Avec l’affaire dites de 94 milliards, le leader du Pastef Les Patriotes semble s’engager dans une aventure laborieuse et risquée malgré la certitude qu’il a de détenir les preuves de détournement de fonds par l’ancien DG des impôts et domaines. En effet, la plainte de Ousmane Sonko a peu de chance d’aboutir si tout se passe dans les règles de l’art. Selon, le Pr. Ousseynou Samba, conformément au code de procédure pénal, Ousmane Sonko, en tant que citoyen, n’a pas la qualité de constituer partie civile dans ce dossier car «l’action en réparation appartient à toute personne qui se sent directement lésée». Or jusqu’à preuve de contraire, Ousmane Sonko ne peut prouver de quelle manière il a été « personnellement lésé» pour réel que puisse être le détournement de fonds dont il accuse Mamour Diallo. Ni Ousmane Sonko ni aucun autre citoyen lambda n’est habilité à porter plainte et se «porter partie civile» dans ce dossier. Qui donc est habilité ? Explications d’un spécialiste.
L’affaire de détournement de 94 milliards, révélée par Ousmane Sonko, au plus fort de la campagne présidentielle de février 2019, est revenue en force cette semaine au-devant de la scène avec l’audition par le juge d’instruction du leader du Pastef Les Patriotes. Invité de Info Soir sur la Tfm vendredi, le Pr. de droit Oussyenou Samba apporte un éclairage technique sur le dossier. Pour l’homme de droit, cette procédure ne peut aboutir d’aucune manière avec la plainte de Sonko. «Il s’agit d’une affaire (présumée) de détournement de deniers publics. Or en l’espèce, il n’y a que le parquet qui est habilité à introduire une action parce qu’il s’agit d’une action tendant à la défense des intérêts de la société», explique Pr. de droit à l’Université Cheikh Anta Diop. Et le théoricien du droit de se faire plus précis en évoquant l’article 2 du code pénal. «L’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage, directement causé par l’infraction». En conséquence, sur le plan juridique, il va être difficile pour Ousmane Sonko de prouver qu’il a été lésé de quelque manière que ce soit a fortiori avoir gain de cause. Ni sur le plan moral, physique ou matériel, le chef de file du Pastef ne peut le prouver. Dans sa posture de lanceur d’alerte, l’inspecteur des impôts et député à l’Assemblée national semble aller très loin en sachant peu ou prou qu’il n’aura pas gain de cause. Mieux, il aurait même dû commencer par répondre à la convocation de la commission d’enquête parlementaire.
Les 3 choses concrètes que Ousmane Sonko ne peut pas prouver
Dans ce dossier, Ousmane Sonko «ne peut pas se constituer partie civile pour la bonne et simple raison qu’il ne peut pas invoquer un préjudice personnel découlant des faits reprochés à Mamour Diallo. Le préjudice peut être matériel, moral comme il peut être corporel, c’est-à-dire s’il (Ndlr :Sonko) a été atteint dans son intégrité physique. Ce qui n’est pas le cas», laisse entendre le professeur, qui ajoute que Ousmane Sonko n’a pas non plus «été atteint dans son patrimoine» du fait de ce présumé détournement. Ensuite, «l’argent de l’État ce n’est pas son argent. C’est l’argent de tout le monde et il n’est pas habilité à parler au nom de tout le monde », argue le Pr. Ousseynou Samba. Enfin, le professeur «ne pense pas qu’il puisse invoquer le préjudice moral -son honneur ou son affection– . «Je ne vois pas quel est le préjudice Ousmane Sonko pourrait invoquer devant le juge d’instruction pour pouvoir valablement se constituer partie civile», a conclu l’invité de la Tfm.
Pour le Pr. Samba, Ousmane Sonko, en lanceur d’alerte, croit détenir des preuves d’un détournement de fonds. Présumant qu’une plainte officielle devant le procureur de la République n’aboutirait pas, il a préféré «contourner le procureur pour aller voir le juge d’instruction». Une action combinée à l’étalage du dossier dans la place publique. Seulement, pour professeur Ousseynou Samba, Ousmane Sonko a probablement conscience que même devant le juge d’instruction, sa plainte n’aboutirait pas par le fait qu’il « n’a pas qualité à agir». Rappelons qu’une commission d’enquête parlementaire avait été mis sur pied pour enquêter sur le dossier. Ousmane Sonko convié par ses collègues députés de cette question a refusé de se présenter.
Quid des travaux de l’enquête de la commission parlementaire
Interpellé sur les travaux de la commission d’enquête parlementaire mise sur pied pour faire la lumière sur le dossier, le professeur Samba explique que rien n’empêche la commission de poursuivre ses travaux quoique le leader du Pastef Les Patriotes soit entendu par le juge d’instruction cette semaine. En effet, selon le règlement de l’Assemblée nationale, lorsqu’une procédure judiciaire est ouverte, la commission parlementaire ne peut plus continuer son travail certes. Mais dans le dossier des 94 milliards, il se trouve que « jusqu’à présent, aucune information judiciaire n’est ouverte», rappelle le Pr. Samba. Le juge d’instruction a été saisi, mais il n’a pas encore ouvert une information «Par conséquent, les travaux peuvent continuer », d’une part. D’autre part, précise Ousseynou Samba à propos de l’assemblée nationale, qu’il s’agit des travaux de commission qui sont déjà terminés. «On est dans la plénière. Le texte ne vise pas la plénière. Donc les travaux de la commission étant terminés et que la plénière est en train de se réunir, cela veut dire que même si le juge avait ouvert une information, ça n’aurait pas d’incidence sur ce qui se passe aujourd’hui. Mais si on était en pleine commission, la commission d’enquête de l’assemblée nationale serait dans l’obligation d’arrêter ses travaux».
Le juge d’instruction n’est pas obligé
En outre, l’universitaire fait remarquer que ce n’est pas parce que le juge d’instruction est saisi que ce dernier va systématiquement ouvrir une information judicaire. Mais encore faudrait-il que le dossier soit étoffé dans le fond et qu’il respecte la forme. Il y a beaucoup d’élément qui entrent en ligne de compte. En effet, une fois qu’il a reçu la plainte, le juge devra étudier le dossier pour voir les éléments sont suffisants pour constituer l’infraction d’un côté, et de l’autre voir si le plaignant est habilité à le saisir dans ce dossier. «Il est saisi afin d’ouvrir une information judiciaire. Il va voir lui, (le juge) si les conditions de l’ouverture d’une information judiciaire sont réunies : -Est ce que les faits pour lesquels vous vous êtes constitués sont constitutifs d’une infraction pénale, Est-ce que les faits sont prescrits ou pas». Pour ceux qui pourraient s’étonner de ce que Sonko aille directement vers le juge d’instruction plutôt que devant le procureur, le Pr. Samba rappelle que cela est bien possible.
Toujours est-il que si la procédure devrait suivre son cours, le dossier devra être transmis au procureur au final. Seulement ce n’est pas là où ça pose problème. «La constitution de la partie civile, on peut la faire soit devant le procureur de la république soit devant le juge d’instruction. Lui, il (Ousmane Sonko) prétend qu’il est victime d’une infraction. Il a le droit de porter plainte et de se constituer partie civile aux yeux de la procédure du code pénal. Le juge d’instruction va ordonner à ce que le dossier soit transmise au procureur de la république pour que ce dernier puisse prendre son réquisitoire ». A ce stade, sur le plan juridique, le procureur comme le juge d’instruction peuvent avoir des appréciations différentes, sauf que le juge d’instruction a plus de marge de manœuvre. « Le procureur peut demander au juge d’instruction de ne pas ouvrir une information judiciaire, ça c’est une prérogative que la loi lui reconnaît. Lorsqu’il (le procureur) pense qu’objectivement les choses ne peuvent pas faire l’objet d’une poursuite, il peut demander au juge d’instruction de ne pas ouvrir une information judicaire. A charge maintenant au juge de voir si les arguments invoqués par le procureur sont assez convaincants pour pouvoir refuser d’ouvrir une information »
Dans une telle procédure, il n’y a pas un délai pour le procureur quand il est saisi par le juge d’instruction. Ce qui fait que la procédure peut prendre du temps, pouvant durer des années. Mais le juge d’instruction n’est pas obligé d’attendre le procureur. « La loi dit que le réquisitoire du parquet n’est plus une condition. On doit obligatoirement informer le procureur, mais son réquisitoire n’est pas une obligation pour ouvrir une information. Cela veut dire que même si le parquet ne requiert pas ou même s’il fait un réquisitoire pour dire au juge d’instruction de ne pas ouvrir une information, le juge d’instruction n’est pas obligé de le suivre si les preuves apportées par le plaignant sont suffisamment convaincantes, il peut ouvrir une information judicaire.
Liberté et indépendance de la justice dans ce dossier
Dans ce dossier, comme plein dans d’autres dossiers judiciaires ce que craignent certains c’est l’interférence de l’exécutif dans le judiciaire. Mais pour Ousseynou Samba, il va être difficile pour le politique d’intervenir et changer le cours des choses parce que théoriquement, le juge d’instruction a tout pour être libre et indépendant contrairement au procureur qui a des comptes à rendre à l’exécutif. « Une fois que l’affaire atterrit entre les mains du juge d’instruction ne pense pas que l’aspect politique peut influencer à ce point sur le dossier. Si c’était passé entre les mains du procureur de la république, il est sous la hiérarchie de l’exécutif, il peut recevoir ordre de ne pas poursuive. En ce moment, il sera obligé de ne pas poursuivre. Mais le juge d’instruction dans l’exercice de ses fonctions n’est soumis qu’à l’autorité de la loi. Il ne reçoit l’ordre de personne. Donc on pense qu’on juge d’instruction indépendant ne se préoccuperait pas trop de la qualité du plaignant ».
En clair, si le juge d’instruction le veut, dans ce dossier des 94 milliards comme dans tout autre, une fois que l’affaire atterrit sur sa table, il a tous les pouvoirs de travailler sans pression aucune. Et s’il n ‘exerce pas ses pouvoirs, que lui confère la loi, il aura librement choisi. «Tout est fait pour qu’il soit libre. Maintenant l’indépendance et la liberté et c’est une affaire individuelle et personnelle. On ne peut pas imposer la liberté et l’indépendance à quelqu’un qui ne veut pas. Mais dans les textes et statutairement, les juges d’instruction ont tout pour avoir la liberté qu’il faut pour travailler. Dans l’exercice de leur fonction, ils n’ont de compte à rendre à personne. Si vous n’êtes pas d’accord de la décision prise, vous contester par voie judiciaire. Mais vous ne pouvez pas leur donner d’ordre».
De La cohérence et la logique de Sonko
Le Professeur Ousseynou Samba s’interroge sur la démarche manque la logique de Sonko en refusant de se faire entendre par la commission d’enquête parlementaire de ses collègues. «Je comprends sa cohérence, mais je ne comprends pas sa logique. Je n’ai pas compris qu’en ayant déclenché tout ce tollé-là, il refuse de se présenter à l’Assemblée nationale. Je pense que qu’il aurait dû, au vu des éléments qu’il détient et nom de la légalité, se présenter aux différentes commissions. Ça aurait donné plus de poids à ses accusations . En ce moment-là si, l’Assemblée nationale, comme ça va être le cas je suppose, déclare qu’il n’a y pas d’infraction et donc il n’y a pas lieu d’engager la procédure, en ce moment-là, il pourrait dire que tout – ce que je devais faire sur le plan parlementaire, je l’ai fait, ça n’a pas abouti. Maintenant j’engage la procédure judicaire. Ce serait plus pertinent », estime l’homme de droit. Mais, dit le Pr. Samba, en décidant dès le départ que c’est une affaire politique et que l’assemblée n’a rien à voir dedans pour moi ça manque de cohérence ».
Les résultats de la commission d’enquête utile à la procédure ?
Si l’Assemblée nationale décide que les faits invoqués par Sonko sont avérés et que Mamour Diallo pourrait être poursuivi, elle serait dans l’obligation de transmettre ces procès-verbaux d’audition et tous les rapports au procureur de la République. Toutefois, en sa qualité de maitre des poursuites, le procureur n’est pas obligé de poursuivre Mamour Diallo. Or, lui seul a «l’opportunité des poursuites».
Pour mémoire, le leader du Pastef a été auditionné cette semaine par le juge d’instruction suite à sa plainte contre Mamour Diallo, l’ancien Directeur général des impôts et domaines. C’est après cette audition que Mamour Diallo, à son tour, a décidé, pour la première fois de porter plainte depuis que les accusations sont portées contre sa personne. Entre temps, Ousmane Sonko a également porté plainte contre les membres de la commission d’enquête parlementaire pour violation du secret d’instruction après divulgation des résultats de leurs auditions boudées par Sonko.
Ousmane Sonko a également servi une citation directe à la chambre des notaires et dénonce la manipulation du bâtonnât, de l’ordre des notaires. « On a manipulé l’Ordre des notaires. La Chambre des notaires a écrit à tous les notaires. On leur a dit de communiquer toutes les informations qu’ils ont sur Sonko », a révélé le Leader de Pastef qui entend ainsi en découdre avec la Chambre des notaires »
Par Noël SAMBOU