Serigne Babacar Sy (1885-1957), fut le premier Khalife de Seydi El Hadji Malick Sy en 1922.
Sa carrière scientifique et littéraire
Il doit à son père sa formation scientifique et mystique, car il n’a jamais voulu que quelqu’un s’interpose entre eux pour quelque raison que ce soit. Ce qui est d’autant plus vrai que lorsqu’un jour il fut confié un matin à Nah Gassama qui est le père de feu Cheikh Gassama, ex- animateur d’une émission religieuse à radio Sénégal, il partit dans l’après-midi rejoindre son père. Quand il lui demanda pourquoi il n’était pas resté, il lui fit cet aveu: « Je suis comme confondu à ta personne à telle enseigne que je ne peux admettre qu’il y’ait un intermédiaire entre nous ». L’estime et l’amour que Seydi Ababacar Sy vouait à son père dépassaient l’ordinaire. Le fait suivant en est une parfaite illustration.
On raconte qu’un jour, El Hadji Malick chargea Seydou Nourou Tall d’aller prendre Serigne Babacar pour accueillir le petit fils de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif. Quand son ami et compagnon de tous les jours l’informa, il lui répondit qu’il ne pourrait pas y aller. Croyant qu’il n’avait pas bien entendu ce qu’il venait de lui dire, il se fit plus clair: « Notre père El Hadji Malick veut qu’on aille ensemble accueillir le Chérif qui est en route pour Tivaouane. La réponse de Serigne Babacar ne varia pas: « Je ne peux pas y aller ». Seydou Nourou Tall qui n’en croyait pas ses oreilles revint à la charge: « Si tu penses vraiment que tu ne t’es pas trompé, je vais aller transmettre textuellement à El Hadji Malick ta réponse ». Plus déterminé et serein que jamais , Serigne Babacar Sy reprit ce qu’il avait déjà dit: « Vas lui dire que Babacar Sy n’est pas dans les dispositions d’accueillir l’hôte « . L’intransigeance dont il avait fait montre poussa Seydou Nourou Tall à s’interroger : « L’heure est grave ! Comment peut-on refuser d’exécuter une recommandation émanant d’un Saint de la trempe d’El Hadji Malick, surtout, si cela vient de son propre fils ». Les jambes lourdes, la mine grave, il retourna sur ses pas, très contrarié de devoir dire à celui qui l’avait envoyé que sa demande avait été rejetée. Lorsqu’il le vit venir, El Hadji Malick Sy l’aborda le premier qu’il n’eut pas le temps de s’expliquer : « J’ai le pressentiment qu’Ababacar a refusé » ?, lui dit-il » Oui et comment le savez vous ? », questionna Seydou Nourou Tall. Et le sage de Tivaouane, d’éclairer sa lanterne :
« Bien qu’étant le petit fils de Cheikh Ahmed Tidiane, le Chérif qui a l’intention de venir à Tivaouane ne me reconnaît pas dans son cœur comme l’héritier légitime de son grand père sur terre. Ababacar l’a senti depuis longtemps et il n’est pas du genre à se montrer conciliant face à ceux qui sont enclins à sous estimer ce que Dieu à fait de moi ».
C’est son père El Hadji Malick qui lui a appris l’interprétation du coran, le Hadith, ou traditions prophétiques, le droit musulman, l’origine du droit musulman et la biographie du Prophète(PSL). Il apprit et maîtrisa également toutes les branches de la littérature arabe dont la métrique, la grammaire, la rhétorique, la versification et la logique. Il mena toutes ses études avec beaucoup de minutie. Ce qui lui valut d’exceller en maître dans chacune de ces matières à Tivaouane.
Son éducation mystique
Selon la tradition des Soufis, la connaissance et l’observation des principes de la « charia » sont un préalable sans lequel tout aspirant à Dieu par la voie du Soufisme est exposé au manichéisme. Dans le même ordre d’idées, des études coraniques, juridiques et littéraires seraient ,sinon, peu efficientes au moins incomplètes si elles ne sont pas doublées d’une formation mystique. Le jeune Ababacar a été bien préparé pour recevoir une telle formation si l’on sait que depuis sa tendre enfance son père avait remarqué en lui des prédispositions mystiques jalousement gardées contrairement à son frère ainé Ahmadou Sy qui manifestait ses pouvoirs mystiques à loisir. On raconte qu’un jour, au moment où il était plongé dans ses retraites, El Hadji Malick vit venir Serigne Babacar et Sidy Ahmed qui était tout en pleurs.
Lorsqu’il leur demanda pourquoi il était dans cet état, Sdy Ahmed lui donna cette réponse : » Lorsque Babacar et moi étions dans la brousse, j’ai vu venir du ciel des anges qui l’ont recouvert d’un manteau de lumière et ils ne l’ont pas fait pour moi ». En guise de consolation et ayant bien décrypté le sens du message reçu de son fils, son père lui dit : « Toi, c’est moi qui vais te revêtir d’un manteau ».
Seydi Ababacar commença à Tivaouane sous la surveillance de Seydi El Hadji Malick Sy à recevoir ce qu’on pourrait appeler une éducation de l’âme. Pour sa a production littéraire, Seydi Ababacar Sy nous a laissé un énorme héritage littéraire d’une richesse et d’une profondeur admirable. Il était un poète confirmé composant des vers à loisir et à toutes les occasions des poèmes sur l’environnement, les préoccupations de l’heure, le thé, le lait, les plats Saint-Louisiens, etc.
Un jour à la gare de Tivaouane, à l’arrivée d’un train, il composa un poème pour dire aux voyageurs de ne pas se tromper de train car celui qui venait d’arriver n’allait pas à leur destination. Seydi Ababacar Sy était doté d’un grand esprit de synthèse car, en peu de vers, il réussit à exprimer ce qu’une autre personne aurait dit en plusieurs pages. C’est ce qui explique le caractère sibyllin de ses poèmes dont la traduction est souvent malaisée. Il y développe également des idées d’une très grande portée et pleines de significations dans un style impeccable. Dans la majeure partie de ses poèmes, il chante la gloire de Dieu, les mérites du Prophète Mouhammad (PSL), Cheikh Ahmed Tidiane Chérif et Cheikh Omar Al Foutiyou Tall.
Plus d’une vingtaine dont un de 70 vers sont conçus en l’honneur du fondateur de la voie. Notons dans le même sillage, un poème de 215 vers consacrés à la biographie du Prophète Mouhamed (PSL). Il prie pour lui-même, pour Cheikh Ahmed Tidiane Chérif et pour le Prophète dont il chante les mérites, le voyage nocturne, l’ascension et toutes les merveilles que lui réserva le Créateur en lui transmettant cette religion de paix, de pitié et de droiture. Il termine par une imploration de l’Unique de déverser sa bénédiction et son Salut sur l’ensemble de la famille du Prophète à ses compagnons aux élus bien guidés qui s’inclinent et se prosternent pour leur Seigneur.
Les 120 vers qui composent cette invocation sont ponctués par des versets du Coran et de Hadiths dont la pertinence du choix ne saurait laisser indifférents ses contemporains.
Ses voyages
Il se fixa d’abord à Rufisque sur ordre d’El Hadji Malick qui y comptait de nombreux fidèles. Serigne Babacar Sy avait pour mission de représenter son père, d’enseigner le Saint Coran , le Droit musulman, et les principes de la confrérie. Aux uns, il transmettait déjà et le « wird » et bénissait les autres à nouveau. Il y reprit également sa vie mystique caractérisée par de longues retraites en brousse et dans sa chambre. Ses déplacements le menèrent aussi à Joal où il accrut le nombre de sérères ayant embrassé la religion musulmanes, la direction de son père. La conversion à l’Islam de la plus part des habitants de la Petite Côte, ce fut lui.
C’est également à Rufisque que Serigne Babacar Sy a effectué sa fameuse retraite spirituelle de mille cent onze (1111) jours à l’issue desquels il fit la rencontre de son maître Cheikh Ahmed Tidiane Chérif en chair et en os.
Saint-Louis : Serigne Babacar Sy, c’est un truisme que de le dire, vouait un attachement viscéral à la ville de Saint-Louis. Il avait l’Habitude de dire à haute et intelligible voix : « Je préfère un camion rempli de fidèles en provenance de Saint-Louis vers Tivaouane que 100 camions venant d’autres localités à destination de Tivaouane ». L’on raconte qu’un jour les marabouts Alioune Guèye et Mor Sassoum Diakhaté qui étaient ensemble s’interrogèrent à son sujet : « Le fils d’El Hadji Malick dont on dit qu’il est Saint-Louisien en train de faire tourner sa canne et de s’habiller comme un aristocrate. Ce serait dommage pour la confrérie et pour nous tous qu’il n’étudie pas à l’image de son père dont il prétend être l’héritier légitime ».
Déterminés à ne pas se limiter à des conjectures, ils prirent la décision d’aller le trouver pour jauger ses connaissances. Une fois à Saint-Louis, ils le matraquèrent de toutes sortes de questions auxquelles il répondit avec une précision qui dépassait de très loin leurs attentes et leur niveau que Serigne Morssassoum Diakhaté ne put se priver de chanter ses louanges.
« N’eût été la nature singulière de ta personnalité et l’attitude responsable et courageuse que tu as adoptée face aux défis de l’heure, les disciples d’El Hadji Malick que nous sommes seraient dans la tourmente ». Il est important de remarquer en effet qu’il était de la nature de Seydi Ababacar Sy d’être taciturne ne s’intéressant que sur les questions qui le concernaient directement ou ayant trait à l’Islam et à la confrérie. Quelque prolixe que fut son interlocuteur, il s’en tenait à la formule : »Que Dieu te bénisse « (Tabaraka Allahou).
Ce qui n’a pas manqué de retenir l’attention d’un vieux griot demeurant à Tivaouane qui exprimait toujours sa stupéfaction à propos de cette expression : »Je ne sais pas si elle signifie tu mens trop ou tu t’occupes toujours des affaires d’autrui ? ».Mais pouvait-il en être autrement.
Serigne Babacar Sy devait rester au chevet de son père dont la succession fut ouverte après sa disparition survenue le 27 juin 1922.