Les conclusions de l’étude sur le système de rémunération des agents de l’Administration, jusque-là gardées secrètes, sont simplement choquantes, d’après certaines sources. L’étude, réalisée par le cabinet Mgp-Afrique en 2015, sous la commande de l’Etat, avait complètement mis à nu les failles dans ledit système. Pendant que certains agents se taillent de quoi vivre dans l’opulence, d’autres ont à peine de quoi subvenir à leurs besoins. Le classement fait ressortir, d’une part, les privilégiés qui trainent avec des traitements pouvant aller jusqu’à plus de 7 millions de F Cfa. Mais, à n’en pas douter, ce qui choque le plus certains observateurs et grève le budget de l’Etat, c’est le grand déséquilibre à propos des primes et indemnités. Comment en est-on arrivé-là ? Tout commence dans les années 2000. Les enquêteurs indiquent qu’il y a eu “une pléthore de primes et d’indemnités créées et octroyées par de nombreux textes, au gré des pressions et sollicitations sociales, corporatistes ou carriéristes’’. Ainsi, existe-t-il, d’après nos interlocuteurs, pas moins de 80 types de primes et indemnités répartis entre les différents agents de l’Etat. Les plus nombreuses sont liées à un corps ou à un grade. Il y en a, cependant, d’autres qui portent sur l’emploi ou la fonction, sur les risques professionnels et les conditions de travail ainsi que sur la performance. La déstructuration du système indemnitaire Lors de son face-à-face avec les syndicalistes, le 1er mai dernier, le président de la République invoquait la masse salariale déjà très importante, pour justifier son refus d’augmenter les salaires. Celle-ci, disait-il, dépassait le milliard de francs Cfa. Les auditeurs avaient montré qu’en fait, si la masse salariale a sensiblement augmenté ces dernières années, c’est surtout à cause des avantages susmentionnés. La composante des primes et indemnités constitue, en effet, la principale cause de l’explosion de la masse salariale, bien plus que les traitements de base, informe le rapport, d’après notre interlocuteur. Qui estime que la tendance constamment haussière de ces avantages pose le problème de leur soutenabilité. Et ce qui devait être l’accessoire devient presque l’essentiel. Dans certains corps de l’Administration, il arrive que certains gagnent des indemnités qui dépassent largement les 100 % de leur salaire de base. Ce qui est insensé dans un système normal, renseigne notre interlocuteur. C’est à partir de 2004 que l’Etat, pour faire plaisir à certains corps, commence à créer des indemnités à tout-va. Ainsi a été portée sur les fonts baptismaux l’indemnité de responsabilité particulière (Irp) pour les ingénieurs, informaticiens, statisticiens, sortants de l’Ena, personnels du chiffre, planificateurs, économistes… Par la suite, cette indemnité a été élargie aux agents du Cadastre. Pour les médecins, l’Irp est finalement devenue l’indemnité médicale. A partir de là, la grogne syndicale monte. L’Etat, pour atténuer le déséquilibre ainsi créé, avait procédé, en 2006, à une allocation forfaitaire de 70 000 F Cfa pour les agents de la hiérarchie A et 35 000 F pour les agents de la hiérarchie B. Pour ce qui est des catégories à faible revenu correspondant aux hiérarchies C, D et E, elles ont bénéficié d’une ligne d’augmentation de salaire non imposable de 15 000 F Cfa. C’est ainsi qu’en l’espace de 3 ans seulement, les primes et indemnités dans l’Administration ont augmenté de 90 % ; soit 30 % en 2004, 20 % en 2005 et 40 % en 2006. 8 milliards d’heures supplémentaires en toute irrégularité Mais dans l’Administration publique, il n’y a pas que les indemnités et primes qui posent problème. L’autre anomalie relevée par l’étude est relative aux heures supplémentaires. Ainsi, fait-on remarquer, durant les 10 premiers mois de l’année 2015, plus de 8 milliards de F Cfa d’heures supplémentaires ont été versés à certains agents particulièrement privilégiés. Des allocations ‘‘irrégulières’’ caractéristiques d’un ‘‘abus’’ manifeste, selon nos sources. Qui rapportent que ces heures supplémentaires ont eu des effets ‘‘pervers et contreproductifs’’, car poussant certains agents à la triche. On ralentit le rythme du travail pour avoir des heures supplémentaires. Dis-moi quelles sont tes primes et indemnités et je te dis de quelle catégorie sociale et professionnelle tu appartiens. Dans la Fonction publique, ceci est plus que vrai. La seule observation de l’indemnité de logement montre les différences énormes de traitement entre les agents. Là où celle des magistrats vacille entre 400 000 et 1 million de F Cfa, l’indemnité de logement des enseignants – du préscolaire jusqu’au supérieur – était de 60 000 F au moment de l’étude, en 2015. Cette indemnité a été récemment revue à la hausse. Pour les indemnités de fonction, elles sont destinées aux personnels de la santé et de l’éducation. Elles varient entre 20 000 et 76 000 F Cfa seulement. Quant aux magistrats, rien que leur indemnité de judicature, qui est de 800 000 F Cfa, peut payer plusieurs enseignants. Elle n’a rien à voir avec l’indemnité d’enseignement qui est égale à 50 % du salaire indiciaire. Pour leur part, les agents du ministère de la Santé avaient une prime de risque de 50 000 F Cfa. L’indemnité de responsabilité médicale, par contre, est nettement plus élevée, mais est réservée à la seule catégorie des médecins. Elle était de 250 000 F, au moment de l’étude. Aux enseignants du supérieur, il faut également ajouter l’indemnité spéciale de recherche et de formation qui est de 105 % du salaire indiciaire et la prime académique spéciale qui est de 300 000 F Cfa. Fort de ces observations, le rapport dénonçait des “dysfonctionnements, à la fois dans l’organisation, le fonctionnement et la gestion des ressources humaines dans l’Administration publique’’. Lesquels dysfonctionnements ont sensiblement déstructuré le système de rémunération dans l’Administration publique et conduit à une relative démotivation des agents. Ce qui n’a pas manqué d’affecter la qualité des prestations de service public. Ainsi, il a été proposé de revenir à l’équilibre rompu depuis l’an 2000. En outre, pendant que dans certains corps les avancements se font à pas de caméléon, dans d’autres, les agents prennent simplement le Ter. Il est en effet beaucoup plus facile de plafonner dans des corps comme la magistrature. Par ailleurs, les auditeurs avaient également fait plusieurs autres griefs au système de rémunération. Ils dénonçaient une architecture de l’échelonnement indiciaire insuffisamment homogène, des disparités dans la progression de carrières de certains corps par rapport à d’autres et même à l’intérieur de certains corps. Pour eux, il y a aussi un régime indemnitaire inéquitable, grevant de surcroit la masse salariale, une faible évolution de la valeur du point indiciaire, un recours récurrent à des formes de rémunération non liées aux échelles indiciaires, à travers l’octroi d’indemnités différentielles ou l’octroi de soldes globales, un régime indemnitaire inéquitable et inadéquat, un système d’avancement inadapté. Pour une politique plus appropriée de rémunération, le rapport proposait 4 axes majeurs. D’abord, la rénovation du système de rémunération, la modernisation et la fiabilisation de la gestion des effectifs et des masses salariales, le renforcement du dispositif juridique et statutaire de la Fonction publique et la rationalisation de la gestion des personnels. De gros déséquilibres dans le traitement des agents Pour ce qui est de la rénovation du système de rémunération, six recommandations ont été faites au gouvernement. D’abord, la définition de niveaux réalistes et crédibles de rémunération des fonctions dirigeantes pour des raisons liées à une identification de la part des agents publics et la perception des citoyens. Ensuite, ont suggéré les auditeurs, le resserrement de l’éventail des échelles indiciaires, un retour à l’orthodoxie statutaire à travers le respect du principe de la grille indiciaire, la rationalisation, l’harmonisation et la simplification des régimes indemnitaires, la mise en place d’un système d’évaluation des agents publics basés sur des contrats d’objectifs. Il est également préconisé la mise en place d’un dispositif d’avancement incitatif rémunérant la productivité et les performances, la mise en concordance des grilles salariales des personnels des établissements publics administratifs et de santé, d’une part, et des agences nationales, d’autre part avec la grille indiciaire de l’Administration. Pour la mise en œuvre, le rapport proposait au gouvernement d’initier des négociations sur le pacte national de stabilité entre l’Etat, les employeurs et les syndicats d’agents publics. L’autre proposition forte a été la création d’un dispositif institutionnel de suivi de la politique de rémunération et de gestion des effectifs et de la masse salariale. Sur un tout autre registre, notre source de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’étude n’a pas concerné certains services de l’Etat dont les sociétés nationales. En effet, dans le champ d’action des enquêteurs, il a clairement été élagué les forces de défense et de sécurité (armée, gendarmerie police et services de renseignement) d’une part, les établissements publics industriels et commerciaux (Epic), les sociétés nationales, les sociétés à participation majoritaire de l’Etat, les fonds qui ne sont pas dotés de la personnalité juridique ainsi que les projets et programmes. Autant l’exclusion des corps militaires et paramilitaires est compréhensible, autant celui des autres ne s’explique pas, ont dénoncé certains interlocuteurs. En attendant la mise en œuvre des recommandations, il a été pris, entre autres mesures, le gel de tout paiement ou octroi de nouvelles primes ou indemnités. Mais force est de constater que l’Etat n’en a pas trop tenu compte. Entre-temps, d’autres indemnités ont été octroyées et les revendications continuent toujours de pleuvoir. Le gouvernement, quant à lui, semble avoir oublié les conclusions de cette importante étude dans les tiroirs. |