La chef de la diplomatie sénégalaise, Aïssata Tall Sall, est accusée d’organiser un transfert de potentiels électeurs à Podor où elle est maire. Il s’agit d’un nouvel épisode d’une série d’affaires étranges de celle qui a farouchement combattu Ousmane Tanor Dieng et Macky Sall avant de les rejoindre au sein de la Majorité à la veille de la présidentielle de 2019.
Transfert présumé d’électeurs
Depuis son soutien à la candidature du Président Macky Sall suivi de sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall a quasiment déserté le champ politique. Ses rares apparitions sur la scène publique se résument surtout à des comptes-rendus des activités liées à sa charge de chef de la diplomatie sénégalaise. Sous cette casquette en effet, prise entre deux avions, la maire de Podor a très peu de temps pour faire de la politique quotidienne.
Mais ces derniers jours, Aïssata Tall Sall est sortie du bois. Sans l’air d’y toucher. Les prochaines élections locales, prévues en janvier 2022, sont comme calées dans sa ligne de mire. Même si elle n’a pas encore officiellement annoncé sa candidature à un troisième mandat, elle semble décidée à conserver son fauteuil. Quitte à porter un sacré coup à l’unité de la Majorité à Podor ? En tout cas, tout porte à croire que son éternel rival, Racine Sy, entend bien aller une nouvelle à l’assaut de la mairie de la localité.
La coalition Benno bokk yakaar n’a pas encore choisi son candidat, mais la bataille de positionnement a déjà commencé en marge des opérations en cours de révision des listes électorales. Lundi dernier, les deux camps ont franchi un palier. Ils en sont venus aux mains. La cause de la discorde : Aïssata Tall Sall aurait convoyé à Podor des électeurs n’ayant aucun lien avec la ville, histoire de les inscrire sur les listes électorales et, ainsi, le jour du scrutin bénéficier de leurs voix.
Comme preuve de cette accusation, un proche de Racine Sy a brandi le certificat de résidence d’une dame attestant qu’elle habite à Podor alors qu’elle serait née à Dakar et n’aurait aucun lien de parenté avec les populations locales.
«Forces extérieurs, tapies dans l’ombre…»
Les remous survenus en début de semaine à Podor constituent le dernier épisode d’une série d’affaires étranges plaçant la chef de la diplomatie sénégalaise au centre de l’intrigue. Au début du mois de mars, alors que le Sénégal est secoué par des manifestations sans précédent (une dizaine de morts, des centaines de blessés et des milliards de pertes économiques), Aïssata Tall Sall prend la parole. Elle débite les éléments de langage que le ministre de l’Intérieur, Antoine Diome, pour situer les causes des émeutes.
«Je parle de toutes ces forces extérieures que nous avons eu à identifier. Tapies dans l’ombre, elles sont en train de manipuler quelques Sénégalais et qui malheureusement, peut-être, n’ont pas encore compris la portée dangereuse de ce qui est en train de se jouer là, a-t-elle lancé sur France 24. C’est à eux que nous parlons. Et c’est pour ça que nous demandons à notre peuple de comprendre ce dont il est question aujourd’hui. Et le comprenant, de savoir que c’est notre pays que nous devons défendre.»
Cette sortie, complètement manquée selon beaucoup, a surpris, choqué et révulsé plus d’un. D’aucuns se demandaient de quel Sénégal parlait Aïssata Tall Sall. La ministre des Affaires étrangères, indirectement, sera vite démentie par le Président Macky Sall. Prenant la parole après quelques jours de manifestations, le chef de l’Etat a lancé aux jeunes un retentissant «je vous ai compris».
C’est ainsi qu’il a annoncé la levée du couvre-feu à Dakar et Thiès ainsi que le lancement d’un vaste programme pour l’emploi des jeunes pour plusieurs centaines de milliards de francs CFA. Dans le discours présidentiel, il n’a pas été question des «forces extérieures» «tapies dans l’ombre» dont parlait la plupart de ses ministres dont celle des Affaires étrangères.
Anti-Tanor Dieng
Entre 2014 et 2019, Aïssata Tall Sall avait la cote au plus haut auprès de beaucoup de Sénégalais. Elle symbolisait le courage et suscitait l’espoir.
Le courage : elle a osé défier le redoutable Ousmane Tanor Dieng pour prendre le poste de secrétaire général du PS que ce dernier occupe depuis 1996. «C’est une femme de principes, qui dit ce qu’elle pense et ne se laisse pas faire, ce qui lui a valu bien des déboires dans le parti», a commenté sur le site de Jeune Afrique l’ancien secrétaire général de Convergence socialiste, Malick Noël Seck, exclu comme Aïssata Tall Sall du PS.
L’espoir : beaucoup d’observateurs lui taillaient déjà le tailleur de présidentiable. L’avocate de profession se voyait elle-même bien à l’aise dans l’habit. «Mon ambition est de faire élire au Sénégal la première femme présidente de la République de l’espace africain francophone. Tirez-en vos propres conclusions.»
Aïssata Tall Sall n’atteindra aucun de ces deux objectifs. Tanor Dieng réussit à garder la main sur le PS tandis que le Conseil constitutionnel l’a recalée pour la présidentielle de 2019 pour défaut de parrainages.
Malgré tout, elle gardera sa cote intacte auprès de l’opinion. Jusqu’à ce qu’elle transhume à la veille de la présidentielle de 2019.
La transhumance
Alors qu’elle portait les couleurs du mouvement «Osez l’avenir !», Aïssata Tall Sall sera freinée par le Conseil constitutionnel pour défaut de parrainages. Beaucoup d’observateurs espéraient la voir dès lors soutenir un candidat de l’opposition. Mais la maire de Podor prend tout le monde à contrepied : elle choisit Macky Sall.
Sur les réseaux sociaux, les cris de déception explosent. Celle qui n’a jamais cessé de brocarder le chef de l’Etat, critiquant le Plan Sénégal émergent (PSE), celle qui a reproché à Ousmane Tanor Dieng son attachement à Benno et qualifié de «sauterelle» le Haut conseil des collectivités territoriales que ce dernier dirigeait, a tourné casaque.
Ses détracteurs étaient d’autant plus déçus que quatre ans plus tôt, elle vilipendait les transhumants. Disant : «La transhumance, il nous appartient à nous, politiques, de la combattre par des principes, par notre posture, notre attitudes et nos idées.»
Népotisme au ministère
Aïssata Tall Sall a été nommée ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur le 1er novembre 2020. Dès le jour de la passation de service avec Amadou Bâ, son prédécesseur, il fleurait bon le népotisme dans ce département composé de techniciens chevronnés. Certains témoins ont rapporté une forte implication de la famille de la nouvelle chef de la diplomatie sénégalaise, notamment un de ses enfants qui filtrait les entrées.
Quelques mois plus tard, la tendance s’est confirmée. Aïssata Tall Sall nomme une de ses sœurs au poste de secrétaire particulière. Par ailleurs, elle remplace l’assistante au protocole par une stagiaire.
Pour sa défense, le cabinet de la ministre rectifiait en affirmant que l’assistante au protocole en question a été promue et non relevée de ses fonctions.
Dans tous les cas, les diplomates de carrière du ministère des Affaires étrangères se plaignent d’une politisation outrancière du département où Aïssata Tall Sall règne en maîtresse absolue.