Depuis l’alerte de l’ambassade des Etats-Unis sur une éventuelle menace terroriste qui pèserait sur le Sénégal, les langues se délient. D’aucuns vont jusqu’à douter de la crédibilité de cette alerte. Pourtant, la vigilance doit être le maître mot. Les forces de sécurité du pays savent que depuis 2014, des jihadistes ne cessent d’être arrêtés, s’ils ne traversent pas le Sénégal pour rallier d’autres pays.
Le 18 octobre 2017, l’Ambassade des Etats-Unis à Dakar lance une alerte. Un communiqué interdit au personnel de l’Ambassade des Etats-Unis de “séjourner dans des hôtels du bord de mer de Dakar jusqu’à la première semaine de décembre”. Les citoyens américains sont aussi invités à se préparer “à des contrôles de sécurité accrus lorsqu’ils sont en déplacement à Dakar et ses environs”. Le communiqué les conseille de “réviser leurs plans de sécurité personnelle, de demeurer conscients de ce qui les entoure, y compris les évènements locaux, et de suivre les radios locales pour rester informés des dernières nouvelles”. Ce communiqué intervient après une série d’arrestations de présumés terroristes au Sénégal. Ce qui a le don d’exacerber la psychose latente et mettre davantage les forces de sécurité sur le qui-vive.
Attentats déjoués, présumés terroristes arrêtés
Deux jours après le communiqué de l’ambassade des Usa, les services de la Direction de la Police de l’Air et des Frontières (DPAF) interpellent, à Rosso, le nommé Mohamed AG A. M., de nationalité malienne, en provenance de la Mauritanie. Même si la police revient quelques jours plus tard, dans un communiqué, pour dire qu’aucune preuve ne lie l’interpellé à une activité terroriste. La découverte d’un abus sur la corniche Ouest le 23 octobre n’est pas pour arranger les choses. A cela s’ajoute l’information livrée par le journal “Le Témoin” selon laquelle un projet d’attentat a été déjoué. Des malfaiteurs affiliés au groupe Ansar Dine voulaient opérer le 4 avril et le jour de la Tabaski.
“Des faits qui sont avérés”, confirment à Seneweb des sources policières. En effet, le jeudi 23 février 2017, la police sénégalaise arrête à Dakar « deux présumés jihadistes maliens ». L’un, Ould Sidi Mouhamed Sina, né en 1974 à Tombouctou, a été surpris dans une auberge à la Cité Keur Damel à Dakar par un détachement de la Brigade d’intervention polyvalente de la police (Bip). L’autre, répondant au nom de Ould Ame Sidalamine, né en 1982 et résidant à l’Unité 26 des Parcelles Assainies (Dakar), est interpellé à la gare routière des Baux-Maraichers, à bord du véhicule de marque Hyundai immatriculé en Gambie.
L’enquête confiée à la Division des investigations criminelles (Dic) révèle que ce dernier était formellement le contact d’Ould Nouini, planificateur des attentats de Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), et avait un contact avec Moustapha Diatta, terroriste présumé précédemment arrêté par la Dic. Le 29 mars 2017, deux ressortissants marocains “supposés liés à l’Etat islamique, recherchés par plusieurs pays”, sont, à leur tour, arrêtés à l’aéroport de Dakar. Ils venaient d’arriver de la Turquie. L’un était également soupçonné d’être lié à l’attentat de Grand Bassam en Côte d’Ivoire.
Le lundi 10 avril 2017, un Nigérian, «connu des services de renseignements de son pays qui le recherchaient pour terrorisme», selon la police, est cloué à sa sortie de l’ambassade du Nigeria, sur dénonciation de la représentation diplomatique. Après un séjour de plusieurs mois en Mauritanie, il résidait dans la capitale sénégalaise, plus précisément dans le quartier des Parcelles assainies, «dans le seul but de recruter des terroristes pour le compte de Boko Haram», précise la police. De quoi inquiéter plus d’un.
De la crédibilité de l’alerte américaine
Depuis la sortie du communiqué de l’ambassade des Etats-Unis, plusieurs personnes dissertent sur la crédibilité ou non de cette alerte. Et pourtant, ce n’est pas la première fois que l’ambassade des Usa avertit ses ressortissants sur des menaces terroristes. Le jeudi 10 février 2011, en effet, une semaine après l’arrestation, à Podor, d’un terroriste membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), suite à l’attentat manqué de l’ambassade de la France en Mauritanie, Mme Marcia Bernicat, alors ambassadrice des Usa au Sénégal, avait sorti une note pour alerter les Américains.
«Même si la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal est nette, elle est poreuse et la possibilité d’actes terroristes dans cette zone est réelle. Nous demandons expressément aux ressortissants américains qui résident ou qui voyagent dans la partie nord du Sénégal, particulièrement le long du fleuve Sénégal qui est la frontière entre les deux pays, d’être prudents et de prendre les mesures préventives qui s’imposent pour leur propre sécurité», écrivait-elle. Quelques jours plus tard, un terroriste s’était fait exploser à la dynamite dans cette partie Nord du Sénégal pour éviter d’être arrêté.
Moins grave, à dix jours de la tenue des élections législatives du 30 juillet dernier, l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal avait sorti une note pour recommander à ses ressortissants d’éviter les lieux où se tiennent des manifestations et de doubler de vigilance quant à leur sécurité aux abords des zones de tension. Les citoyens américains étaient invités à visiter le site du Département d’Etat, pour des précautions d’usage, des alertes voyages et autres informations particulières sur le Sénégal. Une manière de dire que les Usa ont l’habitude de ce type d’alerte.
La porosité de nos frontières, un facteur détonnant
La porosité des frontières sénégalaises fait que depuis 2004, les terroristes ne cessent de circuler au Sénégal après avoir perpétré des attentats ou pour en préparer. On se rappelle que deux Sénégalais, soupçonnés d’être des recrues d’Al Qaïda, avaient été arrêtés avec des explosifs par le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign) près du restaurant «Le Taïf» des Parcelles Assainies, en avril 2004. Gardés à la brigade de gendarmerie de Thiong, ils avaient été inculpés par le Doyen des juges d’alors, Seynabou Ndiaye Diakhaté (actuelle présidente de l’ Office national de lutte contre la fraude et corruption, Ofnac), pour «atteinte à la sûreté de l’Etat et détention d’explosifs» avant d’être placés sous mandat de dépôt à la prison de Rebeuss.
L’un d’eux, El Hadji Malick Mbengue, libéré après avoir purgé 9 ans de prison, a été arrêté à nouveau en novembre 2014 parce qu’il s’était présenté aux ambassades de la France et des Etats-Unis pour leur “vendre” une information. Il déclarait avoir été contacté par un algérien du nom Samir Youssef Benzedine pour lui procurer de faux papiers, ce dernier voulant perpétrer un attentat au Sénégal. El Hadji Malick Mbengue avait été arrêté pour “tentative d’extorsion de fonds”, les autorités judiciaires ayant pensé qu’il était un maître-chanteur.
Toujours en 2004, les services marocains s’étaient rendu compte que des terroristes ayant perpétré un attentat au Maroc avaient fait un séjour à Saly au Sénégal. Alertés, les forces de sécurité sénégalaises avaient ratissé la zone, mais les combattants avaient déjà décampé. A l’époque Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) n’était pas encore né. En 2007, à peine après sa création, Aqmi avait signé l’un de ses premiers attentats en assassinant des touristes français dans la localité d’Aleg, en Mauritanie. Les terroristes avaient ensuite fait un bref séjour au Sénégal. Localisés à Dakar, ils avaient été pistés et arrêtés en Guinée-Bissau par les services de renseignement français.
Le Sénégal dans le collimateur des jihadistes depuis 2010
Ce n’est qu’en 2010 que le Sénégal a commencé à être dans le collimateur d’Aqmi. En effet, le 29 mai 2010, Moulay Abdelhani Nadane, Sidy Mohamed et Mohamed Brigh Nadane, trois ressortissants marocains, membres d’Al-Qaïda, âgés de 30 à 35 ans, avaient été arrêtés à l’Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar, alors qu’ils étaient en transit vers la Somalie. Ils devaient se rendre dans un camp d’entraînement en Somalie pour préparer des attentats en Irak, en Afghanistan et au Maroc. Malgré l’opposition farouche de leur avocat, Me Assane Dioma Ndiaye, et une bataille de procédure de quelques mois, ils avaient été extradés vers le Maroc dans la nuit du lundi au mardi 21 septembre 2010 par le vol AT 502 de la Royal Air Maroc (Ram). Le président Wade avait tardé à signer le décret d’extradition après le feu vert donné par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar. Est-ce que c’était par crainte de représailles ? En tout cas, aussitôt après, la sécurité présidentielle avait été renforcée par des éléments de la Brigade d’intervention polyvalente de la police (Bip) et du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign). Plus tard, trois autres terroristes Mauritaniens avaient été extradés.
Le Sénégal menacé ouvertement
Quelques semaines après la constitution du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, annoncée le 03 mars 2017, son émir, Iyad Ag Ghaly, ancien fondateur du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA) puis d’Ansar Dine, a accordé un entretien à la revue hebdomadaire d’Al Qaida dans la péninsule arabique. Dans cette interview, il a dressé une liste de onze pays «ennemis». Le Sénégal, jusque-là épargné par les terroristes, en fait partie. L’ancien chef d’Ansar Dine, devenu commandant de la nouvelle organisation jihadistes née de la fusion de quatre groupes dont le sien, Al Mourabitoun, Aqmi dans le Sahara et la brigade du Macina, déclare que tous les pays alliés de la France dans la guerre au Mali sont dans l’œil du cyclone.
Il a cité les Etats-Unis, l’Allemagne, les pays bas, la Suède, le Tchad, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger et le Sénégal. Depuis lors, le Sénégal a renforcé la surveillance de son territoire, tout en continuant d’envoyer des soldats au Mali, d’abord dans le cadre de l’opération Serval dirigée par la France, puis dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Et de potentiels terroristes ne cessent d’être interceptés, soit à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, soit à Saly ou au Nord du pays. Preuve que le Sénégal est bien dans le viseur des terroristes et les autorités le savent très bien. Mais comme l’a dit la patronne du Bureau des relations publiques (Brp) de la police, le commissaire Tabara Ndiaye, la sécurité est une affaire de tous. Les populations sont donc appelées à redoubler de vigilance.