Condamné une première fois à six ans de prison pour terrorisme, le Français sera jugé en appel le 1er mars. Sa mère et ses avocats dénoncent un « procès fabriqué de toutes pièces » et mobilisent les médias et les politiques français.
Commençons par les faits tels que les a recueillis Jeune Afrique auprès du ministère de la Justice marocain. Thomas Galley, citoyen français de 36 ans résident dans la ville d’Essaouira depuis 2014, a été arrêté le 18 février 2016 dans le cadre du démantèlement d’une cellule terroriste de 10 membres implantée dans les villes d’El Jadida, Essaouira, Meknès et Sidi Kacem.
Cette cellule planifiait de s’attaquer à des touristes étrangers, en utilisant des substances neurotoxiques d’une extrême dangerosité.
Interrogé par la police judiciaire, Thomas Gallay, ingénieur informaticien de profession, aurait avoué qu’il avait l’intention de filmer les scènes d’exécution des touristes en vue de les diffuser sur le web, suivant le même procédé que celui régulièrement pratiqué par l’État islamique. Il aurait aussi admis avoir donné des sommes d’argent variant entre 200 et 700 dirhams (20 et 70 euros) à un certain Malainaine Lessir, cerveau présumé de la cellule, en vue de l’aider à préparer ce projet terroriste.
En perquisitionnant chez lui à Essaouira, les officiers du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) ont pu saisir un ordinateur, contenant des enregistrements audiovisuels faisant l’apologie d’actes terroristes. Après une enquête préliminaire, le BCIJ estimé que son cas était suffisamment sérieux pour saisir le juge d’instruction du tribunal de Salé. Celui-ci a décidé à son tour d’enclencher une procédure judiciaire à son encontre, pour « soutien financier à des personnes en vue de commettre de actes terroristes » et « organisation de réunions non autorisées ».
Le 14 juillet 2016, Thomas Gallay a été condamné à 6 ans de prison ferme. Sa défense, assurée par l’avocat français, Me Frank Berton et le Marocain, Me Abderrahim El Jamai, a interjeté appel. La prochaine audience est programmée pour le 1er mars. Ils dénoncent un « procès fabriqué de toutes pièces », émaillé de plusieurs zones d’ombre.
Les aveux signés par Thomas Gallay
Selon sa défense, Thomas Gallay aurait signé des procès verbaux en arabe, « une langue qu’il ne connaît pas », et qui ne lui ont pas été fidèlement traduits par l’officier de police judiciaire qui l’a interrogé. Or, il y reconnaît noir sur blanc s’être converti à l’Islam et avoir soutenu l’État islamique. « Par la signature de ces documents écrits, dans une langue qu’il ne sait pas lire et sans avoir possibilité d’être assisté d’un traducteur indépendant ou d’un avocat pour les lui traduire au préalable, ses droits le plus fondamentaux ont été bafoués », dénonce sa mère, Béatrice Gallay, dans une pétition en ligne intitulée « Justice pour Thomas Gallay emprisonné au Maroc ».
« Toutes les étapes d’interpellation et d’instruction se sont déroulées dans le strict respect de la loi marocaine », répond le ministère de la Justice marocain. Selon ce dernier, la loi marocaine n’accorde pas le droit à un avocat d’assister aux auditions de la police judiciaire. En revanche, elle autorise l’officier de police judiciaire à traduire lui-même le contenu du PV à l’inculpé dans sa langue s’il la maîtrise.
Or, si l’on consulte le Code de procédure pénale marocain, on voit que la qualité d’interprète des officiers de la police judiciaire n’apparaît pas. Le recours à un traducteur n’est signalé que dans l’article 112, qui ne concerne pas la police judiciaire mais plutôt le juge d’instruction. « Le juge d’instruction, soit d’office, soit à la demande de l’inculpé, fait appel comme interprète à toute personne capable d’assurer la traduction, âgée de dix-huit ans au moins et non appelée à témoigner dans l’affaire. L’interprète, s’il n’est pas déjà assermenté, doit prêter serment de la traduire fidèlement », peut-on lire à cet endroit du Code.
Juridiquement, il y a donc un vide sur la prérogative de traduction qu’on attribue à l’officier de police judiciaire. « Le dossier Thomas Gallay n’est pas un cas isolé », assure Éric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG Human rights watch (HRW) dans Le Figaro. D’après lui, plusieurs affaires similaires ont été recensées au Maroc. En 2013, l’ONG a même publié un rapport intitulé : « Tu signes ici, c’est tout : procès injustes au Maroc fondés sur des aveux de police ».
Essayant de relativiser cette zone d’ombre, le ministère public marocain estime que le juge d’instruction ne se base pas uniquement sur les aveux de l’inculpé à la police pour enclencher la procédure contre lui. « Il y a des preuves tangibles accablantes contre Thomas Gallay comme les enregistrements audiovisuels pro-État islamique découverts sur son PC et les témoignage des autres membres de sa cellule », nous assure-t-on.
Sa présumée conversion à l’Islam
Autre zone d’ombre relevée par la défense : la conversion à l’Islam que Thomas Gallay aurait avoué à la police marocaine. Selon son avocat, Frank Berton, il ne se serait jamais converti à cette religion. À la presse française, il a déclaré que son client était « catholique » et « qu’il n’a[vait] rien à voir avec le jihad islamiste ».
Pour le ministère de la Justice marocain, la défense fait de la conversion à l’Islam toute une histoire alors qu’elle ne rentre pas en ligne de mire dans les procès pour terrorisme. « C’est un sujet secondaire. Un terroriste n’est pas forcément musulman et un musulman n’est pas systématiquement un terroriste », ajoute-on.
Les sommes d’argent données à la cellule
Selon les autorités marocaines, Thomas Galley aurait avoué avoir donné des sommes d’argent à Malanaine Lessir, cerveau présumé de la cellule terroriste, pour l’aider à préparer son projet terroriste. D’où son accusation pour « soutien financier au terrorisme ». Mais la défense a une autre version.
Thomas Gallay avait en effet, donné en plusieurs fois, environ 70 euros à un Marocain qui l’avait aidé à s’installer à Essaouira mais « il n’était pas au courant de ses aspirations terroristes ». « Mon fils a sympathisé avec lui et l’a laissé utiliser sa ligne internet, son ordinateur, et comme il gagne bien sa vie, il l’a aussi dépanné financièrement de quelques dizaines d’euros », a déclaré la mère de Thomas Gallay au magazine français le NouvelObs.
Une affaire qui a pris une tournure politique
Tout d’abord, Thomas Gallay est défendu par un habitué des grands procès médiatiques en France : Frank Berton, avocat lillois de 53 ans, qui a pris la défense de Salah Abdeslam, l’un des auteurs présumés des attentats de Paris en 2015. C’est aussi lui, qui, en 1999, a défendu l’Algérien Smaïn Ait Ali Belkacem, l’artificier du Groupe islamiste armé (GIA), impliqué dans les attentats du RER B à Saint-Michel, à Paris, en 1995.
Frank Breton a par ailleurs plaidé dans le célèbre procès Outreau, une affaire d’abus sexuels sur mineurs, et dans celui de Florence Cassez, une Française condamnée à 60 ans de prison au Mexique pour enlèvements, délinquance organisée et port d’armes, mais qui finira par être libérée.
Avec la mère de Thomas Gallay, ce ténor du barreau lillois a multiplié les contacts avec les politiques français, dénonçant un procès « instrumentalisé ». Début février, l’ancienne garde des Seaux, Christiane Taubira, a estimé que Thomas Gallay avait « le droit à un procès équitable ».
Source: Jeune Afrique