Au Rwanda, l’éducation sexuelle traditionnelle favorise l’éjaculation féminine. Combattues par l’Église catholique, ces pratiques subsistent, comme le montre le documentaire d’Olivier Jourdain, « L’Eau sacrée. »
Il était une fois, au Rwanda, une reine terriblement frustrée par les guerres qui retenaient son époux loin de la chambre à coucher. Au point qu’elle dut se résoudre à faire appel à un serviteur pour la contenter. Craignant des représailles du monarque, ledit serviteur approcha son pénis tremblant du clitoris de la reine, provoquant aussitôt un royal jaillissement. Le kunyaza était né et n’allait pas tarder à se répandre au pays des Mille Collines. Selon l’une des nombreuses variantes de ce conte populaire rwandais, cet épisode aurait même donné naissance à l’immense lac Kivu.
Cela fait huit ans que cette histoire, et surtout cette pratique, obsède le réalisateur belge Olivier Jourdain. Si bien qu’il y a consacré un documentaire très adroit, L’Eau sacrée. À Kigali, en 2009, alors qu’il tournait pour l’ONG Afrique en marche, il avait entendu, fasciné, les explications du fier propriétaire d’un matelas trempé séchant au soleil.
Dans la langue imagée si typique du Rwanda, ce séducteur lui avait fait comprendre que le liquide n’était pas de l’urine, en dépit de la signification littérale de kunyaza (« faire pisser »). L’éjaculation féminine est, en réalité, traditionnellement recherchée lors d’un rapport sexuel au Rwanda : elle est signe de fertilité, d’épanouissement et de bonheur conjugal.
Une règle traditionnelle pour les mariages
Préparer les femmes à l’obtenir fait même partie de l’éducation classique en vue du mariage. Le gukuna, coutume supervisée par la tante paternelle, consiste en une série de massages réciproques et intimes entre jeunes filles pour étirer progressivement les petites lèvres. « C’est comme traire doucement une vache », explique une adolescente dans le documentaire, face à une camarade d’internat qui se demande si cette pratique est bien catholique…
Le gukuna était autrefois si important qu’un mariage pouvait être annulé s’il n’avait pas été fait dans les règles de l’art, au même titre qu’un défaut de virginité
À terme, les petites lèvres dépassent des grandes, ce qui augmente la sensibilité et favorise l’éjaculation féminine. L’opposé de l’excision, en somme. Le sexe féminin obtient ainsi une sorte de protection (des « rideaux », en kinyarwanda), l’équivalent du prépuce des hommes, qui, à la différence de la plupart des régions du continent, était traditionnellement conservé au Rwanda. Le gukuna était autrefois si important qu’un mariage pouvait être annulé s’il n’avait pas été fait dans les règles de l’art, au même titre qu’un défaut de virginité.
Fierté pour les hommes, pêché pour les prêtres
C’est à l’époux que revient ensuite de pratiquer le kunyaza : en principe assis face à sa compagne, il utilise son sexe pour lui tapoter le clitoris jusqu’au fameux jaillissement. Ceux qui l’ont vécu en gardent souvent un souvenir ému, voire lyrique. « Un kunyaza réussi provoque un jet, témoigne un partisan de cette technique. Certaines femmes s’épanouissent au point de pousser des cris qui font sourire tout le voisinage. Les amants sont parfois comblés quand le liquide dessine un cœur sur leur lit d’amour. »
Le sexe « à la rwandaise » est un motif de fierté et de plaisanterie entre amis. Peu de femmes en parlent toutefois devant des hommes, ce qui rend les témoignages recueillis par Jourdain exceptionnels.
Aujourd’hui, la prévalence du gukuna est difficile à estimer. Certains affirment que la pratique connaît une renaissance en dépit de l’hostilité des prêtres catholiques. « Le clergé assimile le gukuna à de la masturbation entre filles et donc à un péché, explique Michela Fusaschi, chercheuse italienne qui a beaucoup travaillé sur le sujet. En réalité, même s’il peut y avoir du plaisir, ce n’est pas l’objectif. C’est même assez douloureux, les premières fois.
Du plaisir pour diminuer le nombre de divorce
Les congrégations évangéliques n’ont pas les mêmes préventions. Il arrive même que leurs églises accueillent les prêches de Vestine Dusabe, prosélyte passionnée du kunyaza. Personnage central du documentaire, cette sexologue tient une émission de radio de conseils conjugaux très populaire sur Flash FM. À son lancement, en 2000, son émission n’était pas du goût des autorités. « Nous avons eu un vrai conflit, car le gouvernement estimait que dans notre culture on ne parle pas de ces choses-là, ou encore que des enfants risquaient de l’entendre, se souvient Vestine. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : l’émission a même été primée ! » Pris entre la promotion des traditions rwandaises et la soif de modernité, le gouvernement évite en réalité de se mêler de cette question.
Certaines féministes africaines se sont saisies de cette pratique
De toute manière, l’optique de Vestine est plus conservatrice qu’il n’y paraît. « Quand je suis rentrée au Rwanda, en 2000, j’étais atterrée par le nombre de divorces, se souvient-elle. Cela vient principalement de la mauvaise connaissance du sexe, des frustrations et tromperies que cela génère. Montrer aux couples comment prendre du plaisir favorise la fidélité et leur solidité », estime cette militante qui recommande aux jeunes femmes de se réserver pour le mariage.
Féminisme et fierté culturelle
Mais il existe, depuis les années 1970, une autre interprétation de ces pratiques, moins patriarcale et plus en phase avec la jeunesse urbaine. Celle-ci insiste davantage sur la solidarité féminine et la connaissance par les femmes de leurs corps. Au point que certaines féministes africaines se sont saisies de cette pratique, comme la chercheuse ougandaise Sylvia Tamale, de l’université de Makerere – la pratique est répandue dans la région des Grands Lacs –, qui lie le renforcement du pouvoir des hommes africains au colonialisme et au capitalisme, ligués pour contrôler la sexualité des femmes. Dans ce cadre, l’éducation sexuelle des femmes serait une forme de résistance.
Michela Fusaschi déplore le rejet du gukuna par certaines ONG occidentales, au nom des droits de l’homme. « Certaines l’assimilent à une mutilation, ce qui n’a aucun sens. Je suis bien sûr favorable aux droits humains, mais cela ne doit pas se faire contre les cultures locales », dit-elle.
Auteur: Jeuneafrique – Webnews