Dans la maison d’un moine bouddhiste d’un quartier cossu d’une banlieue de l’est parisien va se tenir, vendredi 30 novembre, la première prière pour des homosexuels musulmans. La salle de dix mètres carrés dans laquelle Ludovic-Mohamed Zahed, porteur de ce projet, s’installe deviendra la première mosquée ultra-progressiste d’Europe, un espace à la fois « gay-friendly » et féministe, où seront accueillis homosexuels, transgenres et transsexuels, et où les femmes seront encouragées à mener la prière.
Ce Franco-Algérien de 35 ans attend vingt musulmans. Mais le nombre de fidèles de cette mosquée atypique pourrait vite grimper, estime ce doctorant en anthropologie et psychologie. Son association, Homosexuels musulmans deFrance, aujourd’hui forte de 325 membres, a été créée en 2010 avec un petit groupe de six personnes, se souvient-il.
Le moine bouddhiste zen Federico Joko Procopio, homosexuel et militant des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, lui prête une pièce de son dojo par solidarité.
UN LIEU POUR SE SENTIR À L’AISE
Jusque-là, Ludovic-Mohamed Zahed priait chaque vendredi avec plusieurs milliers de fidèles dans la Grande Mosquée de Paris. Cet homosexuel musulman appréciait l’anonymat du lieu et le contenu, jamais politique, des prêches qui y étaient dispensés. Mais une telle combinaison est rare et, même dans la foule, certains individus, transsexuels en transition ou hommes efféminés notamment, sont « repérés tout de suite », dit-il. Il entend donc offrir un lieu à tous ceux qui pourraient ne pas se sentir à l’aise dans des lieux de culte traditionnels.
Marié à un Sud-Africain depuis 2010, Zahed déclare : « Les musulmans ne doivent pas se sentir honteux. L’homosexualité n’est condamnée nulle part, ni dans le Coran ni dans la sunna. Si le prophète Mahomet était vivant, il marierait des couples d’homosexuels. » Il rêve d’un islam « apaisé, réformé, inclusif », qui accepterait le blasphème car « la pensée critique est essentielle pour ledéveloppement spirituel ».
« UNE ABERRATION »
Cette initiative n’a reçu le soutien d’aucune institution musulmane, de nombreux imams et personnalités de l’islam de France y voyant un projet contraire à la religion. « Il y a des musulmans homosexuels, ça existe, mais ouvrir une mosquée, c’est une aberration, parce que la religion, c’est pas ça », estime Abdallah Zekri, président de l’Observatoire des actes islamophobes, sous l’autorité du Conseil français du culte musulman (CFCM).
« Nous ne culpabilisons pas les homosexuels, mais nous ne pouvons pas donnerune place à cette pratique au point qu’elle devienne un aspect de la société », renchérit Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Pour lui, cette mosquée ne saurait être reconnue. « C’est quelque chose d’extracommunautaire », dit-il.
UNE PREMIÈRE EN EUROPE
Des mosquées dites « inclusives » existent déjà en Afrique du Sud, aux Etats-Unis et au Canada, mais celle de Paris est une première en Europe. L’association Les musulmans pour les valeurs progressistes, lancée en 2007 aux Etats-Unis, a recensé une dizaine de lieux de culte similaires en Amérique du Nord.
« Le but de ces musulmans qui se désignent progressistes n’est pas de s’en tenir à la seule ‘défense’ d’une minorité sexuelle dans le cadre d’une interprétation de l’islam qu’ils jugent intolérante et obsolète à partir de leur expérience discriminée », explique Florence Bergeaud-Blackler, chercheur associée à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. « Ils veulent réformer,promouvoir un islam inclusif de valeurs progressistes », ajoute-t-elle.