Mais commençons par le commencement ! A partir du 16ème siècle, l’Europe entreprend une conquête de l’Afrique, pour la déposséder de ses ressources naturelles et humaines par la violence, sur fond de mépris culturel et de haine raciale. Pour faire court, les portugais d’abord suivis par les Espagnols, les Anglais et nos amis les Français se sont partagés un Continent pourtant habité par des gens civilisés, organisés et épanouis. Désarmés face à la puissance de tir adverse, le désordre et le chaos ont détruit des Empires , des royaumes, des villes et des villages. Des hommes vigoureux et des femmes à la fleur de l’âge ont été arrachés à leur terre et transplantés en Amérique pour travailler les terres dont les indiens ont été, eux aussi, dépossédés par les nouveaux arrivants…européens. Une autre histoire là encore…L’état actuel de l’Afrique et la perte du sens de son développement s’expliquent, essentiellement, par les traumatismes profonds consécutifs à une somme d’humiliations, de maltraitances et de trahisons internes, conséquence de la bonne et vieille recette « diviser pour régner » qui vient, encore une fois d’être mise en œuvre à l’occasion de la « réforme du CFA » version Macron. Nous y reviendrons.
Les chroniques d’Ibn Battuta du 14ème siècle sont élogieuses quant au niveau de sécurité et de Justice qui règne, à l’époque, dans l’Empire du Mali par exemple. D’où l’intérêt de piocher à toutes les sources d’Histoire pour se reconstruire . Des empires et des royaumes prospères ont été déstructurés. De nouvelles classes sociales naîtront à la faveur de la circulation de l’argent et des nouveaux biens importés. Les courtiers et les intermédiaires en commerce d’Esclaves, leurs descendants et complices vont reconfigurer les sociétés africaines. Ne nous étonnons pas de ce que nous sommes devenus six siècles après, et de l’image lamentable que nous renvoyons aujourd’hui à un monde qui nous doit tant pourtant…
La France et nous dans ce contexte. Nantes,
La Rochelle, Bordeaux, Le Havre, Saint-Malo, Lorient, Honfleur, Marseille, Dunkerque, Rouen, Vannes tous ces ports français ont été ce qu’il est convenu d’appeler des industriels de la traite négrière au 18ème siècle. Des millions d’Africains noirs ont été déracinés de leur terre par la force et ont contribué, par leur sueur et par leur sang, à faire des centaines, pour ne pas dire des milliers de fortunes françaises. De qui et de quoi la France tient-elle sa puissance ? Quel bilan économique et financier a été fait de cette catastrophe humanitaire et économique, mais aussi sociale et environnementale ? Ne serait-ce que par respect pour la mémoire des millions de morts en cours de route et pour tous les affamés contemporains du Continent qui continuent à payer le tribut du passé.
Puis lorsque l’esclavage fût « aboli », la période coloniale s’ouvre au 19ème siècle, entre 1830 et le début de la première guerre mondiale. Les grandes puissances se partagent l’Afrique comme un gâteau à Berlin, et se lancent dans une compétition territoriale au mépris de l’Homme africain, de ses aspirations, de ses rêves. Sans parler des viols et des violences faites aux hommes et aux femmes et donc à leurs enfants… Et dire que l’on vient nous donner des leçons sur ces thématiques aujourd’hui ! La colonisation, en fait, prolonge les relations de maître à esclave sur le sol africain. Humiliation supplémentaire : travaux forcés, exploitation du sol et du sous-sol sans contrepartie, jouissance de tous les avantages des meilleurs espaces de vie du continent africain, tentatives vaines d’extermination de la race noire par des campagnes de vaccination suspectes et l’inoculation de maladies épidémiques à des populations non informées. La littérature est abondante sur tous ces points. Il suffit de se documenter.
Bien avant la première guerre mondiale, la France a levé des troupes en Afrique. Les fameux tirailleurs sénégalais qui n’étaient pas originaires que du Sénégal, cela dit. Ils ont servi de chair à canons sur tous champs de batailles de France et de Navarre. C’est en 1857 que Faidherbe, représentant de la France coloniale au Sénégal, face au déficit
d’effectifs provenant de la métropole à créé
le corps des Tirailleurs sénégalais. Dans un premier temps pour le maintien de l’ordre français dans les colonies. Puis pour aller combattre, au nom de la France et défendre son intégrité territoriale. Dans plusieurs localités françaises des cimetières entiers leurs sont réservés. J’ai eu l’occasion d’en visiter quelques-uns. Je me souviens avec émotion du Tata de Chasselay près de Lyon où les noms inscrits sur les pierres tombales me sont si familiers. Ceci pour dire à Monsieur Macron que le sang français versé sur le sol africain est un écho à tous les sacrifices consentis par les africains sur le sol français. Au demeurant, le massacre des tirailleurs au camp de Thiaroye au retour de la seconde guerre mondiale parce qu’ils réclamaient leurs salaires reste une plaie incandescente, douloureuse et profonde.
Surviennent la prise de conscience des africains, les luttes anticoloniales, les batailles épiques menées par les premières élites africaines formées à l’école française, précédées par tous les mouvements de résistance à la colonisation dont le souvenir inspire les leaders de l’Afrique nouvelle en gestation. Certains pays arrachent leur indépendance par les armes. Notamment les pays asiatiques à l’instar de l’Indochine devenue Vietnam. Nos pays de la Zone UEMOA se caractérisent par des
« indépendances » négociées et octroyées. Et c’est là que se situe le malaise entre les autorités postcoloniales de l’Afrique et la jeunesse née après les « indépendances » : aucune relation de soumission mentale n’existe entre nos populations actuelles ayant majoritairement moins de 30 ans et l’ancien colon. Le gain psychologique est inestimable. Si et seulement si nous avions des leaders à la hauteur des enjeux !
Ce cadrage rapide du contexte est important pour comprendre pourquoi la gestion, ou même la cogestion, de notre monnaie est devenue insupportable !
Monsieur Macron nous disant : « Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres ! »
Chiche ! auraient dû répondre en chœur les huit chefs d’États de l’UEMOA qui sont presque sommés de supplier la France de maintenir les liens de la servitude et instruits de mater les jeunesses africaines rebelles. Surréaliste !
Or, les observateurs africains et plusieurs milieux occidentaux s’accordent sur l’idée, selon laquelle, la « réforme » proposée par Emmanuel Macron ressemble à une manœuvre. Avec pour objectif de tuer dans l’œuf le projet d’intégration monétaire des pays de la CEDEAO en permettant à la France de se maintenir dans le dispositif de l’Eco. « Diviser pour régner ! » une constante de la politique française en Afrique. A nos dirigeants de faire leur job. C’est-à-dire défendre les intérêts de l’Afrique !
Tout cela étant dit et pour parler de la nouvelle trouvaille des autorités politiques françaises qui considèrent que les africains sont émotifs et qu’il suffit de toucher leur sensibilité pour les faire fondre, parlons de cette notion de « sentiments antifrançais »
Avouons, tout de même, que le bref survol de notre histoire avec la France contient largement de quoi nourrir une colère ! Mais contre qui ? D’abord contre ceux qui nous gouvernent et se laissent manipuler au gré des intérêts de leurs tuteurs ! Une colère contre une relation asymétrique entre la France et nos pays. Une colère contre la balkanisation de notre sous-région, savamment dessinée à Berlin juxtaposant lusophones, anglophones, francophones et même arabophones, sur fond de tensions ethniques sourdes et savamment entretenues. Une colère contre le contrôle des leviers essentiels de nos économies par la France ainsi que le peu d’enthousiasme des banques françaises à financer le développement des projets innovants portés par les jeunes africains.
L’histoire du franc CFA institué à partir du 26 décembre 1945 sous le nom de « Franc des Colonies françaises d’Afrique » énonce tout un programme ! Nos pays étaient encore colonisés. En 1958 la dénomination s’adapte à la montée des revendications pour l’indépendance. Le franc CFA devient « Franc de la Communauté française d’Afrique »… puis et jusqu’à nos jours « Communauté financière d’Afrique ». On voit que le sigle CFA continue quant au fond à dire la même chose pour ses géniteurs. Le mécanisme reste le même. Seul l’emballage est maquillé ! De quoi nourrir de la colère ! Non ? Alors quand on entend Eco, cela nous semble une synthèse entre écu et euro et ça nous rappelle la méthode du changement d’emballage dénoncé plus haut…
Alors oui ! La colère est là. Mais, soyons clairs, elle n’est pas dirigée contre LES français mais contre les lobbies économiques et politiques français qui, depuis des siècles, siphonnent l’Afrique et hypothèquent son avenir. La colère est dirigée aussi contre tous les Zemmour de France, et apparentés, qui insultent nos intelligences et que nous suivons en direct par la magie de la globalisation. Contre les BHL et compagnie qui philosophent en répandant le sang en Lybie et commencent à rêver de la partition du Nigéria (voir son dernier reportage pour Paris-Match.)
Vous voulez savoir ce que nous voulons ? Eh ! Bien ! Tout simplement jouir pleinement des trois mots inscrits sur les frontons des édifices de France. Des mots dont la magie et la saveur nous font défaut depuis notre rencontre avec la France esclavagiste : LIBERTÉ- ÉGALITÉ- FRATERNITÉ.
LIBERTÉ de gérer nos pays et nos ressources, ÉGALITÉ, en droits, avec toutes les races de l’espèce humaine. Sans discrimination. FRATERNITÉ avec tous les hommes et femmes de bonne volonté pour construire un monde paisible, prospère et où il fait bon vivre. A ce prix là, rompons les amarres !
Amadou Tidiane WONE