. Ils ont interdit la voix par exemple. On peut échanger des SMS, mais on ne peut pas s’appeler parce que ce sont aussi des questions de sécurité. On ne peut pas surveiller les gens qui utilisent ces applications », explique M. Faty.
En plus des problèmes de sécurité, les Ott favorisent les fraudes quand elles n’en sont pas les principales instigatrices, insiste M. Faty. Même constat du côté de la Sonatel qui évoque les fraudes by passing. « On assiste de plus en plus au phénomène du by pass qui consiste à détourner du trafic international entrant provenant des opérateurs étrangers partenaires ou des revendeurs de détails (minutes d’appels) dits carriers », indique la cellule de communication de la Sonatel. Et dans ce schéma, les Ott détournent du trafic que l’usager leur a payé à un tarif normal et qu’ils acheminent via internet c’est-à-dire gratuitement.