Mois de promotion, par excellence, pour les musulmans, le Ramadan rime avec la multiplication de gestes de solidarité et de partage. C’est dans cette logique que s’inscrit le fait de donner le «soukeurou koor» au Sénégal. A l’origine un simple acte de bienfaisance et de solidarité, cette pratique, dévoyée, est devenue, de nos jours, un lourd fardeau pour nombre de Sénégalais et, surtout, de Sénégalaises, allant même jusqu’à entamer la stabilité de certains ménages.
Peu importe les sacrifices et les moyens, c’est presque une obligation, dans certaines contrées et familles, pour les mariées d’offrir des mets, tissus et paniers biens garnis, le tout accompagné d’une importante somme d’argent à leurs belles-mères et belles-sœurs durant le mois béni. Gare à celle qui ne remplira pas ce «contrat». Car, la stabilité du couple en dépend, …par endroits. Des Sénégalaises témoignent.
Nous sommes à Dakar plus précisément à Fass Mbao. Le soleil est au zénith et l’arrêt de bus est bondé de personnes qui attendent tranquillement leur moyen de transport. Entre klaxons de voitures qui tantôt freinent de manière brutale, vrombissements de moteurs et fumée qui se dégage des de certains véhicules, l’atmosphère est bien chargée. Le trottoir est très animé, avec des navettes de marchands, étudiants, clients etc. La chaleur ne les empêche pas de vaquer à leurs occupations. Notre attention est captée par une dame qui valorise sa forte corpulence à travers un grand boubou blanc, harmonisé avec une noirceur étincelante, derrière un regard masqué par des lunettes de soleil. Mme Thiam, née Seynabou, s’exprimant sur le sujet, affirme que c’est tout à fait normal qu’une belle fille donne le «soukeurou koor» à sa belle-maman.
SEULE LA FEMME COMPREND LA COMPLEXITE DU «SOUKEUROU KOOR»
«C’est la coutume et il n’y a rien de mal à cela. Moi, j’ai 40 ans, jusqu’à présent, je le fais avec mes belles-sœurs comme mes beaux parents ne sont plus de ce monde. Mais, de leur vivant, je leurs offraient à la première semaine du mois bénis un panier bien garnies de denrées alimentaires. Et, je ne me limite pas à çà. Je livre ce panier toujours avec une enveloppe (contenant) une somme d’argent. Je n’ai jamais regretté, parce que c’est grâce aux efforts que je fais que je reste la favorisée des belles filles qui sont au nombre de cinq. Quand il y a une cérémonie, c’est toujours mes louanges qui sont chantées par les griots et c’est une grande fierté pour moi», confie Mme Thiam.
A côté d’elle, une vieille dame voilée, de teint clair, avec sa taille de nef, s’approche pour prendre part au débat. «Une belle-fille doit toujours donner des cadeaux à sa belle-mère, surtout le «soukeurou koor», ajoute Diama Mbaye. Et de renchérir: «la femme qui a mis au monde ton mari doit être une reine à tes yeux si tu tiens à être heureuse dans ton ménage. Nous sommes les noyaux des couples. Alors, si la belle-fille nous fait plaisir, nous nous ferons le tout pour que notre fils la rende heureuse; nous avons nos astuces pour cela (elle éclate de rire)», déclare-t-elle.
ENTRE COEPOUSES, LA CONCURRENCE EST TOTALE
Autre point de vue convergent, cette jeune femme de 34 ans soutien le «soukeurou koor», mais émet des réserves. Portant son enfant sur son dos, Fatou Niasse s’affaire autour de son étale. Elle est en plein décompte de ses caisses de fruit. Toutefois, elle révèle que c’est un phénomène très difficile à gérer car il est devenu un vrai casse-tête de nos jours. D’ailleurs, elle dit ne pas avoir le choix et gare à celle qui ne s’en acquitte pas … dans la famille. «Tu risques d’endurer beaucoup d’épreuves. Et, la plupart du temps, l’époux n’est même pas au courent car les coups bas c’est entre femmes. Ou, même s’il est informé aussi, il minimise les problèmes. Seule la femme peut être en mesure de comprendre la complexité de ce fameux «soukeurou koor». Je le donne depuis que je suis mariée, en 2008». Pour Fatou Niasse, les choses deviennent plus complexes quand on a une coépouse qui s’en est déjà acquitté et plusieurs belles-sœurs à satisfaire. C’est une rivalité qui s’installe. «Je dois donner des coupons de tissus à mes belles-sœurs qui sont au nombre huit, sans compter le panier et la somme d’argent que je dois à mes beaux-parents. Au moment où je vous parle, je ne l’ai pas encore livré et j’effectue des calculs à n’en pas finir. Ça me prend vraiment la tête, vu que j’ai une coépouse et c’est une concurrence totale. Mais, comme je vous ai dit, on n’a pas le choix, ainsi va la société», déplore-t-elle.
METTRE FIN A UN BUSINESS ENTRETENU PAR DES BELLES-MERES
Ndiaya Mbodj n’est pas dans cette mouvance, puisqu’elle n’offre le «soukeurou koor» qu’à sa mère seulement, juste au début du mois béni de Ramadan. «Je lui envoie un ravitaillement complet, avec tout les produits alimentaires pour l’assister. Surtout que je me dois de prendre en charge ses dépenses. Concernant ma famille conjugale, je n’ai qu’une belle-sœur et je ne lui ai jamais donné le «soukeurou koor». C’est de peur que ça deviennent une obligation une fois que je l’aurais fait, raison pour laquelle je ne me suis jamais aventurer à respecter cette coutume». Lika Ndong, la cinquantaine, partage la même position. Mieux, cette vendeuse de mangue déplore le phénomène. «Ce n’est pas normale que les épouses remuent ciel et terre rien que pour plaire à leurs belles-familles. Ce sont les belles-mamans aussi qui doivent changer le système. En sous estimant le «soukeurou kor», elles accablent leurs belles-filles, pour rien. Moi, personnellement, j’ai des belles-filles, mais je ne leurs exige rien. Par contre, moi je l’offrir à des nécessiteux», soutient la dame.
UNE PRATIQUE ANCREE DANS QUELQUES COMMUNAUTES SEULEMENT
Cependant, les coutumes ne sont pas les mêmes et les idéologies et pratiques diffèrent selon les personnes et les terroirs. C’est ce qu’explique Noa Diédhiou, un homme âgé de 62 ans, élancé avec une taille svelte, teint noir, le chapelet à la main. Habillé d’une chemise manche courte de couleur verte et d’un pantalon noir, avec ses sandales en cuir, il dit ne pas comprendre cette tradition. «Je ne vois çà qu’à Dakar et je ne sais pas vraiment à quoi ça sert. Nous les Diolas, nous ne connaissons pas çà. Mais nous offrons plutôt des denrées ou de l’argent à des démunies pendant le Ramadan, mais dans la discrétion».
«SOUKEUROU KOOR», UNE TRADITION DEVOYEE
Tradition ou condition à remplir pour consolider le ménage, le phénomène a tendance à prendre d’autres tournures parfois difficile à gérer surtout pour les jeunes mariées. Qui, au début, ne prennent pas le temps de poser et d’évaluer les conséquences à long terme. Or, à l’origine il s’agissait d’un simple acte de bienfaisance et de solidarité à l’endroit des plus démunis à l’occasion du mois de béni pour leur permettre de passer un bon Ramadan. Et, le sucre étant la denrée la plus utilisé durant cette période d’abstinence, les Sénégalais préféraient le donner comme cadeau, d’où la dénomination «soukeurou koor». Aussi, en son temps, les bouillis à base de mil surtout, de maïs, sorgho et riz constituaient les principaux aliments de base durant la période du mois de Ramadan, notamment les repas de début et de rupture du jeûne.