Plus qu’un changement de régime, le peuple sénégalais exigeait un changement de comportement des hommes politiques dont l’arrogance devenait insupportable. Plus qu’un simple changement de régime, les citoyens espéraient une prise en charge sérieuse des questions relatives aux droits humains, à l’égalité des chances, à la transparence dans la gestion des deniers publiques et à la moralisation de la sphère politique qui finissait de se monétiser. Sept ans après, au vu de tout ce qui continue de se passer, le sénégalais peut légitimement se demander si les évènements du 23 Juin avaient besoin d’avoir lieu.
23 Juin 2011 : Leurre et lueur d’un combat
Déception et regret sont en réalité les sentiments les mieux partagés chez une importante frange de la population. Aujourd’hui qu’un changement de régime a eu lieu, grâce en grande partie à ces évènements historiques, on se rend compte qu’un combat a été gagné et non la guerre. La pression populaire a participé à débouter un régime mais elle n’a pas eu l’effet escompté sur bien des questions. Tout ce qui faisait la cruauté de l’ancien régime se vit au quotidien et de manière plus angoissante. Et pourtant, le 23 Juin 2011 était considéré comme tous comme un tournant décisif dans la manière de gérer l’Etat et les deniers publics. Dénoncés avant, la violation des libertés individuelles, le népotisme, la patrimonialisation de l’Etat, l’implication de la famille dans les affaires étatiques, sont devenus monnaie courante du régime actuel. Avait-on lutté pour ça !
En réalité, la copie du régime Sall n’est guère meilleure que celle de Wade à bien des égards. Sur le plan des infrastructures, le président Sall fait certes de très grands projets mails il battra difficilement Wade. Des sentiers sortent de terre sur toute l’étendue du territoire (même si Diamniadio en reçoit la presque totalité) et les réalisations sur le plan infrastructurel ne font l’objet d’aucune contestation. On peut se poser la question de leur opportunité ou non, mais là n’est pas le débat. Cependant, il serait tout à fait une gravissime erreur de penser que cela était la principale revendication du peuple du 23 Juin dont le chef de l’Etat lui-même était parti. Si ce n’était que pour des réalisations pareilles, Wade ne serait pas remercié à coup sûr.
« Bâtisseur d’infrastructures, démolisseurs d’institutions »
Pour résumer le bilan de Wade, Alioune Tine ancien directeur de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme disait un jour sur un plateau de la défunte télévision ‘Canal Info News’ : « Wade est un bâtisseur d’infrastructures et un démolisseur d’institutions ». De cette assertion, il apparaît clairement que le reproche que certains faisaient à Wade n’était nullement d’ordre matériel ou logistique mais plutôt humain et humaniste. Même si aux temps, il y avait des émeutes sur les questions de délestage et autres (ce qui n’est pas le cas avec Macky Sall), le respect des droits de l’homme était le principal nœud gordien. En l’espace d’un an, entre 2011 et 2012, beaucoup de bavures policières furent dénombrés avec comme conséquence une dizaine de morts dans les manifestations. En participant aux protestations du 23 Juin, nombre de citoyens avaient été encouragé par cette impunité qui couvrait les proches du pouvoir ou bien une certaine police.
Qu’en est-t-il aujourd’hui ? Il arrive souvent que des personnes interpelées par la police se plaignent d’un certain traitement dégradant pendant que d’autres en perdent juste la vie. Le cas de Seck Ndiaye commerçant à Thiès, qui a rendu l’âme tout juste après son interpellation, est la dernière d’une série assez longue. Avant lui, trop de cas qu’on ne saurait énumérer ici sont restés sans suite car ce serait toujours une mort naturelle d’après la version officielle. A côté de ses bavures, il y a les interdictions répétitives des marches qui sont d’office réprimées quand elles revêtent d’un caractère oppositionnel. L’arrêté Ousmane Ngom en bandoulière, le régime Sall interdit tout rassemblement à la place de l’indépendance. Quand ce qu’on a combattu hier revient nous hanter comme un fantôme, on a au moins le droit de se demander si cela valait le coût.
Les attentes du peuple de ce fameux 23 Juin sont restées les mêmes. La lueur qui naissait du retrait par Wade de son fameux projet de loi et sa chute quelques mois plus tard s’est transformée en leurre aujourd’hui. Beaucoup de promesses et d’engagements pris pour mieux gérer ce pays sont rangés dans les tiroirs de l’oubli. Autant en emporte le vent ! Sur l’engagement de ne pas mêler sa famille à la gestion des affaires, sur l’engagement de réduire le nombre de ministres à vingt-cinq, sur la promesse de ne jamais s’allier avec des transhumants, et même sur le « serment » de faire un mandat de cinq ans, Macky Sall n’a pas tenu parole et ne semble pas en être ébranlé. Le népotisme, la gabegie, le détournement de deniers publics et une justesse à double vitesse se vient et se voient au quotidien. Les rapports d’audits sont là pour confirmer. Le dernier scandale en date est celui du « Prodac-gate » où le ministre Mame Mbaye Niang, pourtant cité dans le rapport, semble protégé et intouchable. Les exemples dans ce domaine aussi font légion au moment où la moindre faute dans la gestion des opposants est passible de prison parce que la justice va jusqu’au bout de ses condamnations.
Seul le bas peuple sort perdant de cette victoire
La transhumance et le marchandage politique s’accroissent de manière exponentielle avec le régime actuel. Beaucoup de ceux qui accompagnaient Wade sont revenus « prêter main forte » au fils adoptif. A quel prix ? Obsédé par un deuxième mandat, le chef de l’Etat fait flèche de tout bois même de bois mort. Ces bois morts qu’il ramasse dans la forêt sèche de l’opposition pour les amener dans la prairie verte de la majorité risquent de prendre feu et de brûler tout sur leur passage. Du Wade sans Wade sur ce registre ! Sauf qu’avec son ancien mentor, la transhumance n’avait pas atteint une telle propagation et ce niveau de malhonnêteté de la part des acteurs. Outre ces leaders en perte de vitesse, l’attitude des anciennes figures de proue du M23 qui sont au côté du président Sall aujourd’hui pose sur la table cette question : le jeu en valait-il la chandelle ?
Comme dans toute bataille, il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. Il y a aussi ceux qui combattent au prix de leur vie et ceux qui ramassent les lauriers. Celle du 23 Juin 2011 n’est point une exception. Deux entité s’en sont sortis victorieuses : l’opposition d’alors et une frange de la société si vile…autant pour moi société civile. L’accession de l’opposant Macky Sall à la magistrature suprême et la migration de certains de la société civile vers la majorité présidentielle en est une parfaite illustration.
Deux entités s’en sont sorties vaincues : l’ancien régime et le peuple qui en grande partie se sent aujourd’hui trahi à avec ceux qui tiennent toujours à leur rôle de lanceurs d’alertes et d’activistes pour la bonne cause. Beaucoup de jeunes ont passé la vie à trépas à cause de ces manifestations d’une rare violence. On ne peut faire l’économie de la mort de Mamadou Diop et du policier Fodé Ndiaye en faisant le bilan du 23 Juin. Avec le recul, on se demande à quelle fin ces vies sont perdues. Car du 23 Juin 2011 au 23 Juin 2018, beaucoup de choses ont évolué mais les attentes n’ont jamais varié. Sept ans après, un bilan s’impose comme à la fin de ce septennat auquel le chef de l’Etat s’est attribué et qui est le plus bel exemple de l’échec de ce fameux combat citoyen.
Ababacar GAYE