En Afrique, on a coutume de parler des dérives sur les réseaux sociaux, mais il faut peut-être s’habituer également à parler des dérives contres les nouveaux médias, au vu de la nouvelle tendance dans le continent. Le Sénégal, le Benin, l’Egypte, la Zambie et la Tanzanie sont autant de pays qui ont pris des dispositions jugées contraires à la liberté d’expression et à l’accès à l’information.
Le nouveau Code des communications électroniques a été voté mercredi dernier à l’Assemblée nationale. Le texte suscite beaucoup de polémique du fait d’une disposition jugée liberticide. Il s’agit de l’article 27 dudit code qui dispose : «L’Autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour, notamment, préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires.»
Pour la Société civile, notamment celle qui s’intéresse aux technologies de l’information et de la communication, il s’agit là d’une volonté de l’Etat de limiter l’accès aux réseaux sociaux en cas de besoin. «Avec cette disposition, le régulateur ou un opérateur peut légalement restreindre la qualité du service, s’il y a un besoin exprimé. Ce sont ces aspects-là qui nous inquiètent», soulignait Mamadou Ndiaye, formateur au Cesti, lors d’une conférence de presse organisée en août par plusieurs Ong et associations pour alerter sur la question.
Le jour de la libération de Karim…
Pour les détracteurs de la loi, le but est double de la part de l’Etat. D’une part, permettre aux sociétés de téléphonie de limiter les pertes économiques enregistrées depuis que l’utilisation de Whatsapp s’est répandue, particulièrement du côté de la Diaspora. Et d’autre part, permettre au pouvoir exécutif d’en faire un usage politique dans certaines circonstances. En termes clairs, les acteurs redoutent que l’Etat agissent sur la connexion le jour de la présidentielle, en cas de velléité de fraude.
«On peut avoir des ordres qui viennent de l’autorité politique pour qu’on bloque telle application, parce que ce sont des canaux de diffusion de l’information. Si on ne veut pas que les gens sachent que dans telle localité, c’est tel parti qui a remporté l’élection, l’autorité, de connivence avec l’opérateur ou le régulateur, peut bloquer l’accès à l’information», s’inquiète Mamadou Diouma Diallo, enseignant à l’Ugb.
Diallo et camarades en veulent pour preuve la qualité de la connexion le jour où Karim Wade a été sorti de prison pour être exilé au Qatar. Cette nuit-là, se souviennent-ils, Facebook, WhatsApp, Youtube et autres ont été quasi inaccessibles, sans que l’autorité de régulation (Artp), ni un opérateur ne fournisse la moindre explication.
Cependant, ce genre de mesure qui suscite inquiétude et interrogation est loin d’être une exception sénégalaise. Il y a même une tendance en Afrique à s’en prendre aux nouveaux médias.
Tendance africaine
En août dernier, l’Égypte s’est dotée d’une loi permettant au pouvoir de surveiller légalement l’utilisation des réseaux sociaux et des sites internet. En fait, la loi permet au Conseil supérieur de régulation d’avoir un œil sur tout compte Facebook, Tweeter, Whatsapp…, de plus de 5 000 abonnés. Il en est de même pour les blogs et sites d’information. L’objectif, selon le décret présidentiel, est de viser les supports qui «publient ou diffusent de fausses nouvelles, incitent à violer la loi, à la violence ou à la haine». Le nouveau texte prévoit également une peine de prison d’une année ainsi que le paiement d’une amende comprise entre 50 000 à 100 000 livres égyptiennes (1,6 à 3,2 millions de francs Cfa).
Dans la même période, le Président béninois, Patrice Talon, a signé un décret portant «introduction d’une contribution sur la consommation des services de communication électronique fournis par les réseaux ouverts en République du Bénin». En clair, il s’agit de «5 francs Cfa hors taxe par mégaoctet pour l’accès à Internet utilisé pour fournir un service par contournement ou une plateforme de réseau social». La mesure est entrée en vigueur le 1 septembre dernier. Elle est justifiée par le gouvernement par le besoin de compenser les pertes financières croissantes subies par les opérateurs.
Aveu béninois
Face à l’incompréhension des usagers, le gouvernement a voulu apporter des précisions. Lors d’un forum sur l’investissement en fin août, le jeune ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni, a levé un coin du voile sur les vrais desseins visés par cette loi.
En vérité la mesure n’est pas uniquement de portée économique, elle a aussi des visées politiques. «Il n’a pas été question d’augmenter le coût de la connectivité, signale Wadagni. Si vous êtes ingénieur et avez besoin de faire tourner des modèles, de faire de la recherche, le coût n’a pas changé. Le coût change pour les réseaux sociaux et usages ludiques. Vous téléchargez de la musique, un film, vous faites des transferts d’images Whatsapp qui critiquent le gouvernement et qui critiquent vos amis, libre à vous de le faire, mais vous payez le prix qui est légèrement plus fort.»
Une sortie très controversée, qui a suscité une levée de boucliers. Parmi les réactions, celle du juriste Nourou-Dine Saka Saley, relayée par le site beninwebtv.com. Il dit : «Posons des questions simples au gouvernement pour savoir si Whatsapp, Facebook, Twitter sont ludiques : pourquoi le gouvernement fait-il un direct pour certains événements, malgré la diffusion Tv (compte rendu du Conseil des ministres, par exemple) ? Par quel canal le ministre des Sports a-t-il fait savoir au monde entier, en compagnie d’Eto Fils, la fierté du gouvernement et des Béninois lorsque la jeune athlète (Odile Ahouanwanou, médaillée d’or en heptathlon aux derniers Championnats d’Afrique d’athlétisme à Asaba, au Nigeria, Ndlr) a remporté la médaille d’or ? Pourquoi le gouvernement communique-t-il avec nos fonds publics sur un espace ludique ? Ils s’amusent donc avec nos ressources ?»
À la suite de ce réquisitoire, le juriste a invité ses compatriotes à se désabonner des espaces de communication numérique du gouvernement, puisque les autorités veulent non pas interagir avec les citoyens, mais plutôt s’amuser. La mesure sera finalement annulée après quelques semaines, du fait des contraintes qu’elle a imposées aux opérateurs.
Prétextes économiques
La Zambie également s’est attaquée aux réseaux sociaux. Le gouvernement a imposé une taxe sur les appels via internet. Là également, Whatsapp, Facebook, Viber… sont clairement visés. Les autorités expliquent la décision par la nécessité de protéger les opérateurs téléphoniques. Selon le porte-parole du gouvernement, les médias sociaux sont une menace contre les compagnies et leurs employés.
«Le gouvernement a donc décidé d’introduire une taxe quotidienne de 30 ngwee (près de 17 francs Cfa) sur les appels téléphoniques via Internet», déclare Dora Siliya, repris par plusieurs supports. Là également, la mesure est qualifiée par la Société civile d’attaque contre la liberté d’expression, notamment sur Internet. D’autant plus qu’un mois avant la nouvelle, le ministre de la Communication accusait les réseaux sociaux d’être des plateformes de violation des codes de la société.
En Tanzanie également, le pouvoir a voulu dicter sa loi sur le Net. C’est ainsi que les bloggeurs et propriétaires de sites d’informations ou de streaming sont contraints de se déclarer et de payer 900 dollars (près 500 mille francs Cfa) par an. C’est dire donc que les nouveaux médias sont devenus une cible des régimes en Afrique.