Après sa sortie qui a même secoué le sommet de la République, l’ancien ministre de l’Environnement, Aly Haïdar, invite dans cet entretien accordé à IGFM son successeur à rompre d’avec certaines pratiques. Il écarte la Gambie dans le processus de recherche de solution au trafic de bois. L’écologiste montre à l’Etat du Sénégal des pistes de solutions. Entretien!
iGFM : Après votre sortie, y-a-t-il eu un effet positif sur le terrain ?
Ali Haïdar : De tout mon cœur et au nom de tous les écologistes du Sénégal, je voudrais remercier le président de la République, Monsieur Macky Sall, parce qu’après cette conférence de presse, qui a montré le degré du trafic de bois en Casamance, a envoyé trois ministres de la République (Intérieur, Forces armées et Environnement), pour s’enquérir de ce qui se passe réellement sur le terrain.
Et comme vous le savez, quand vous dites qu’il y a des trafiquants, tout le monde vous écoute avec une petite oreille, mais nous sommes allés sur le terrain et nous avons montré ce qui s’y passe. Je rappelle qu’au mois de juillet 2015, au Méridien président, le président de la République avait frappé sur la table en disant qu’il faut que ce trafic cesse. Nous ne voulons qu’aider la République, en dénonçant les trafiquants qui détruisent notre pays.
Effectivement, j’ai constaté la présence sur le terrain des ministres de la Défense, de l’Intérieur et de l’Environnement. J’étais à la fois content et inquiet. Content, parce qu’ils ont arrêté des trafiquants. Inquiet, parce qu’une fois, ils ont arrêté 130 charrettes, 10 camions, des milliers de troncs entre autres. Cela prouve bien l’ampleur du dégât. Cela prouve bien que cela ne saurait être une opération coup de poings sur un temps limité. C’est alors une affaire qui doit être constamment effectuée. Il faut donc que nous soyons tout le temps sur le terrain.
Après votre sortie, avez-vous reçu des menaces ?
Non, au contraire, beaucoup de ministres m’ont félicité. Je ne suis pas un ennemi de la République. Par contre, j’ai eu la visite de deux (02) gambiens qui disaient avoir beaucoup d’argent pour moi en Gambie, si je les suivais. J’ai aussi appris qu’il y a trois (03) gambiens qui me cherchaient. Mais, je ne crains pas ces menaces. Je vais vous dire une chose, un journal français a sorti un article pour dire que l’année 2015 est une année très meurtrière pour les écologistes. Il dit qu’il y a eu 180 écologistes qui ont été tués dans le monde. Cela s’explique par le fait que, les écologistes sont des sentinelles qui tirent la sonnette d’alarme quand il y a un pillage des ressources.
On nous signale en Gambie un autre dépôt avec une dizaine de camions. Nous allons confirmer ces informations. Une fois que nous aurons la confirmation, la presse sera ameutée. Je répète que jamais, nous ne cesserons de dénoncer ces abus qui sont faits à nos ressources. Moi, je suis un citoyen qui joue pleinement son rôle de sentinelle et d’alerte. Donc, je ne vais pas arrêter de dénoncer ce trafic tant que ces trafiquants existent.
Les chiffres que nous avions montrés sont de la douane chinoise. En 2012, elle dit avoir exporté de la Gambie vers la Chine, environ 120.000 m3 de bois.
En 2013, elle dit que cela a connu une baisse, parce qu’elle n’a exporté que 40.000 M3. En 2014, elle dit qu’elle n’a pas beaucoup exporté.
Aujourd’hui, il est en train d’être explosé. On n’a pas encore les chiffres de 2016, mais vous allez voir ils seront catastrophiques.
En plus de ça, la douane chinoise disait avoir exporté de la Gambie 140.000 M3 de bois pour une valeur de 140 milliards de francs CFA par année.
Ce sont des bateaux européens des grandes compagnies qui transportent ce bois par containers. Tout ça, n’est qu’une grande fraude. Nous ne pouvons pas nous taire, tant qu’une organisation mafieuse telle que l’entreprise qui s’appelle WestOud installée en Gambie délivre les permis d’exportation, en utilisant tout un réseau pour exploiter nos ressources. Ils sont en train d’installer le désert en Casamance.
L’exploitation du bois de Véne est interdite au Sénégal. Elle est soumise à une autorisation en Gambie. Mais, c’est de la merde avec l’entreprise Westoud qui dit faire du social, en construisant des écoles, donnant des vivres aux villages. Quand je vois à la Cop 21, toutes ces entreprises qui disent qu’elles veulent sauver la planète alors qu’en réalité, et au quotidien, elles font le contraire de ce qu’elles disent, je le dénonce haut et fort.
Je suis content que l’Etat du Sénégal prenne à sa juste dimension ces questions. Par contre, ce que je regrette profondément, c’est que le ministre de l’Environnement n’est pas à la hauteur de sa mission parce qu’aujourd’hui, il est décrié partout sauf par les exploitants qui passent tout leur temps à le féliciter.
Je dis haut et fort, tant qu’il se baladera tout le temps avec le président des exploitants, Abdoulaye Sow que je cite nommément et qui est le plus grand trafiquant de la forêt du Sénégal, il y aura du trafic, parce qu’il est le premier ennemi de la forêt. Si le ministre de l’Environnement ne comprend pas ces questions là, il ne peut pas être à la hauteur de sa mission.
Est-ce qu’il n’est pas confronté à un problème d’effectif ?
J’ai appris que les effectifs des agents des Eaux et forêts vont être renforcés. Je suis très content mais en réalité, dans ce domaine des Eaux et forêts, il y a beaucoup d’agents qui sont eux-mêmes corrompus et ne font pas leur travail. Beaucoup parmi eux, sont incompétents et ne sont pas au fait de leurs missions. Par contre, il y a des agents qui sont conscients et font correctement leur travail.
Ils doivent être accompagnés. Malheureusement, au niveau des régions et départements, nous constatons que nous n’avons pas les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Cela est un grand tort qu’on a causé à la forêt, parce qu’il se trouve des fois que l’agent qui est en place lui-même fait partie des trafiquants.
Parce qu’il cautionne certaines coupes de bois ou délivre des permis de coupe de bois de chauffe, tout en étant conscient que ce ne sont pas des bois de chauffe qui vont être coupés, mais bien des troncs de Véne entre autres variétés de bois. Tout cela, nous ne cesserons de le dénoncer, parce que tout ce trafic installe tranquillement le désert dans notre pays. Ça suffit, tous ces discours qui ne sont pas en phase avec ce qui se passe au quotidien sur le terrain.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les gambiens sont au cœur de ce trafic ?
Très souvent, il est très facile d’accuser les autres. Mais les plus grands pilleurs ce sont des exploitants sénégalais. Ils s’adossent sur la force et la puissance de marabouts qui les protègent. Ce qui permet ce trafic. C’est vrai au niveau de notre frontière avec la Gambie, il y avait beaucoup de gambiens qui faisaient ce trafic. Hélas, maintenant, les sénégalais qui sont dans ces villages frontaliers voyant que l’Etat n’agit pas, se sont mis eux aussi à trafiquer.
Avez-vous une solution pour mettre fin à ce trafic de bois ?
Pour moi, la solution à ce trafic est citoyenne. Ce sont les citoyens qui doivent comprendre que la forêt dans laquelle ils habitent leur appartient. Ils ne doivent pas laisser des bandits (…), je pèse bien mes mots, venir piller leurs ressources forestières utilisant comme prétexte des soi-disant autorisations de coupe de bois. Alors que la loi est claire.
La gestion des ressources naturelles est une compétence transférée vers les collectivités locales. Donc, seulement, le maire qui est élu par les populations a le droit de dire couper la forêt de chez moi. Ce qui veut dire que les agents des Eaux et forêts ne peuvent délivrer qu’un permis de transport du bois d’un point A vers un point B. Malheureusement, très souvent ce n’est pas ce qui se passe sur le terrain.
Les gens qui sont détenteurs de permis, viennent dans une collectivité locale et coupent frauduleusement le bois sans que le maire ne soit au courant. De toute façon, il n’a pas les moyens pour combattre ces trafiquants. Je salue la détermination du maire de Dialambéré.
Sous la présence de l’autorité territoriale, il a mis en place un comité de brigade verte. Le lendemain de sa mise en place, ils ont arrêté 30 troncs qui ont été trafiqués dans leur zone. A cet effet, la solution est locale. Les collectivités locales et les citoyens doivent comprendre que les gens qui viennent piller leurs ressources installent le désert ; avec le désert, c’est la misère ; avec la misère, ce sont les réfugiés climatiques. C’est tout ce que ces gens font. Il faut lutter contre ces gens-là. Il faut résister à ces gens en vue de protéger la forêt. Parce que la forêt est source de vie. C’est elle qui donne de la nourriture à la terre. Elle nous amène aussi de la pluie. Donc, c’est elle qui nous permet de vivre.
En tant qu’écologiste avez-vous une solution pour le trafic de bois ?
Les écologistes proposent des solutions malheureusement, il n’y a pas un écologiste dans le gouvernement. Il n’en existe pas aussi à l’Assemblée nationale.
Par contre, dans le Conseil économique, social et environnemental (Cese), il y a un seul écologiste, qui se bat mais bon, il est tout seul. Et bientôt, nous allons avoir une autre institution qui est le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), nous espérons qu’il y aura des écologistes parmi les gens qui y seront. En tout cas, ce sont les sénégalais qui élisent les députés et les maires entre autres, c’est à eux de prendre conscience en vue d’agir dans l’écologie politique, mais s’ils ne le font pas, qui le fera à leur place ? On attend, mais je rappelle que le combat continue sur le terrain.
Sans la Gambie, le Sénégal peut à lui seul trouver une solution au trafic de bois ?
Oui, je pense qu’on peut trouver une solution sans l’implication de la Gambie. Pourquoi est-ce qu’il faut que ce soit la Gambie qui règle nos problèmes ? Un pays qui est dix fois plus petit que le notre. Un pays qui est dix fois moins nanti que le notre. Un pays qui est dix fois moins organisé que le notre. Un pays où il y a un Président décrié par son manque de démocratie, de transparence et c’est ce pays qui doit régler nos problèmes. Si on a besoin de la Gambie, pour régler nos problèmes, on n’a qu’à lui donner le Sénégal.
«Le Sénégal a perdu 10.000 ha de sa forêt»
Les satellites des universités américaines qui s’intéressent à ces questions disent bien qu’il ne reste que 4.000 ha de forêt à la Gambie. En frontière avec la Gambie, en Casamance, en 2010, nous avions 40.00 ha de forêt. Entre 2010 et 2015, ces mêmes experts scientifiques américains disent que nous avons perdu 10.000 ha de forêt. Donc, il nous reste que 30.000 ha de forêt. Ces images que nous avons montrées sont de ces universitaires américains. Ces chiffres montrent que le Sénégal est en train de perdre sa forêt, c’est ce que ces scientifiques américains ont montré.