Après dix mois de détention provisoire, Tariq Ramadan, mis en examen pour trois viols dont l’un en Suisse, retrouve la liberté mais a perdu l’essentiel de ses soutiens.
Personne n’aurait parié un kopeck, au début de cette semaine, sur une possible remise en liberté de Tariq Ramadan, mis en examen pour viols et incarcéré depuis le 2 février 2018. C’est pourtant chose faite, ce vendredi après-midi. Sa famille elle-même envisageait de nouvelles actions face aux refus répétés de la justice. L’audience de jeudi, un recours devant la cour d’appel de Paris après le quatrième rejet le 8 novembre d’une demande de libération, apparaissait presque comme une formalité. Ça n’a pas été le cas… mais un véritable coup de théâtre !
La cour d’appel de Paris a considéré jeudi soir, selon la décision que Libération a pu consulter, qu’il «n’était pas démontré que la détention provisoire serait encore l’unique moyen d’éviter une pression sur les témoins et les parties civiles ou de garantir son maintien à la disposition de la justice.» Exit aussi le risque de fuite à l’étranger, régulièrement avancé depuis dix mois pour refuser la remise en liberté du théologien. «Je n’ai pas à fuir, je suis totalement innocent de ce dont on m’accuse […] Je vais rester en France et défendre mon honneur et mon innocence», a déclaré, jeudi lors de l’audience, Tariq Ramadan qui a parlé plus de vingt minutes pour plaider sa cause. Fait très exceptionnel, celle-ci était publique. Sa fille Maryam et une dizaine de ses soutiens étaient notamment présents.
Plaignantes malmenées
La sortie de détention du prédicateur s’accompagne d’une remise de caution de 300 000 euros et de son passeport suisse, d’une interdiction de sortie du territoire et de prendre contact avec certains témoins et les plaignantes. Tariq Ramadan a également l’obligation de pointer une fois par semaine au commissariat et de résider en région parisienne. Des conditions, selon des sources proches du dossier, relativement sévères.
Pour les plaignantes, très malmenées sur les réseaux sociaux, la décision de la justice crée un vrai malaise et une grande inquiétude. Les unes et les autres ont fait part de leur crainte de subir des représailles. «Je n’ai pas dormi de la nuit et j’ai peur que l’on s’en prenne physiquement à moi», a confié, à Libération, vendredi, «Christelle» (un prénom d’emprunt), la deuxième femme à avoir porté plainte contre Tariq Ramadan en octobre 2017.
Reste également une inconnue concernant la procédure suisse. Début septembre, le théologien a été mis en examen à la suite d’une plainte pour viol, les faits remontant à octobre 2008. Pour le moment, selon des sources proches du dossier, il n’a toujours pas été entendu par le procureur qui devrait faire le déplacement en France. «Cela implique une coopération très bien huilée entre la France et la Suisse», soulignent des avocats. La défense de Ramadan mène à Genève une véritable guérilla judiciaire pour empêcher la victime présumée de s’exprimer. Ses avocats ont réclamé une mise sous silence des parties civiles qui n’ont pas le droit de parler publiquement sur cette affaire. Après deux rejets de cette demande, un recours fédéral a été récemment introduit.
Réputation ruinée
Pour Tariq Ramadan, la sortie de détention provisoire va aussi être un moment de vérité. Jusqu’à présent incarcéré à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) car il souffre d’une sclérose en plaques, le théologien n’a sans doute pas pris toute la mesure de la chute de son audience dans les milieux musulmans et le discrédit désormais attaché à sa personne. Depuis le printemps dernier, ses réseaux historiques en France et les milieux proches des Frères musulmans l’ont peu à peu lâché, choqués par les révélations sur sa double vie et ses pratiques sexuelles violentes, très peu conformes (et même interdites) au regard de la stricte morale islamique. La reconnaissance in fine, fin octobre, de relations sexuelles avec les deux plaignantes, ce qu’il niait vigoureusement depuis plus d’un an, a achevé, selon d’anciens proches du théologien, de ruiner sa réputation.
Considérablement rétréci, le cercle des soutiens à Ramadan est surtout actif sur les réseaux sociaux menant une bataille souvent violente et injurieuse contre les plaignantes. Malgré cet isolement, le théologien, selon des responsables musulmans, compterait tenter un retour sur la scène islamique. Contactée par Libération, la famille de Ramadan n’a pas donné d’indications sur ses projets immédiats ou s’il s’exprimerait prochainement dans les médias. «Nous n’avons pas encore assez d’informations pour vous répondre», a-t-elle fait savoir.
«Prisonnier politique»
Pour le théologien, l’urgence est surtout de renouer ses liens avec le Qatar qui a jusqu’à présent très généreusement financé ses activités et qui aurait aussi pris des distances ces derniers mois. L’émirat est le mécène de sa chaire à l’université d’Oxford dont il a été mis en congé, l’année dernière, à la suite des deux premières plaintes déposées contre lui. Toutefois son salaire a été maintenu tant qu’il n’a pas été pas condamné par la justice. Avant le déclenchement de l’affaire, Ramadan résidait une partie de l’année au Qatar où il dirige un centre de recherches sur l’éthique islamique, rattaché à l’université de Doha.
Discrédité en France, le théologien reste considéré à l’étranger. C’est là qu’il pourrait poursuivre à l’avenir ses activités. Fin octobre, sa fille Maryam, très investie dans sa défense, s’est rendue au Sénégal où elle a rencontré Serigné Mountakha MBacké, le chef de la très puissante confrérie des Mourides. Sur place, elle a répété à la presse que Tariq Ramadan était un prisonnier politique en France.