Il a disparu depuis 22 ans, mais Mame Abdou Aziz Sy est toujours présente dans l esprit des Sénégalais, toutes confessions et toutes confréries confondues. C est que le saint homme avait réussi à avoir quelque chose de très rare : l unanimité autour de lui.
1 – Khalife après des évènements malheureux à Tivaouane
Dans l intervalle de quatre jours, le 25 et le 29 mars 1957, Tivaouane est secoué par deux malheurs. La ville sainte a perdu deux khalifes. Seydi Aboubacar Sy, premier khalife de Seydi El Hadji Malick Sy qui avait succédé à son père en 1922, a rejoint son seigneur le 25 mars 1957. Il est succédé par son jeune frère El Hadji Mansour Sy (père de Serigne Mbaye Sy Mansour) alors âgé de 57 ans. Mais ce dernier devait tirer sa révérence quatre jours plus tard, soit le 29 mars 1957. C est dans ce contexte de deuil et d incertitude que Mame Abdou Aziz Sy “Dabakh” est devenu le troisième khalife général des tidianes.
2 – Une solide formation religieuses
Né en 1904 à Tivaouane, année de l’inauguration de la Grande Mosquée de Tivaouane (signe prémonitoire ou heureux hasard du calendrier) Serigne Abdoul Aziz Sy était le fils de El Hadji Malick Sy et de Sokhna Safiétou Niang. Il fit ses humanités auprès de Serigne Mouhamadoul Haddy Touré. Plus tard, il parcourut les centres d’excellence du pays pour parfaire sa culture, notamment le Daara de Mbacoumé, en plein cœur du Cayor. A 26 ans, armé d’une solide formation, il partit pour Saint -Louis, naguère haut lieu du savoir et passage obligé pour les férus de «Risâla» (ensemble de doctrines conformes à la sunna du Prophète et de ses Compagnons) et de «Bayân » (éloquence) où il eut comme tuteur Serigne Birahim Diop auprès de qui il resta pendant sept ans.3-Le trait d union entre Touba et Tivaouane
Mame Abdou Aziz Sy est apparenté aux khalifes de Touba. En effet, l un des fils de Mame Maharame Mbacké (arrière grand-père du fondateur du mouridisme), Mame Balla Aïcha Mbacké en l occurrence, est le père de Mame Mor Anta Sali Mbacké, qui est le père de Cheikh Ahmadou Bamba.Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh est le descendant de deux fils de Mame Maharame Mbacké, en l occurrence : Thierno Farimata Mbacké et Ahmad Farimata Mbacké. Thierno Farimata Mbacké est le père de Mame Khary Mbacké, mère de Ngagne Niang, père de Safiatou Niang, qui est la maman de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, né de son union avec El Hadj Malick Sy qui a grandement contribué à la propagation de la confrérie tidjane.De l autre côté, l ascendant direct de Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh ((Mame El Hadji Malick Sy) est le fils de Mame Fawad Wélé et de Serigne Ousmane Sy, lequel est le fils de Demba Bouna Sy et de Mame Maty Mbacké. Celle-ci est la fille d Ahmad Farimata, fils de Mame Maharame Mbacké.
4 – Il était marabout, grammairien, astrologue…
Serigne Abdou ou Mame Abdou, était doté de connaissances très solides dans beaucoup de domaines, notamment en lettres, grammaire, droit islamique, sciences, astrologie, relations humaines. Mais là où il s’est le plus illustré, c’est la solidarité, le social, l’amour d’autrui, le patriotisme. Il avait bien compris que la solidarité en Islam commençait par l’aide à son prochain, le partage des connaissances acquises. Ses connaissances étaient appréciés, même en dehors du pays. Il était sollicité partout, y compris dans des pays comme l’Arabie saoudite, le Maroc, la Mauritanie, les Usa, la France, etc. En 1965, il avait prononcé à la Mecque un discours mémorable au congrès islamique de La Mecque,.5-Exploitant agricole, poète et chanteurEl Hadj Abdoul Aziz Sy Dabbakh était également un agriculteur qui exploitait plusieurs domaines agricoles. Il était très souvent à Diaksao. En effet, il avait très tôt compris les enseignements de son père qui avait fait de la culture de la terre et du commerce son métier. Ce qui a valu à Mame Abdou, la médaille agricole à lui décernée en 1955 par le colonisateur.Par ailleurs, de par sa réputation de poète et de chanteur à la voix d’or, il a dirigé le chœur des disciples durant les nuits de Maouloud, sous la direction de Seydi Aboubacar Sy (Rta), premier khalife de Maodo Malick. Il a d’ailleurs maintenu la dynamique en dirigeant personnellement, aussi bien les séances de Bourde que le Maouloud, jusqu’au dernier Gamou qui a précédé de quelques mois son rappel à Dieu.
6 – Un homme qui faisait l unanimité
Dans l’entretien et la consolidation des relations entre confréries, voire les relations humaines, El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabbakh était un modèle. Il avait brisé toutes les cloisons qui pourraient l’éloigner d’un être humain, y compris ses compatriotes d’autres religions. En conséquence, il était aimé par tous ceux qui l’ont connu. En fervent partisan de la paix, il s’est personnellement, toujours et régulièrement, investi pour appeler à l’union des cœurs et des esprits, aux fins de l’instauration d’un climat social serein partout. À cet égard, il est régulièrement monté au créneau pour apaiser les esprits, pour dénoncer certains comportements et injustices et a toujours appelé à la solidarité, à l’unité, entre autres.
7-Adepte de la doctrine du «tappé xol yi»
Pacifique dans l’âme, Mame Abdou était un véritable régulateur social. Il a su, tout au long de son khalifat, s’impliquer pour éviter que le Sénégal bascule dans le chaos. «Mame Abdou» avait le don de désamorcer des bombes sociales. À chaque fois que le Sénégal était au bord de l’embrasement, il montait au créneau pour sauver la situation. Les Sénégalais, confrontés aux affres d’un quotidien plus dur que jamais, à une mal-gouvernance latente, à une dégradation des mœurs, à des inondations, à des coupures intempestives d’électricité, à un coût élevé de la vie…, ont l’esprit tourné vers le patriarche de Tivaouane. Ce n’est pas un hasard si les Sénégalais étaient unanimes à reconnaître son mérite. Tellement il avait le talent inné de fédérer les énergies. Chantre du «Tappé xol yi», son ombre plane, en ces périodes de doute et d’incertitude, sur le Sénégal. Aux dépenses faramineuses du pouvoir. Aux coupures intempestives d’électricité, aux détournements tous azimuts, aux inondations avec leurs cortèges de manifestations, au coût élevé de la vie, aux dépenses de prestige des tenants du pouvoir, à la prolifération des accouplements contre-nature et autres dégradations des mœurs, Mame Abdou se serait, sans nul doute, emparé de son bâton de pèlerin pour appeler les uns et les autres au retour à Dieu.
8 – Il avait dit non au “Lambada”
On se rappelle qu’au moment où la lambada (cette danse salace et impudique) faisait fureur, Mame Abdou s’était rendu personnellement au Palais de la République un soir pour solliciter l’implication du Président Abdou Diouf pour la faire interdire. Il avait obtenu gain de cause. Aussi, en fervent partisan de la paix, il s’était régulièrement investi pour appeler à l’union des cœurs et des esprits pour un climat social serein. Il est régulièrement monté au créneau pour apaiser les esprits, dénoncer certains comportements et injustices.
9 – Il détestait les clivages confrériques
Véridique, humble, respectueux et droit, le sage de Diacksao n’avait aucune frontière. Il n aimait pas les clivages confrériques et les combattait du mieux qu il pouvait, se déplacent vers les autres foyers religieux pour donner l exemple. De Touba à Ndiassane en passant par Niasséne, Diamalaye, Alwar, Thiénaba, Gaya ou encore aux «Badamiers» (villa de fonction de l’archevêque de Dakar), «Dabakh» était adulé partout. C’est que Mame Abdou était un homme multidimensionnel. La solidarité était son bréviaire. Le patriotisme son sacerdoce. L’amour de son prochain et le partage des connaissances sa raison de vivre.
10 – Lorsque la nature pleure sa mort
Le dimanche 14 septembre 1997, par une matinée brumeuse ou le soleil refuse de darder ses chauds rayons, le khalife général des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, rejoignait le royaume des cieux à l’âge de 93 ans. Il est né en 1904, à Tivaouane et a accédé au khalifat en 1957. Après quarante (40) ans (chiffre mythique et ô combien chargé de signification) au service de l’Islam et de la Tarikha, Serigne Abdou s’en est allé sur la pointe des pieds. C’est cet homme hors pair à tout point de vue que le Sénégal et la Umma islamique continuaient à pleurer. Des larmes qui ne sècheront jamais.