Thiaroye, Diameguene, Diacksao : Banlieue, l’envers des préjugés

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Les banlieues sont souvent représentées dans le reflet de la pauvreté, de l’insécurité et de la galère. Au-delà de ces images stéréotypes, se cachent des réalités en déphasage avec ces préjugés. Dans ces nouvelles villes, les histoires se côtoient et ne se ressemblent pas…

Les matchs de dimanche ont encore de beaux jours devant eux et il suffit de faire un tour en banlieue dakaroise pour s’en rendre compte. Nous sommes quelque part à Thiaroye, en cette matinée de dimanche, des groupes se forment par affinité. Des enfants, en passant par des adolescents sans oublier des adultes, tous sont en équipements sportifs, prêts à en découdre «amicalement» sur un terrain de football. Ils s’apprêtent à rejoindre leur aire de jeu, dans l’enceinte du camp militaire de Thiaroye. Pour se dégotter un bon emplacement, il faut rejoindre le terrain tôt.

Au-delà de l’aspect sportif, ces rendez-vous de dimanche constituent également des moments de retrouvailles pour les uns et les autres. Babacar Dièye, âgé de 40 ans, est policier. Il est né et a grandi à Thiaroye. C’est lorsqu’il a pris sa première fonction d’inspecteur qu’il a dû quitter son quartier natal. Toutefois, « je ne me prive jamais de venir ici, dès que l’occasion se présente », note-t-il. En effet, selon lui, les rencontres de dimanche constituent « des moments de retrouvailles, mais également de maintien et de consolidation des relations qui datent de l’enfance ».

Ici, on échange, on se mélange, c’est l’absence de bruits qui dérange. Il existe une vraie énergie, « peut-être que nous n’avons pas le monopole du mérite, mais c’est une bonne école de la vie. La méfiance n’est pas instaurée en règle, les gens traînent même la réputation d’être paranos, tellement ils font preuve d’esprit d’ouverture», souligne le policier. Ici, les jeunes ont tous la maîtrise de la débrouillardise qui a fini de s’instaurer en règle. Les difficiles conditions de vie amènent la plupart des gens à adopter « l’intelligence de la rue ». A côté des plus grands, des enfants à peine âgés de dix ans jouent également au football. Ils n’ont pas les moyens de s’offrir un ballon en cuir. Toutefois, ils ont pu, dans un tour d’astuces dont eux seuls détiennent le secret, se confectionner un ballon à partir d’un regroupé de chiffons.

Un peu plus loin, d’autres jeunes sont installés, ils ne sont pas adeptes de sport. C’est plutôt la musique qui les branche. Et pas n’importe laquelle ! En effet, les goûts musicaux sont précieusement choisis : le rap prime sur tout ; « cette musique qui transpire, qui sent le vrai, qui transmet, qui témoigne, qui respire », note un des jeunes mélomanes. Modou Fall a dix-neuf ans et rêve de mettre sur le marché un album rap. En attendant, il s’inspire des textes du rappeur « Gaston ». Les décibels distillent cette musique qui ne semble guère déranger qui que ce soit, au contraire. « La tentation fait aussi des appels en banlieue, il devient parfois facile de prendre la mauvaise route. Et pour choisir son chemin, il faut écarter pas mal de doutes », avoue le rappeur en herbe Modou Fall. Ici, les habitants ont le libre choix. Toutes les opportunités et toutes les possibilités sont ouvertes. « On peut devenir sportif de haut niveau, artiste, chanteur, mais aussi avocat, fonctionnaire ou cadre supérieur ». Il y a encore plein de métiers sur la liste, laisse-t-il entendre. C’est de ce vécu où sortent plusieurs profils dont tentent de s’inspirer ces jeunes rappeurs.

Niche de rêve, coin d’espoirs

Ici donc comme partout, quand on dort, on fait des rêves. C’est juste une petite contrée qui regroupe dans une symbiose de drôles de parcours. Chose commune à tous les banlieusards, ils sont tous fiers de raconter d’où ils viennent, comme qui dirait, ils sont tous un peu chauvins. « J’aurais pu vivre autre chose ailleurs. Mais, c’est ici que j’ai grandi, que je me suis construit, je viens de la banlieue », informe un ancien colonel de la Douane qui vient tout juste de prendre sa retraite. Nous l’avons trouvé à Tivaouane Diacksao, un quartier situé près de Diamaguène. L’homme qui préfère garder l’anonymat a servi des années durant à la Douane sénégalaise. Banlieusard de pure « souche » comme il aime à le répéter, il n’a guère oublié cette « cité qui a fait de lui un battant ». Tous les dimanches, quand il est au Sénégal, il ne manque pas de faire un tour dans ce quartier qui l’a vu grandir. De son parcours, il s’inscrit en porte à faux des quartiers caractérisés par une seule image : celle de la pauvreté et de la destruction sociale, avec la population la plus « exclue ». En utilisant le terme « jeunes de banlieue», par exemple, les gens pensent spontanément aux jeunes à problèmes, c’est-à-dire ceux qui apparaissent sur la scène publique à travers les problèmes qu’ils posent à la société, déplore-t-il.

Mais on ne parle pas de tous les jeunes qui habitent dans ces quartiers, quand il importe au contraire de souligner l’hétérogénéité de cette jeunesse. Le mot «banlieue» lui-même est tout à fait réducteur, finit-il par constater.

Diamaguène. Deux jeunes âgés de 19 ans sont en train de fumer à tour de rôle une cigarette. Un autre, un peu plus âgé, vient vers eux et demande s’il peut se joindre à eux pour fumer : viens, répond celui des deux qui tient le pétard, en secouant la tête. Le nouveau venu s’assoit à côté d’eux et entame la conversation. Chacun nomme son quartier et ils commencent à discuter des «notables » : sportifs locaux, trafiquants et autres figures. Ils n’ont pas échangé de numéros de téléphone, simplement leurs noms et leurs quartiers respectifs. « Si vous passez la prochaine fois, demandez après moi », dit le plus âgé avant de partir en répétant son plaisir de les avoir rencontrés. Ce genre de rencontre n’est pas rare. Il y a quelque chose dans l’attitude, le langage, la vêture qui permet de se reconnaître immédiatement.

Rencontre de toutes les couches 

Ici, tout peu servir d’entrée en matière pour ouvrir la conversation. « Cela ne signifie pas qu’un jeune de banlieue ne discutera qu’avec d’autres jeunes de banlieue, mais qu’il aura plus facilement une conversation avec ceux qui partagent son mode de vie », note Matar Guèye, un habitant de Diamaguène qui fait office de « grand frère » pour les plus jeunes. Les appartenances locales ancrent l’expérience du monde des banlieues dans leur vécu. Cette expérience dépasse et élargit le seul cadre de la cité. Ces relations, on les voit surgir à travers les rapports particuliers que les jeunes de la banlieue entretiennent entre eux.

« J’aime bien ma cité. Il y a une bonne ambiance. Tous les mecs s’entendent bien. Les grands ne prennent pas la tête face aux petits. On est entre nous», souligne Maguèye qui a douze ans à peine. De ce vécu naît un sentiment d’appartenance qui reste présent même chez ceux qui partent. Même après avoir quitté une cité, on finit toujours par revenir sur ses pas. «Dans ce contexte, la catégorie jeune de banlieue n’est pas objective. Elle est construite et travaillée par des sentiments d’appartenance définis de manière contextuelle. Elle se fait et se défait sans cesse, mais reste pertinente tant que les acteurs lui reconnaissent une valeur explicative de ce qu’ils vivent », note Aminata Mbengue, sociologue. Si les banlieues constituent un «champ» de l’opposition entre dominants et dominés, le discernement des «classes» reste difficiles à faire. En effet, sur ces lieux se côtoient des commerçants aux revenus conséquents, des cadres de grandes boites, des individus aux revenus très modestes. En atteste, en effet, la construction des bâtiments, reflets des inégalités de revenus.

Toutes sortes de bâtisses se côtoient en banlieue : les mieux garnis aux plus modestes. «C’est un véritable  patchwork  qui se crée : somme des suppléments du social, elle ne peut rendre compte de la complexité des entrelacements identitaires», note la sociologue Aminata Mbengue. La désignation « jeunes de banlieue » elle-même ne correspond pas à un groupe parfaitement déterminé. La diversité des situations est si grande que toute tentative de catégorisation échoue à saisir la spécificité d’un tel objet.

«Même s’il semble que les cités tendent à un certain nivellement des situations socio-économiques, on trouve des enfants d’ouvriers ou d’employés aussi bien que des enfants issus des classes moyennes », note-elle. L’ouverture d’une multitude d’usines dans les alentours de la banlieue (sur la route de Rufisque) vide les campagnes au profit des centres urbains, transformant irrémédiablement les conditions de vie traditionnelles. Le salariat hebdomadaire est devenu la norme pour certains jeunes, apportant une relative sécurité et différents acquis sociaux : le travail s’est imposé comme un modèle dominant. Cela n’empêche que la banlieue traîne encore cette mauvaise réputation d’endroit où règne l’insécurité. « Il y a bien des raisons à cette construction d’un imaginaire de l’insécurité, de la délinquance. La remise en cause de l’intégration par les groupes primaires et les difficultés à réduire les inégalités y participent tout autant », note Mme Mbengue. Beaucoup continuent à être liés à leur ancien lieu de vie : il faut rester proche, pour garder ce lien tangible. Les familles parties reviennent souvent visiter les amis après un relogement, témoigne Séckou Diédhiou qui a quitté la banlieue depuis une dizaine d’années. Les jeunes qui font des kilomètres pour revenir dans leur cité mesurent ainsi la force de leurs propres ancrages sociaux. « Cet attachement variera en fonction des situations et des durées : mais il restera toujours, pour ceux qui sont partis, une compréhension du monde de la galère qu’ils ont vécu en un moment de leur vie», note la sociologue.

 

Auteur: Oumar Ba – Le Soleil

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