Le cas Sidy Lamine Niass n’est pas isolé. Les polémiques au sujet des lieux d’inhumation de personnes décédées sont fréquentes au Sénégal.
Sidy Lamine Niass a été inhumé hier, vendredi 7 décembre, à Léona Niassène. Soit trois jours après son décès. Au terme d’une rude bataille entre ascendants et descendants du défunt au sujet du lieu où doit reposer le fondateur du groupe de presse Wal fadjri.
Cheikh Niass, fils de Sidy Lamine Niass, derrière lui ses frères et sœurs ainsi que les veuves de ce dernier, voulait inhumer son père au cimetière de Yoff, à Dakar, parce que, dit-il, c’était sa dernière volonté.
Quant au grand frère du disparu, Ahmed Khalifa Niass, et les khalifes généraux de Léona Niassène et Médina Baay, il est inconcevable que Sidy Lamine repose ailleurs qu’à Léona, à Kaolack. Précisément au mausolée de son père et de son grand-père.
Le sujet était l’objet de discussions dans les grands-places et autres lieux de rencontres. Kaolack prendra le dessus sur Dakar.
Avant Sidy, Serigne Mamoune…
Cette polémique n’est pas une première du genre au Sénégal. Certes, du fait de la dimension de Sidy Lamine et au vu du positionnement de son groupe de presse, Wal fadjri, l’affaire a été fortement médiatisée. Sinon, le pays en a connu d’autres. D’abord, dans cette même famille niassène. D’ailleurs, l’histoire semble se répéter à ce niveau.
Guide religieux et homme politique, Serigne Mamoune Niass, fils de Baye Niass, a disparu le vendredi 28 octobre 2011. De son vivant, il a souhaité être enterré à Kossi, village fondé par son père et situé à 9 km de Kaolack. Son désir était de reposer aux côtés de sa mère, Sokhna Fatim Diagne. Son fils ainé, Baye Mamoune Niass, est monté au créneau pour que la volonté de son père soit respectée. L’enterrement, prévu initialement le samedi 29 octobre, n’a eu lieu que le lendemain. Mais, au finish, la volonté du khalife général de Médina Baye et de ses frères s’est imposée.
Comme Léona aujourd’hui, Madina Baye avait estimé, à l’époque, que l’ensemble des fils de Baye Niass doivent trouver leur dernière demeure dans le mausolée du père.
Senghor : Bel Air 1-Joal 0
Cependant, cette question est loin d’être une exclusivité religieuse. L’on se souvient encore de la polémique qui a accompagné l’enterrement de Léopold Sédar Senghor. Lorsqu’il a été décidé de l’enterrer à Bel Air, Joal, sa ville natale, a protesté, exigeant que la dépouille de l’enfant prodige retourne au bercail. Un caveau a même été creusé, sur recommandation de Senghor, disait-on, parce que ce dernier souhaitait trouver sa dernière demeure auprès des siens.
L’enterrement ayant été prévu le 29 décembre, la population de Joal avait organisé une marche le dimanche 23 décembre, sans compter la délégation des sages envoyés à Dakar pour rencontrer la famille de Senghor.
Aujourd’hui encore, après plus d’une décennie, Joal ne digère toujours pas l’affront et ne compte pas lâcher du lest.
En avril 2014, L’Observateur a publié un article dans lequel la ville de Diogoye Senghor continue de réclamer son fils. Joal demande que le corps soit exhumé et rapatrié.
Étienne Dieng, conservateur du musée Senghor, et Cie soutiennent encore que la volonté de Senghor a été d’être enterré dans sa terre natale. « Soit ils n’avaient pas cette information relative aux dernières recommandations de Senghor, ce qui, à mon avis, est peu probable, soit ils ont fait fi de cette volonté, pour des raisons purement politiques, pronostique Dieng. Et si c’est le cas, alors c’est grave. Car, au-delà des recommandations de Senghor, ce sont aussi les aspirations et droits de toute une communauté qui sont ignorés. »
Même si la probabilité que la revendication aboutisse, semble minime, pour ne pas dire nulle, Étienne Dieng, lui, y croit dur comme fer et révèle une initiative déjà prise.
Il dit : « Je suis persuadé que les choses ne resteront pas en l’état, car de plus en plus, les habitants prennent conscience et s’organisent pacifiquement pour obtenir le rapatriement du corps de Senghor à Joal. Il y a peu de temps, la question a été soumise à l’appréciation des responsables de l’église locale, à charge pour elle de poursuivre la réflexion à un niveau supérieur. »
Mouss Diouf repose à Marseille
L’acteur Moustapha Diouf, plus connu sous le nom Mouss Diouf (série Julie Lescaut), a connu le même sort. A sa mort, sa dépouille a fait l’objet d’une polémique entre sa femme et son père. Sandrine Diouf a voulu enterrer son mari à Marseille, à ses côtés, alors que le père, qui l’accusait d’avoir confisqué son fils, même de son vivant, voulait que le corps lui soit restitué pour qu’il l’inhume au Sénégal. Mouss Diouf repose depuis 2013 à Marseille.
A côté des personnalités, il y a aussi les anonymes. Parmi eux, Grégoire Sarr. En 2011, le Sénégal a vécu à nouveau l’histoire de Guelwar, non pas en film, mais dans la vie réelle, à la morgue de l’hôpital Fann. Ce jour-là, deux communautés se disputaient le corps de Grégoire.
D’un côté sa famille chrétienne, de l’autre ses frères musulmans. La première, considérant le défunt comme son fils, voulait l’enterrer selon les rites chrétiens ; les seconds, partant du fait que Grégoire s’était converti à l’islam pour devenir Demba Sarr, voulaient l’inhumer selon les règles musulmanes. Face à la tension, la levée du corps a été reportée et les lieux placés sous surveillance policière.
Réfane résiste à la Chine
A Réfane, par contre, il s’est posé un problème de culture, en juin 2017. Lorsque le Chinois Chuan Rua Chen, ouvrier dans un chantier de la localité, est décédé, ses compatriotes ont voulu l’incinérer, parce qu’ils n’ont pas les moyens de le rapatrier. Mais les Sénégalais s’y sont opposés, parce que c’est inadmissible, à leurs yeux. En réponse à la polémique grandissante, l’entreprise chinoise a finalement décidé de le rapatrier au pays où son corps sera brûlé, puisque la Chine a un déficit de cimetières qui ne lui permet pas d’enterrer tous ses morts.