A la disparition d’un Khalife Général, il revient à l’ainé de la famille d’assurer l’héritage. Si la tradition est respectée, Cheikh Tidiane Sy al Maktoum devrait, normalement, succéder à son frère Serigne Mansour Sy au Khalifat de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif. Caricaturé « Marabout intellectuel », le Guide des Moustarchidines est un érudit hors norme, doublé d’un citoyen du monde. Plusieurs registres : intellectuel, social, théologique, politique et économique, caractérisent son parcours. Une dimension plurielle qui fait de lui le marabout le plus instruit de sa génération.
A la seule évocation de son surnom « Al maktoum » (le Mystérieux), on se fait déjà une idée de cet homme multidimensionnel, à cheval entre le spirituel et le temporel. Car, Cheikh Tidiane Sy a fini d’incarner le prototype du guide religieux moderne.
Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy Maktoum, tire un double privilège de son état-civil. La Tidjaniyya, confrérie soufie, est fondée par son homonyme, l’Algérien Aboul Abbas Ahmad At-Tidjani (1737-1815), puis largement propagée par son grand-père, El Hadji Malick Sy. Natif de Saint-Louis comme son père, Ababacar Sy, khalife des tidjanes de 1922 à 1957, dont il est le troisième fils, Serigne Cheikh Tidiane Sy est entré dans sa 86-ème année.
Son parcours atypique est celui d’un guide spirituel qui s’est affranchi du conservatisme, propre à l’islam au Sénégal, pour s’efforcer de se donner une identité propre à lui, celle d’un homme d’ouverture.
Dans sa formation spirituelle, Cheikh Ahmad Tidiane Maktoum revendique “une fidélité sans faille aux enseignements de Serigne Babacar Sy”, son père qu’il prend pour “seul et unique maître spirituel”.
Après avoir parfait sa maitrise des sciences coraniques auprès de Serigne Saybatou Fall et Serigne Alioune Guèye, en compagnie de son frère aîné Serigne Mansour Sy, Cheikh a fait un passage entre les mains de son oncle paternel El-Hadji Abdoul Aziz Sy, qui lui enseigna, notamment, des leçons de diction. Ils ont vécu ensemble à Guinguinéo (centre).
Très tôt, il s’est fait remarquer par sa précocité intellectuelle. Déjà à l’âge de14 ans, il a bouclé prématurément les cycles inférieur et moyen des études islamiques. A 16 ans, il publie son premier livre : “Les vices des marabouts”. Plus tard, il écrivit “L’inconnu de la nation sénégalaise : El-Hadji Malick Sy”. A la trentaine, il effectue son premier voyage à Paris où il vit, bien plus tard pendant cinq ans, une sorte d’exil.
Révolutionnaire dans l’âme, Serigne Cheikh Tidiane a tenté de réformer son entourage familial. Il installe par exemple le téléphone pour son père Serigne Babacar Sy. Last but not least, il commence à habituer son monde au port de la tenue occidentale et aux apparitions publiques.
Malgré son jeune âge, Cheikh joue les premiers rôles dans l’entourage de son père. Aux toutes dernières années du califat de Serigne Babacar, il animait, sur sa désignation, le Gamou, et il était l’interlocuteur des dahiras (cercles de talibés) et des délégations officielles. Une maturité qui lui permet déjà d’être en contact avec les hommes politiques avec qui d’ailleurs, les relations évoluent en dents de scie. Il fut le fondateur du Parti de la solidarité sénégalaise et devint un grand opposant de Senghor. En 1959, la contestation des résultats électoraux, jugés “tronqués” par le PS et le PAI (gauche) vaudra à Cheikh un séjour carcéral.
Plus tard, Senghor le nomme ambassadeur au Caire auprès de la République arabe unie (Egypte et Syrie). Mais, les autorités françaises et certains membres de l’entourage de Senghor voyaient en lui une menace. Du coup, des complots furent fomentés pour écarter le marabout-ambassadeur, devenu très proche des milieux arabo-musulmans” avec lesquels il développait la coopération culturelle en faisant venir des milliers d’ouvrages à destination des arabisants sénégalais.
Mystique, intellectuel et politique, Cheikh Tidiane n’en était pas moins la figure de l’homme d’affaires. Producteur d’arachides dans le Saloum (centre), il s’est ensuite intéressé à l’industrie (huilerie et tomate conservée) avant de devenir actionnaire majoritaire dans l’unique cimenterie du pays à l’époque, la SOCOCIM à Rufisque. Sa brouille avec le régime d’Abdou Diouf lui vaudra bien des ennuis dans ce portefeuille.
Atteint par le poids de l’âge, Serigne Cheikh est confiné dans une retraite spirituelle, et ses apparitions publiques se font très rares, se réduisant uniquement à la célébration de la nuit de la naissance du Prophète Mouhammed (Psl).
Depuis près d’une décennie, le Cheikh célèbre le Gamou, seul avec ses fidèles aux Champ des courses de Tivaouane, (92 Km) de Dakar, parallèlement à celui de ses frères.