Après 14 jours de campagne électorale pour les Locales, les électeurs seront aux urnes, aujourd’hui, dimanche pour choisir leur maire et président de conseil départemental. Une joute politique, dont les enjeux se jouent entre Dakar, Ziguinchor, Thiès et Saint-Louis.
Clap de fin pour la campagne électorale. Les élections locales se tiennent ce dimanche 23 janvier, sur l’étendue du territoire national. Un scrutin local, dont l’opposition, surtout, a fait un enjeu national à mi-mandat du Président Macky Sall. Les enjeux sont énormes. Mais le gros de la bataille se joue entre Dakar, Thiès, Ziguinchor et Saint-Louis. La majorité présidentielle veut faire oublier le fiasco de ses candidats dans le département de Dakar, lors des Locales de 2014, jauger la valeur politique de l’entrisme de Idrissa Seck dans Benno bokk yakaar (Bby) et faire tomber tous les bastions de l’opposition dans ses rangs. Dans l’opposition, l’ambition présidentielle des uns et des autres fait que ces Locales ont une envergure nationale. «Le premier tour de la présidentielle de 2024», disent-ils. Ousmane Sonko s’est lancé dans la bataille de Ziguinchor pour conforter sa position de leader. Mais il s’agira surtout pour l’opposition de resserrer ses rangs avant les Législatives prévues en juin prochain.
Dakar, la bataille Capitale
Elle attire toutes les convoitises. Le souhait le plus partagé par opposition et majorité est de remporter haut la main la ville de Dakar. En lice, Abdoulaye Diouf Sarr (Bby), Barthélémy Dias (Yaw), Pape Diop (Bok Gis Gis), Mame Mbaye Niang (Sénégal 2035), Soham Wardini (Bunt Bi), Doudou Wade (Wallu Sénégal) se disputent la capitale. Une guerre de positionnement qui fait rage. Momar Thiam, Docteur en Communication et en Marketing politique, affirme que Dakar est un cas particulier, puisqu’il y a plusieurs candidats et pas des moindres.
«Ce sont des personnalités de premier rang, constate Dr Thiam. Abdoulaye Diouf Sarr pour la majorité présidentielle Benno bokk yakaar (Bby), Pape Diop qui est un ancien maire de Dakar, qui veut rempiler après avoir perdu la mairie, Barthélémy Dias qui est une des figures de l’opposition qui a géré une mairie où il a été estampillé meilleur maire du Sénégal et qui veut saisir la balle au rebond pour montrer qu’il a l’envergure pour occuper la capitale. Dans le cas de Pape Diop, s’il perd les élections à Dakar, il aura pris un coup pour ce qui est de ses ambitions nationales. S’il ne gagne pas Dakar, ce sera un désaveu cinglant pour lui. S’il gagne, ça lui donnera une envergure supplémentaire pour avoir les coudées franches pour se présenter en 2024.» Pour Diouf Sarr, Dr Thiam affirme que ce sera une bataille très regardée à deux points de vue : «d’abord c’est un ministre important du gouvernement, d’autant plus qu’il gère la santé et toute la pandémie et qu’il a pu bénéficier d’une visibilité supplémentaire avec la gestion de cette période covid. En plus de cela, il a été choisi par le président de la République. S’il gagne, ça lui donnera une stature supplémentaire, au point de pouvoir avoir un statut de premier ministre. Mais on voit mal un Premier ministre être maire de Dakar, d’autant plus que lui, semble-t-il, aurait indiqué que s’il gagne la mairie, il va démissionner. Par contre, s’il perd, il perd double parce qu’il n’aura plus de représentativité politique et ensuite, il aura perdu son poste de ministre de la République et la confiance du président de la République.»
Pour Moussa Diaw, Docteur en Sciences politiques, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), l’enjeu de la capitale, c’est d’abord sa taille importante dans le fichier électoral. «Dakar, c’est le quart de l’électorat, insiste-t-il. C’est un symbole qui est sous le contrôle de l’opposition. Il y a la majorité qui a investi autour de Abdoulaye Diouf Sarr. Il y a un rapport de forces. Dakar est une ville symbolique. C’est une ville qui représente un électorat important du pays. Il y a aussi sa dimension internationale. Ce qui explique les rivalités, la capacité de mobilisation des uns et des autres, les invectives, les projets. Comment les Dakarois vont réagir par rapport à tout cela, par rapport aux candidats ? C’est cela la grande question. Ces élections ne se gagnent pas en termes de mobilisation, de spectacle. On a mobilisé beaucoup de ressources pour espérer gagner. Chacun se prépare et considère qu’il est en bonne position, mais en dernier lieu, ce sont les Dakarois qui vont décider.» Il y a aussi, selon lui, la dimension affective par rapport à la personnalité de l’homme politique, par rapport à son engagement, son courage politique et par rapport aussi à des résultats.»
Ziguinchor, Sonko face à son destin
A Ziguinchor, se joue le destin politique d’un leader incontesté de l’opposition. Opposant le plus radical au régime de Macky Sall et seul chef de file d’un parti de la coalition Yewwi Askan Wi, engagé dans les Locales, Ousmane Sonko semble jouer son va-tout. Le président de Pastef est presque contraint de gagner ces Locales dans son fief pour crédibiliser davantage sa candidature à la Présidentielle de 2024. Dans ce mortal kombat, il fera face au maire sortant, Abdoulaye Baldé et au candidat de Bby, Benoit Sambou.
Dr Diaw : «A Ziguinchor, ce qui attire l’attention, c’est le choix de Ousmane Sonko, un leader politique qui aspire à gouverner le pays et qui a fait le choix de se présenter à Ziguinchor. C’est fait à dessein parce que c’est en fonction des résultats qu’il a obtenus dans cette ville-là pendant l’élection présidentielle. Il considère qu’il a une base confortable qui lui permettrait d’avoir une bonne assise au niveau local et après, au niveau national. Si jamais il échoue, ça veut dire que tous ses projets risquent d’être remis en cause. C’est pourquoi il fait un travail de terrain. Connaissant les réalités et les problèmes, il fait des propositions. Il mobilise autour de sa coalition. Au niveau national, il est considéré comme le leader de l’opposition, même si on ne lui reconnaît pas ce droit-là. Ce sera un test pour lui. Sonko joue sa survie politique. Il veut relever le défi de la mobilisation et d’un ancrage politique. C’est très symbolique. C’est sur cette base qu’il va construire son avenir politique autour de sa dimension politique.» Dr Thiam s’engouffre dans la même brèche.
«Ousmane Sonko qui est arrivé 3e à la Présidentielle, se présente à Ziguinchor, histoire de solidifier davantage son électorat là-bas. Mais même s’il est arrivé 3e à la Présidentielle, s’il perd son combat à Ziguinchor, ce sera un désaveu cinglant et il donnera l’opportunité à Bby de dire qu’il n’est pas capable de gagner la ville de Ziguinchor pour pouvoir gérer localement cette ville. Il lui faudra donc revoir son ambition présidentielle et donc, il ne sera pas capable de gérer une présidence de la République, mais on a vu que Wade a été président de la République, sans jamais être maire. Ce n’est pas forcément une hypothèse qui pourrait être retenue. Par contre, il perdra gros parce que c’est une figure de proue de l’opposition. Il sera affaibli politiquement parce qu’il aura perdu une bataille et pas des moindres. Avec cette affaire pendante devant la justice, il sera très affaibli en tant qu’homme politique ayant des prétentions présidentielles.
Thiès, la caution ou non de l’entrisme de Idy
’est la première élection après son ralliement à la majorité présidentielle. Idrissa Seck qui a rejoint officiellement Macky Sall en novembre 2019, va montrer s’il détient toujours l’électorat thiessois. Pour cette-fois, il n’est pas candidat. Idy et son allié ont misé sur un des lieutenants du Président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Yankhoba Diattara. Ce dernier qui a en face de lui le maire-sortant, Talla Sylla, les deux candidats de l’opposition, Moussa Tine et Dr Babacar Diop, devra batailler ferme pour tenir le rang de son leader et montrer que leur entrisme dans la majorité n’est que bénéfice pour Macky Sall, président de la majorité.
Dr Momar Thiam : «Ce qui est étonnant, c’est l’énigme pour ne pas dire la problématique Idrissa Seck qui a rejoint la majorité présidentielle, semble-t-il, sans l’aval de ses colistiers au niveau de Rewmi. On peut imaginer que quelque part, il y a une certaine désaffection, un certain désamour de ses adhérents et de ses militants au niveau de Rewmi au point de faire un vote sanction, ne serait-ce que pour le candidat de Rewmi ou de la majorité présidentielle au niveau de Thiès. Imaginons que la majorité ne gagne pas Thiès, on dira que c’est certainement à cause du ralliement de Idrissa Seck, puisque la majorité des adhérents de Rewmi a voté contre lui et ce sera un désaveu, même pour le président de la République, qui aura quelque part raté sa cible, parce qu’en prenant Idrissa Seck, il pensait en même temps, qu’il pourrait rafler la mise à Thiès qui est jusque-là patron du département. S’il gagne, évidemment, la conclusion ce sera de dire que c’est parce qu’il a Idrissa avec lui.» Au-delà de cet aspect, Dr Diaw soutient que l’issue de ces élections sera aussi déterminante pour la suite de la carrière de Idy.
Il s’en explique : «C’était le fief de Idrissa Seck. Mais est ce que Idrissa Seck qui a rejoint la majorité ? Il a désigné un de ses lieutenants, en la personne de Yankhoba Diattara, dans le giron de Idrissa Seck. Est-ce que les Thiessois qui, apparemment, ne sont pas contents parce qu’ils ont toujours cru à un discours et subrepticement, il rejoint la majorité, vont lui pardonner cela ou vont-ils le sanctionner ? Si jamais ils le sanctionnent et que Thiès tombe dans l’opposition, ça veut dire que Idrissa Seck aura perdu de son alliance avec la majorité et son avenir politique restera très restreint. Déjà il ne se fait pas d’illusion par rapport à l’avenir.»
Saint-Louis, Mansour Faye et l’épine Mary Teuw Niane
A Saint-Louis, la bataille oppose deux leaders d’un même camp. Le maire sortant, Mansour Faye, fera face à Mary Teuw Niane, tous deux de l’Alliance pour la république (Apr). Un combat qui sera âprement disputé. Pour Dr Thiam, le cas de Saint-Louis est un peu atypique.
«C’est le maire sortant, Mansour Faye, non moins beau-frère du président de la République, qui se représente en face d’un membre de l’Apr, ancien ministre, en la personne de Mary Teuw Niane. On a vu la campagne de Mary Teuw Niane qui était axée sur une dénonciation tous azimuts de la pratique politique de Mansour Faye, en parlant de fortune amassée indûment, mais aussi sur les propositions qui vont à l’encontre de la gestion locale de Mansour Faye. A partir du moment où c’est une personnalité de premier plan qui a un bon ancrage local, puisqu’il est de Saint-Louis, on peut penser qu’il a de fortes chances de gagner. S’il gagne, ce sera un désaveu cinglant de Mansour Faye, mais aussi pour le président de la République, qui l’a choisi. Ce sera une onde de choc assez considérable dans la majorité présidentielle au point pour le Président de revoir ses cartes et de commencer par la consigne qui dit que les investis qui ne gagnent pas perdent leur poste. Il peut y avoir des remous à ce niveau», explique en détails, Dr Momar Thiam.
Dr Moussa Diaw rajoute : «La ville est dirigée par le beau-frère du Président. Une grande ville de plus de 200 000 habitants a besoin d’un maire permanent qui soit présent quand on a besoin de lui, mais pas un maire-ministre. Avec les perspectives économiques, il y a le pétrole avec les puits partagés avec la Mauritanie. Il y a des enjeux économiques à venir. Il y a en face de lui Mary Teuw Niane qui est de Bango, qui connaît bien les réalités, qui a été ministre et qui mobilise aussi. En plus de cela, il y a la candidature de Abba Mbaye de Yewwi Askan Wi. Il y a une forte mobilisation autour de lui.»
IGFM