Serigne Mboup,Président de l’UNCCIAS: «Le Cnp, le Cnes, le Mdes…, ne doivent pas se proclamer représentants du secteur privé»

 Serigne Mboup,Président de l’UNCCIAS: «Le Cnp, le Cnes, le Mdes…, ne doivent pas se proclamer représentants du secteur privé»

Nouvellement élu président de l’Union nationale des Chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture du Sénégal (Unccias), Serigne Mboup livre dans cet entretien sa feuille de route. Le président du Groupe Comptoir commercial Bara Mboup (Ccbm) aborde également la problématique de la représentation du secteur privé, entre autres sujets.

 
Ces derniers jours, vous avez été débouté par l’Armp dans un marché de fourniture de véhicules ; on dirait que le marché de véhicules ne vous réussit pas ?
Ccbm Automobiles a été créé en 2008, c’est la dernière née des concessionnaires automobiles. C’est vrai qu’entre 2008 et 2012, on était bien soutenu(s) par le pouvoir en place, mais c’étaient des achats personnels du Président Abdoulaye Wade. Hormis les marchés de l’Assemblée nationale, il s’agissait surtout d’achats personnels de l’ancien Président. Mais après 2012, la donne a changé. L’actuel Président nous achète des voitures, mais pas dans les mêmes proportions. Nous avons toujours participé aux appels d’offres, mais on ne maîtrisait pas vraiment la procédure. Désormais, nous savons comment ça se passe.
C’est pour cette raison que faisons constamment des recours. Les autres concessionnaires ne nous prenaient pas trop au sérieux, parce qu’on était plutôt novice. Mais en voyant que nous sommes de plus en plus rigoureux, ils essaient de nous bloquer. Et contrairement à ce que les gens pensent, nous avons gagné plus de marchés publics entre 2012 et aujourd’hui qu’entre 2008 et 2012. Nous sommes beaucoup plus présents, dynamiques et aguerris, parce qu’en matière économique, il faut savoir s’adapter. Si l’Etat n’achète plus nos produits, nous allons développer une autre stratégie. C’est vrai que nous avons été déboutés dans l’un des marchés, mais en même temps, on nous a donnés raison pour un autre marché. Le plus important, c’est que nous ne contestons pas l’indépendance de l’Armp, mais chacun est libre de commenter.
A votre avis, pourquoi avez-vous été débouté, est-ce que votre dossier a respecté tous les termes de l’appel d’offres ?
Pour nous tout a été conforme, mais nous avons constaté qu’il y a eu un certain manque d’impartialité. Dès le début, nous avons signifié au ministre que les spécifications du dossier d’appel d’offres étaient orientées vers une marque précise. Nous ne disons pas que l’Etat ne doit pas choisir, les ententes directes sont prévues et ne sont pas une violation du Code des marchés publics. Ce qui est une violation, c’est de vouloir acheter une marque précise et passer par un appel d’offres pour se couvrir et tromper les gens. Choisir une marque avant même de lancer l’appel d’offres, c’est cela que nous combattons.
Il faut respecter la réglementation. En résumé, on m’a débouté sur un document qui ne faisait pas partie des papiers dans l’appel d’offres. C’est un document de conformité qui devrait être présenté au moment de la livraison du produit. Dans cette affaire, l’Etat a acheté des voitures plus chères, moins performantes et plus polluantes. Aussi, l’Etat a écarté la production nationale car les voitures que j’ai proposées sont montées au Sénégal sur une licence koréenne.
Et que comptez-vous faire, allez-vous saisir la Cour suprême ?
Ccbm fonctionne même sans Serigne Mboup, je ne signe même pas les dossiers pour les appels d’offres. Aujourd’hui, mes services vont analyser, s’il y a nécessité de saisir la Cour suprême, ils le feront. Mais ce sera en dernier ressort, ce n’est pas à moi de décider.
Vous avez eu un différend avec TSE de Cheikh Amar au sujet d’un marché de fourniture de voitures, comment cela s’est-il  terminé ?
La contestation est importante, il s’agissait d’un marché de 615 véhicules qui a été attribué à Tse. Lorsque nous avons contesté, l’Armp a vu que notre recours était légitime et nous a donné les 215 véhicules. Nous avons livré ces 215 véhicules aujourd’hui même (mercredi). L’essentiel pour nous, c’est d’utiliser les voies que nous offre le droit.
Il y a un marché auquel vous auriez renoncé à cause des fluctuations du dollar, qu’en est-il ?
Non ça ce sont des informations erronées, nous n’avons jamais renoncé à ce marché. C’est vrai qu’en livrant, on a perdu de l’argent et mes services pensaient qu’il fallait renoncer, mais j’ai dit que nous devions respecter notre engagement, quelles que soient les fluctuations du dollar. Parce que l’Etat n’avait pas demandé une cotation en dollar, mais en Cfa, entre temps, le taux du dollar a augmenté de 20%, ce sont les risques du métier. Mais nous avons livré les voitures aujourd’hui, même si nous n’avons pas gagné de l’argent. Dans une opération commerciale, un manque à gagner est une perte.
Vous avez été récemment porté à la tête de l’Union nationale des Chambres de commerce, quels sont les grands chantiers que vous allez mettre en œuvre ?
Les Chambres de commerce sont des établissements publics à caractère professionnel, chargées d’assurer la représentation des opérateurs économiques. Les Chambres de commerce sont des interfaces entre le pouvoir public et les privés. J’ai été élu président de la Chambre de commerce de Kaolack en 2010. Aujourd’hui, elle est parmi les meilleures du Sénégal, raison pour laquelle j’ai été porté à la tête de l’Union. Notre vocation, c’est avant tout de fédérer et d’animer. Fédérer toutes les actions du privé : les privés sénégalais sont très dispersés, chacun se dit représentant du secteur privé ou se réclame du patronat. Nous souhaitons regrouper tout le monde, mais il faut que toutes les actions des privés soient versées dans une Chambre de commerce, qui sera le représentant du secteur privé devant l’administration, pour aider les opérateurs économiques. Il faut également animer, pour que chaque opérateur économique puisse bénéficier de ce que nous faisons. L’important pour nous, c’est de développer des services d’appui aux entreprises, de création et d’assistance aux entreprises, d’intermédiation commerciale.
Et est-ce que les Chambres de commerce jouent véritablement leur rôle au Sénégal ?
Elles jouent leur rôle, mais elles sont méconnues du public. D’après une étude du ministère du Commerce, parmi toutes les structures d’appui à l’entreprise, la Chambre de commerce occupe la première place. Mais ces informations ne sont pas connues du grand public, malheureusement.
On constate qu’il y a un problème de représentation du secteur privé, qu’est-ce qui explique cela et qu’allez-vous faire pour y remédier ?
Pour nous, c’est très clair : à ce niveau, ce sont pas les pouvoirs publics qui peuvent décider. Pour être élu président de Chambre de commerce, il faut se battre pour conquérir la confiance des entreprises. Mais si l’Etat marginalise les Chambres de commerce et s’adresse directement aux organisations professionnelles, les gens ont tendance à aller créer des organisations. C’est comme si l’Etat parlait avec chacune des Asc du Sénégal, au lieu de s’adresser à la Fédération. Pour donner aux Chambres de commerce leurs prérogatives, l’Etat doit respecter les dispositions de la loi. Personne ne peut se réclamer représentant du secteur privé sans être désigné par la Chambre de commerce.
Vous semblez contester la légitimité d’organisations comme le Cnp ou la Cnes, qui se présentent comme les représentants du secteur privé ?
Ils peuvent se réclamer du secteur privé, mais ils ne doivent pas se proclamer représentants du secteur privé. Toutefois, les dispositifs de ces organisations sont très utiles, une Chambre de commerce seule, sans ces organisations, ne peut pas faire fonctionner les choses. Je ne dis pas que ces organisations professionnelles ne doivent pas exister, parce que c’est en leur sein qu’on peut défendre nos intérêts, ce qui est différent de représenter nos intérêts.
Mais pour régler ce problème, ne faudrait-il pas engager le dialogue avec ces organisations pour harmoniser les positions ?
Bien sûr, il faut dialoguer, parce que toutes ces organisations sont représentées dans les Chambres de commerce. Je suis vice-président du Cnes ; quand il s’agit de défendre les intérêts de mon entreprise, Ccbm, c’est le Cnes que je saisis et non la Chambre de commerce. Mais dans tous les pays du monde, ce sont les Chambres de commerce qui sont les représentants du secteur privé.
Avec un tel discours, ne craignez-vous pas que ces organisations patronales entrent en guerre contre vous?
Dans tous les cas, moi je ne leur fais pas la guerre, j’applique les textes qui sont en vigueur. La loi 89/08 du 17 janvier 1989 dit que les Chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture, sont des établissements publics à caractère professionnel, chargés d’appuyer la représentation des intérêts des opérateurs économiques dans les secteurs du commerce, de l’industrie et de l’agriculture. Les textes de l’Union sont également très clairs sur ce sujet.
Avez-vous essayé de convaincre les organisations qui se réclament du secteur privé à suivre la loi ?
Nous y sommes, je leur ai écrit une lettre pour engager des discussions et elles ont répondu favorablement. Le Sénégal compte plus de 100 organisations se réclamant du secteur privé, mais nous nous adressons aux plus importants : Cnes, Cnp, Unacois, Mdes. Je leur ai écrit pour les rencontrer et ils ont répondu qu’ils veulent me recevoir ensemble. Ils veulent me rencontrer tous ensemble, c’est déjà une avancée.
Vous aviez émis l’idée de repenser le Cosec, qu’est-ce qui motive cette démarche ?
Vous savez, le Conseil sénégalais des chargeurs est une conception de la Chambre de commerce, dans le but de soutenir le transport intérieur. Je pense que le Cosec devrait s’orienter beaucoup plus vers la réfection des ports maritimes, des garages de gros porteurs, le transport ferroviaire : cela aiderait aussi bien les entreprises que l’Etat. On constate que la démarche du Cosec n’est pas la bonne et nous avons notre mot à dire. Parce que je suis membre du Cosec, je cotise. La dernière fois que j’ai vérifié, j’ai vu qu’une seule de mes sociétés, Ccbm Electronique, a cotisé plus de 75 millions de Fcfa. Les chargeurs qui cotisent ne sont représentés ni au Conseil d’administration ni à l’Assemblée générale, ils sont laissés en rade. Il y a une méconnaissance totale des textes, mais c’est leur droit d’exiger que le Cosec fonctionne suivant les règles. La vocation du Cosec, c’est de soutenir le transport maritime, c’est beaucoup plus important que de prendre l’argent de ceux qui cotisent et de le donner à des organisations. C’est un déséquilibre total.
Donc vous pensez que les fonds collectés par le Cosec ne sont pas bien utilisés ?
C’est ce que je dis. On a vu le Cosec acheter des bateaux taxis. C’est bien, mais ce n’est pas ce qu’il faut. Je conseille au Cosec de faire en sorte que l’Etat, en sachant qui cotise et qui ne cotise pas, choisisse les délégués au Cosec ou alors, confie cette mission à la Chambre de commerce. L’intérêt n’est pas de siéger pour des perdiems ou des voyages, mais pour l’amélioration du transport maritime interrégional.
Vous avez aussi lancé l’idée d’un regroupement des hommes d’affaires sénégalais, quel en est l’objectif ?
En réalité, c’est une vieille idée, mais elle n’est pas de moi. On l’avait lancée depuis 2007 ou 2008, mais nous ne sommes pas arrivés à la concrétiser. C’était une initiative des privés. On nous dit toujours que le secteur privé manque de moyens, mais quand vous regardez le budget du Sénégal, c’est le secteur privé qui cotise le plus et qui fait la collecte. Si le secteur privé n’existait pas, l’Etat n’aurait rien du tout. C’est pourquoi nous avons pensé à créer un fonds d’investissement pour soutenir le Président Macky Sall dans son Plan Sénégal Emergent (Pse), parce qu’on parle de milliards F CFa. L’idée, c’était de regrouper 50 hommes d’affaires et chacun donnera 500 millions F Cfa pour mettre en place un fonds de 25 milliards F Cfa destiné à aider au financement des projets ou alors, chercher des partenaires étrangers, s’il le faut. Cela nous permettra, dans les années à venir, d’être indépendants dans le financement des projets.
C’est une façon de capter la commande publique…
Non, pas du tout.  C’est une façon de nous impliquer dans le développement de notre pays. Evidemment, nous allons gagner des marchés. Mais quand nous gagnons des marchés, nous employons des Sénégalais. Il ne faut pas regarder le chef d’entreprise comme le seul gagnant dans cette affaire. Il est toujours le dernier servi, parce qu’avant lui, il y a des gens qui travaillent et qu’il faut payer. Quand l’entreprise fonctionne bien, c’est le salarié qui gagne d’abord, ensuite le propriétaire. L’entreprise est d’abord sociale, et les premiers qui doivent se battre pour avoir des marchés, ce sont les employés. Ils sont plus importants dans le fonctionnement d’une société que les actionnaires.
Est-ce que ce fonds est reconnu par les pouvoir publics?
Non, c’est du domaine privé. Le pouvoir public n’est pas obligé de le reconnaître. Quand nous aurons notre fonds, nous serons des bailleurs. L’Etat peut nous impliquer, mais pour l’instant, ce n’est qu’une idée : le fonds n’est pas encore mis en place. Je dois être clair, rien n’a été fait jusqu’ici. On a désigné des personnes qui s’en occupent. D’ailleurs, j’envisage de me retirer progressivement de la gestion quotidienne de mes entreprises pour mieux m’occuper de l’Union. Parce que je ne peux pas défendre tout le secteur privé national et gérer mes affaires personnelles. L’intérêt du secteur privé doit passer avant celui de mes entreprises.
Aujourd’hui, est-ce que le secteur privé national se retrouve dans la politique économique du gouvernement ? 
Oui, nous nous y retrouvons, nous sommes obligés. Dans tous les cas, nous allons essayer de nous adapter. Une société étrangère peut aller voir ailleurs, mais nous, nous n’avons pas le choix, quelle que soit la situation. Dans cette perspective, notre rôle c’est de toujours rappeler à l’Etat la nécessité d’impliquer le secteur privé, qui doit s’impliquer davantage. Nous devons montrer que nous sommes capables de relever les défis. Mais il reste encore des efforts à faire pour prendre en charge le secteur privé. Mon objectif c’est que les Sénégalais restent leurs propres partenaires pour être les vrais acteurs de l’économie sénégalaise. Je me dis que l’émergence ne peut pas se faire sans eux. On encourage l’investissement étranger, mais il ne faut pas que les nationaux soient lésés.
Quelle idée globale ou appréciation avez vous des projets du Plan Sénégal émergent ?
Pour moi, ce sont de bons projets, mais il y a plusieurs étapes dans un projet : la réflexion, la mise en œuvre et la gestion du projet, une gestion sur la durée. Parce qu’on a vu beaucoup de bons  projets mais qui ont été mal gérés. Le Pse, c’est une belle idée du président de la République. Mais du point de vue de la vision du privé, il reste encore des choses à préciser. On ne voit pas un projet piloté par une structure, il y a plusieurs structures pour un seul projet. Il y a un manque de coordination. Il faut créer une sorte de guichet unique.
Qu’est-ce qu’il faut d’après vous pour réformer le code des marchés publics, quelle est la meilleure formule pour le secteur privé ?
D’après les connaissances que j’en ai, c’est un très bon code, il n’y a aucun problème. Mais il faut faire fonctionner tout ça. On ne peut pas, à chaque fois que quelque chose ne marche pas, sortir un décret. On doit voir si les gens appliquent le code. Je me dis que s’il y a des problèmes avec les marchés publics, c’est que les textes ne sont pas appliqués. Si on fait un appel d’offres en ayant déjà une prétention d’entreprise, on ne peut pas être transparent. Moi je dis que l’Etat pouvait dire qu’il fait des ententes directes avec la moitié de son budget, ce n’est pas interdit…
Mais est-ce que ça ne favorise pas les pots-de-vin, la corruption
Non, ça dépend. Il faut mettre des structures pour contrôler la qualité, c’est important. On reproche souvent à certains privés de ne pas être sérieux. Mais ça, ce n’est pas notre problème. C’est celui qui est chargé de l’appel d’offres qui doit faire le contrôle. Parce qu’il y a trois choses : la période de l’appel, la période où l’on donne des avances et la réception. Si tout se passe normalement, l’entreprise ne peut pas frauder. Mais aujourd’hui, si vous choisissez une mauvaise entreprise, vous ne pouvez pas avoir ce que vous voulez. Après cela, c’est facile de d’accuser le secteur, alors que c’est vous qui avez vicié la procédure. Dans ce genre de situation, l’Etat doit revoir l’équipe qui a adjugé le marché. Si on procédait ainsi, les gens allaient faire très attention. Et il faut que l’évaluation soit publique, parce qu’on dit que l’ouverture des plis est publique, mais pas l’évaluation des contractants, et c’est ce qui crée des problèmes. Ce faisant, je pense qu’il y aurait beaucoup moins de recours.
Source Adama Dieng Observateur

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