C’est l’hebdomadaire Jeune Afrique qui relance le débat, en révélant notamment des incohérences dans l’affaire de faux billets qui valut au leader du Raam Daan une longue détention et fait encore peser l’épée
Le 29 mai 2015, l’affaire démarre dans les colonnes des journaux, puis se répand aussitôt sur les télés et radios. Le célèbre chanteur à la voix d’or a été placé en garde à vue par la section de recherche de la gendarmerie de Colobane, à Dakar, en attendant d’être déféré au parquet. Soupçonné d’être au cœur d’un gigantesque trafic de faux billets, il était filé depuis plusieurs jours, ainsi que ses complices présumés.
Des sommes colossales, mais des chiffres incohérents
Manifestement alimentés par les enquêteurs, les journaux livrent des chiffres à couper le souffle : le montant des devises contrefaites découvertes à son domicile (en euros et en dollars) s’élèverait à 38 milliards de F CFA (58 millions d’euros) selon le quotidien sénégalais Libération, voire à 100 milliards (152 millions d’euros) selon Le Témoin.
« Thione Seck, star sénégalaise milliardaire en toc », titre un journal français
Estomaqués par les sommes en jeu, les commentateurs ne remarquent pas que cette prise dépasse de très loin les saisies totales de fausse monnaie effectuées au cours de l’année précédente dans l’ensemble de la zone euro (19,6 millions d’euros). Pas plus qu’ils ne s’interrogent sur le fait que 58 millions d’euros puissent tenir dans une simple sacoche comme celle retrouvée dans le salon de Thione Seck.
Certes, au domicile de son complice malien, Alaye Djiteye, les enquêteurs ont mis la main sur un scanner, de l’encre et des imprimantes, ainsi que sur quelques fausses coupures – pour un montant n’excédant pas 10 000 euros. Mais, comme l’indiquait à l’époque à JA un policier français spécialisé dans la répression du faux monnayage, « imprimer une telle somme nécessite la capacité de produire en grosse quantité, donc de disposer d’une imprimerie offset ».
Des concerts à 100 millions d’euros
Les avocats du chanteur ont beau souligner les incohérences du procès-verbal de perquisition, leur voix reste inaudible. Quant à Thione Seck, après s’être muré dans le silence, il livre une version qui n’incite pas à la confiance. Quinze jours plus tôt, affirme-t-il, un imprésario gambien basé en Suède lui aurait fait miroiter une série de concerts en Europe, avec à la clé un cachet faramineux : 100 millions d’euros pour cent dates !
Au moment où je remettais l’argent, je n’étais pas moi-même
Comme convenu, l’un des émissaires du Gambien, un certain Joachim Cissé, serait donc venu lui déposer un acompte de 50 % sur ce trésor pharaonique, que la star a négligemment conservé ensuite dans un coin.
Au second jour de sa garde à vue, face à l’incrédulité des pandores, « Papa Thione » retrouve progressivement la mémoire. Il affirme cette fois que quelques jours après lui avoir livré les 50 millions d’euros, Joachim Cissé serait revenu lui emprunter 85 millions de F CFA – une somme que, curieusement, Thione Seck ne puise pas dans la fameuse sacoche censée renfermer des euros, mais lui donne sous forme de vrais francs CFA.
À ce moment de son récit, le chanteur laisse entendre qu’il a probablement été victime d’un maraboutage : « Au moment où je remettais l’argent, je n’étais pas moi-même », assure-t-il aux gendarmes. Et de clamer qu’en dépit des apparences il est la véritable victime de cette affaire rocambolesque.
Un seul ballot ouvert
…Au bout de huit mois, Thione Seck bénéficie d’une remise en liberté sous contrôle judiciaire. Mais toujours pas d’ouverture des scellés à l’horizon. Il faudra attendre le mois d’avril 2017 pour que cette opération cruciale advienne enfin.
« Sur la quarantaine de ballots contenus dans la sacoche, le juge en a extrait un seul, qu’il a présenté à notre client, relate Me Abdou Dialy Kane, l’un des avocats du chanteur. Il s’agissait d’une liasse compacte, emballée dans du plastique. Sur le sommet, on pouvait voir un billet en euros de couleur verte. Mais à sa base on distinguait clairement des Kleenex de la même teinte »…
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