Même si la sentence de la mort atroce et inattendue de son mari qu’elle tente de surmonter avec l’aide des siens et la foi en Dieu ne suffisait pas, la veuve de feu Cheikh Tidiane Diop est contrainte d’affronter, pour pouvoir la surmonter, l’épreuve de devoir passer des nuits blanches à consoler son enfant de 2 ans et 9 mois cloué, depuis longtemps, au lit, par une maladie pulmonaire tenace mais aussi et surtout, trouver les moyens nécessaires pour le guérir de ses pathologies qui se sont aggravées depuis la mort de son pater.
Affligée mais digne dans la douleur et en compagnie de son enfant qui, bien que malade, joue avec le ballon que son grand-père lui a offert, Mariame Guissé s’est fait violence pour s’entretenir de la vie partagée avec son défunt mari, Cheikh Tidiane Diop. Témoignage.
«Je m’appelle Mariame Guissé, j’ai 42 ans. Cheikh et moi sommes mariés depuis juin 2016. Je travaillais au ministère du Tourisme, comme agent de collecte et de traitement des données statistiques, de 2008 à 2016. Les difficultés inhérentes aux arriérés de salaires qu’on nous devait, ont coïncidé avec ma grossesse. Sur injonction de Cheikh, j’ai finalement abandonné le travail.
Par la suite, l’on a connu une véritable descente aux enfers marquée par des jours sans repas, des arriérés de loyer, des menaces d’expulsion de notre appartement. Toutefois, loin de nous éloigner, les difficultés auxquelles on faisait face et l’affection qu’on avait pour notre enfant, constituaient à la fois une force de résistance aux vicissitudes de la vie et la foi en un avenir beaucoup plus prometteur. On s’entraidait et se conseillait mutuellement.
Pour le ménager des charges familiales essentielles, j’ai dû retourner à Saint-Louis, chez mes parents, au quartier Pikine. Une semaine avant le Magal de Touba, il était venu nous rendre visite. Cheikh était papa-poule et ne vivait que pour le bonheur de sa famille au sens large du terme. Tout le monde le connaissait à Pikine, du fait notamment, de son abord facile, sa modestie et son sens de l’humain.
« J’ai dû interrompre les traitements de mon fils à l’hôpital Albert Royer »
Avant de retourner à Dakar, il m’a encouragée, me demandant de tenir le coup et de garder espoir d’une indemnisation destinée à compenser son amputation. Il m’avait dit qu’il avait rendez-vous avec l’Agent judiciaire de l’Etat. Ce qui le préoccupait, c’était de disposer de l’argent pour assurer les frais médicaux de notre enfant qui souffre terriblement d’une maladie des poumons. Manquant de moyens, on a dû interrompre les traitements à l’hôpital Albert Royer. Les toux et l’état clinique dans lequel vous le voyez, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Un liquide puant et purulent sort de ses oreilles, il souffre des amygdales et tousse douloureusement.
Hier nuit, je n’ai pas fermé l’œil (Sa grande sœur s’immisce dans l’entretien pour confirmer), car je pensais que Habib allait rejoindre son père. Des 6 médicaments qui lui ont été prescrits, (Elle exhibe l’ordonnance), je n’ai pu acheter que les 2 plus essentiels. J’aurais juré sur le Saint Coran que mon époux n’allait jamais franchir le Rubicon d’abréger sa vie, car il a vécu plus dur, avec l’amputation de son bras. C’était un vrai talibé Tidiane et le jour de son baptême, c’est son homonyme, Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, qui le tenait dans ses bras et lui a donné son nom.
En un moment donné, il n’avait plus voulu sortir, pour s’exposer au regard des gens, mais à force de le sensibiliser et de lui exprimer mon affection, il avait repris du courage pour vivre pleinement sa vie, sans aucun complexe.
« C’est par le truchement des médias que j’ai su que mon mari s’est immolé »
Comme la plupart des Sénégalais, c’est par le truchement des médias que j’ai appris la nouvelle de son immolation aux abords du Palais. Je n’aurais jamais imaginé qu’il s’agissait de mon époux. J’ai même commenté la nouvelle comme un fait de société des temps modernes.
La nouvelle de son immolation m’a été confirmée par sa sœur, le lendemain. J’étais sous le choc, le sol semblait se dérober sous mes pieds et je ne sais comment j’ai quitté Saint-Louis pour rallier Dakar, le samedi.
Le dimanche matin, quand je me suis rendu à l’hôpital, l’on m’a fait attendre longtemps, sous prétexte qu’il était en train de recevoir des soins. Lorsqu’on m’autorisa à entrer dans la salle de réanimation, Habiboulaye a poussé un cri, avant de pleurer à chaudes larmes. Sur ce, je me suis dit que ce que je craignais a dû se produire. Pourquoi un enfant, d’habitude prompt à se jeter dans les bras de son père, adoptait une telle attitude, chaque fois que je voulais franchir la salle de réanimation. Je l’ai confié à quelqu’un pour entrer, avant que l’on ne m’annonce la nouvelle du décès de Cheikh.
« Il était plus qu’un époux pour moi »
Cheikh était plus qu’un époux pour moi. On était très proches et je demande encore pourquoi il a agi de la sorte. S’il s’était confié à moi ou à son père, avant de poser son acte fatal, il ne l’aurait jamais fait, car il était réceptif aux conseils et vouait une obéissance hors du commun à son père.
Je ne peux dire exactement s’il a été débouté de sa requête d’indemnisation ou pas. Je ne sais pas non plus, s’il y a droit ou pas. Dieu seul sait. Il ne me reste plus qu’à m’en remettre à Lui et prier pour qu’Il ait pitié de l’âme de Cheikh. Tout ce qui me préoccupe actuellement, c’est de voir notre fils guérir de sa maladie pour pouvoir grandir, vivre longtemps, et perpétuer l’œuvre de son père que j’aimais par-dessus tout et qui me le rendait de façon exemplaire.