Robert Bourgi connaît bien la politique, surtout africaine, pour avoir servi nombre de chefs d’Etat du continent. C’est pourquoi ses analyses sont très suivies et ses prédictions prises au sérieux. En séjour à Dakar depuis vendredi, ce Franco-sénégalais qui assume sa fraternité et son amitié avec Macky Sall, fait une lecture lucide et froide de la Présidentielle de 2019, note les deux principaux opposants du Président Sall, Idrissa Seck et Ousmane Sonko, trace la feuille de route du chef de l’Etat et fait des projections sur l’après-Macky.
Robert Bourgi, vous êtes à Dakar où vous avez suivi l’élection présidentielle du 24 février dernier. Macky Sall est réélu au 1er tour avec 58,27%. Est-ce que vous êtes surpris par la victoire de Macky Sall ?
Je vais vous faire une confidence. Une fois, j’avais dit au Président Mack Sall que j’écoute les discours de ses opposants, je pense que le peuple sénégalais qui est un peuple qui connaît la démocratie, qui connaît les joutes électorales, imprégné de l’esprit démocratique, va l’élire au premier tour avec au moins 55%. Aujourd’hui, la vérité est là, il est passé avec 58,27%. C’est un plébiscite.
Et quel était le fondement de votre prédiction ?
(Il observe un long silence) D’abord, je dois rappeler que le Président venu à Paris, en décembre dernier, au Groupe consultatif de Paris pour chercher 2850 milliards FCfa, s’est vu octroyer 7356 milliards FCfa. Soit trois fois plus. C’est un signe de confiance que la Communauté des bailleurs a placée en lui. C’est un signe de respect pour lui et pour le Sénégal. Ensuite, quelquefois, je reçois des flashs. Est-ce le fait que je sois un jumeau monozygote ? Je vous assure que j’ai des flashs. En mai 1988, Chirac est candidat contre François Mitterrand, sous la première cohabitation. A l’époque, j’étais conseiller politique du ministre de la Coopération. Je me trouvais à la mairie de Paris et j’avais dit à Chirac qu’il ne va pas gagner devant Mitterrand. Tout le monde sait combien j’affectionne Nicolas Sarkozy, mais en 2012, quand il m’avait demandé comment je voyais les choses, je lui avais fait part de mes inquiétudes. Car, il avait perdu la banlieue pour n’avoir pas été intéressé à ces populations et aux binationaux. La banlieue, c’est 500 000 personnes et plus.» Et la différence des voix entre Hollande et Sarkozy, c’était le poids politique de la banlieue. Je vois les choses comme ça. Et je ne pouvais pas imaginer un seul instant que Macky Sall puisse perdre ces élections et de ne pas passer au premier tour. Je me rappelle l’avoir dit dans votre journal il y a un peu plus de sept mois.
Mais les résultats sont contestés par ses adversaires…
Le comportement des adversaires de Macky qui ont été défaits, n’est pas démocratique. Ils disent contester les résultats, mais ne déposent pas de recours. Ils manquent de cohérences dans la démarche. S’ils ne font pas de recours, c’est parce qu’ils savent bien qu’ils n’ont aucune preuve de quelque tricherie que ce soit. L’époque où les urnes étaient bourrées est révolue. Dans chaque bureau de vote, il y avait les représentants de chacun des candidats et le Président de la Cour d’Appel, Demba Kandji, est un homme au-dessus de tout soupçon. Ce sont les résultats sortis des urnes qui ont été proclamés sous le contrôle de la Cedeao, de l’Union africaine, de la Francophonie, de l’Union européenne, de la Société civile… Pourquoi mettent-ils en doute le scrutin ? Macky a gagné. Et avec la manière. Le pays lui fait confiance. Je considère les adversaires de Macky Sall comme la grenouille de la Fables qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. La suite, on connaît…
Est-ce que Macky Sall n’a pas gagné faute d’avoir des adversaires forts ?
Il y a un score qui m’aura quand même surpris, c’est celui de Idrissa Seck qui a fait quelque chose comme 800 000 voix. C’est énorme. Mais, il y a un autre score qui m’a impressionné, c’est celui de Ousmane Sonko. J’ai écouté quelques discours que les amis sénégalais me transmettaient, je n’imagine pas l’avenir de l’après-Macky Sall sans Ousmane Sonko. Idrissa Seck vient de perdre sa troisième tentative à la Présidentielle. Le temps va passer pour lui. Il n’est constant ni dans ses discours ni dans ses convictions. Son discours sur la Kaaba est troublant et resté dans l’esprit de beaucoup de Sénégalais qui sont des gens pieux. Mais Ousmane Sonko qui a un discours, me dit-on, de salafiste, a de l’avenir. Je ne le vois pas ne pas grimper dans le cœur des Sénégalais. J’ai constaté, lors de la campagne électorale, un amour fou des jeunes et des femmes pour Macky Sall. Mais j’ai constaté aussi que les jeunes affectionnent tout particulièrement Sonko. La manière dont ils affectionnent Sonko n’est pas la même approche de celle qui existe pour Idrissa Seck. Aujourd’hui, Idrissa Seck apparaît comme un homme du passé. Même par rapport à Macky Sall, Idy est un homme du passé, son discours est vieux, ancien. C’est l’ancien monde. Sonko, c’est le monde de demain, le Sénégal de demain. N’oubliez pas ceux qui sont pour lui, il y a ceux qui n’ont pas l’âge de voter. Ceux-là voteront pour lui. Toutes ces voix pourraient partir vers lui.
Comment vous appréhendez l’après-Macky Sall ou son héritage politique ?
Son héritage sera énorme sur le plan des infrastructures, sur le plan de l’éducation, de la santé, dans le social… Cet homme a déjà transformé le pays, mais il va le transformer encore plus pendant les cinq années qui vont venir. Les héritages sont lourds, difficiles à supporter. Pour l’après-Macky, je dois dire que je ne connais pas bien son nouvel entourage, mais je ne serai pas étonné que deux à trois personnalités fortes s’affirmeront. Ces personnalités se forgeront à l’école et au contact du Président.
D’après vous, quels doivent être les grands défis de Macky Sall pour les cinq prochaines années ?
Voilà le conseil que je lui donne : «Macky, franchement, tu es un leader. Rends un service éminent à ton pays, inities le dialogue avec les opposants. Tu es Président, tu es au-dessus de la mêlée, c’est ton dernier mandat, essaies de tout faire pour laisser le pays en paix.» Si je dis ça, c’est parce qu’il y a eu des tensions, la sortie des blindés, des troupes, les grenades lacrymogènes… (Il ne termine pas la phrase). Je ne dis pas que c’est la faute du pouvoir, c’est même à cause de l’agitation des opposants. Mais, je l’inviterai à tenter de nouer un dialogue avec ses opposants. Il n’y a que Sonko que je ne connais pas. Madické est un homme que je respecte, on a fait des missions avec Karim Wade quand la Française était détenue en Iran en 2009. Madické est un homme de paix. Idrissa est un homme ouvert et je pense qu’il ne dira pas «Non» à un dialogue avec le président de la République. Il faut que les Sénégalais se retrouvent et essayent de s’entendre pour que la préservation de la paix sociale soit assurée. Cessons les tensions, c’est mauvais. Il faut préserver l’héritage de Macky Sall. Il a fait des choses énormes pour notre Sénégal. Il inspire la confiance. C’est un homme qui a le culte de l’Etat ancré en lui, il a pour lui le service de l’Etat, il a pour lui le service de l’intérêt général, il a pour lui le service de l’intérêt des Sénégalais, l’honnêteté, le courage. Et tout cela mélangé fait que le Sénégal a réélu, pour encore 5 ans, un Président digne de ce pays et dont tous les Sénégalais peuvent être fiers. C’est pour cela que, de la même manière que j’avais dit sur le plateau de Jean-Jacques Boudin : «J’aime Sarkozy», je vais aussi dire ici : «J’aime Macky.»
Comment vous vous êtes connus ?
Je dois vous avouer que j’entendais parler de Macky Sall quand il était ministre de l’Intérieur du Président Abdoulaye Wade. Je sais qu’il avait rencontré le Président Sakorzy quand celui-ci était aussi ministre de l’Intérieur. Comme Sarkory me sait Sénégalais et Français, il m’avait dit que c’est un garçon très bien et qu’il lui voit un destin national. J’ai gardé cela pour moi. Karim Wade, alors ministre de tous les ministres de tous les départements importants du Sénégal, avait jugé nécessaire que je connaisse Macky Sall. Il m’avait conduit à la Primature et nous avions discuté longuement. Rentré à Paris, je lui avais fait une lettre pour lui dire quel était le sentiment qui se dégageait en lui. Et de ce jour, je n’ai jamais cessé d’entretenir des relations avec Macky Sall. J’ai continué à le fréquenter quand il était en semi-disgrâce à l’Assemblée nationale et quand il avait quitté ses fonctions. D’ailleurs, je lui rendais visite chez lui à Mermoz où je buvais le thé avec lui. C’était deux ans avant la Présidentielle que Wade avait perdue. Un soir, je suis allé le voir avec un chauffeur et une voiture mis à ma disposition par Karim et le Président Wade. Macky Sall m’avait alors dit : «Robert, tu penses que le Président Wade va accepter que tu sois venu me rendre visite.» Je lui ai répondu : «Tu es mon ami, je ne vois pas pourquoi je te tournerai le dos.» Macky Sall ne se trompait pas parce que, le soir même, j’ai reçu un coup de fil de Karim Wade extrêmement dur. Et le lendemain, était prévu un déjeuner au Palais, il y avait le Président Wade, Karim et moi-même, au dernier étage du Palais. Le Président Wade m’avait fait savoir qu’il n’était pas content de la visite que j’ai rendue à Macky. Ce qui m’a plus marqué, c’est que je n’ai jamais entendu Macky Sall, dans l’intimité, dire quelques mots désagréables à l’égard du Président Abdoulaye Wade.
L’on a constaté que vous étiez là lors de la campagne électorale et le jour du scrutin…
J’ai eu l’honneur et le plaisir de participer pendant trois jours à la campagne électorale du Président Macky Sall. Je suis allé en Casamance, plus exactement à Ziguinchor, chez mon ami Abdoulaye Baldé que j’ai bien connu du temps du magistère du Président Abdoulaye Wade. Et je lui ai maintenu mon amitié et mon estime et mon respect, bien que je sois son aîné. Parce que c’est un garçon d’une intégrité et d’une loyauté absolues. Au moment de l’affaire Karim Wade (Traque des biens supposés mal acquis : Ndlr), je n’ai pas du tout apprécié qu’on ait cherché à culpabiliser et à charger Abdoulaye Baldé. Au mois de décembre dernier, m’entretenant avec lui au téléphone et ayant appris qu’il était candidat à la Présidentielle, ce que je jugeais prématuré et un peu disproportionné, je l’ai appelé et j’ai discuté avec lui à plusieurs reprises en lui disant de ne pas brûler les étapes. Pour revenir à votre question, j’ai été à Ziguinchor et à Bignona, j’ai vu un peu le monde qu’il y avait autour du candidat Macky Sall.
Votre présence à ce meeting de Bignona vous a coûté un lynchage dans les réseaux sociaux…
Si je suis allé au meeting de Bignona, c’est parce que Abdoulaye Baldé avait mis à ma disposition une voiture et un chauffeur. J’ai été agréablement surpris en arrivant à Bignona devant la foule, des milliers de supporters du candidat Macky Sall, un homme courtois s’est approché de moi et s’est présenté comme le chargé du protocole du candidat Macky Sall. Il m’a demandé de le suivre pour être installé à la tribune officielle. Ce garçon m’installe tout de suite derrière le Président, à la deuxième rangée. J’avais même hésité et j’ai demandé à une dame d’échanger sa place avec moi et je me suis retrouvé un peu décalé du siège du Président. Quand Macky Sall est monté sur la tribune, il m’a serré la main et était content de me voir. Et à la fin du meeting, j’ai eu l’agréable surprise de voir le Président se retourner dans ma direction pour me dire : «Robert, dis à ton chauffeur et ta sécurité de se mettre dans le cortège présidentiel. Et toi, tu viens avec moi.» Tout le monde a entendu cela et nous descendons de la tribune et j’ai dit : «Mon Dieu, le Président qui me met en avant, c’est un peu gênant.» Le Président me prend la main et m’entraîne vers la voiture. Le Colonel chargé de la sécurité du Président m’ouvre la porte et m’installe dans la voiture du Président et ce dernier monte à côté moi. De Bignona jusqu’à Ziguinchor, nous étions ensemble.
Pourtant, il y a certains qui ont dit que le Président ne vous a pas invité…
Non seulement cela m’a surpris, mais cela m’a fait rigoler. Ce sont des réflexions et des remarques de gamins. Parce que je me demande comment un homme peut s’installer à la tribune présidentielle derrière le président de la République sans y avoir été invité ? Alors que les éléments de sécurité se comptaient par dizaines, voire par centaines. Et deuxièmement, comment voulez-vous qu’un homme puisse rentrer dans la voiture du président de la République sans y avoir été invité ? Cela m’a fait sourire et je sais que les internautes, les soutiens de Idrissa Seck et de Karim Wade et des autres opposants se sont déchainés sur les réseaux sociaux. Et lorsque j’en ai parlé au président de la République, il m’a dit ceci : «Robert, tu dis à ceux qui veulent violer la vérité, que c’est moi qui t’ai fait installer dans la tribune. Que c’est moi qui t’ai demandé de monter dans la voiture pour faire le parcours de Bignona à Ziguinchor.» C’est clair !
A votre avis, pourquoi votre présence aux côtés du Président Sall gênerait certains ?
Sur les réseaux sociaux, après ma présence en Casamance, on m’a traité de démon de la Françafrique, de suppôt de la Françafrique. A travers votre journal, j’interpelle le Président Wade, son fils Karim Wade et Idrissa Seck en leur posant la question de savoir : «Pourquoi, pendant près de 12 ans pour la famille Wade, et pendant plusieurs années pour Idrissa Seck, m’ont-ils fréquenté ? Pourquoi m’ont-ils reçu ? Pourquoi m’ont-ils ouvert leurs portes ? Est-ce qu’ils ont oublié tous les services que je leur ai rendus ?»
Quels genres de services vous leur avez rendu…
J’ai rendu des services éminents au Président Wade et à Karim Wade. Comprenez que je ne puisse m’étendre là-dessus. Ils savent quels sont les services que je leur ai rendus. Karim Wade, nous nous sommes vus une centaine de fois pendant 12 ans. C’était un visiteur assidu de mon cabinet à Paris. Je l’ai accompagné chez le Président Sarkozy, chez Claude Guéant. Je l’ai accompagné un peu partout, même à Libreville, au Gabon, du temps du Président Omar Bongo.
Et Idrissa Seck ?
Je l’ai fréquenté quand il était ministre d’Etat, directeur de Cabinet du Président Wade. J’ai été chez lui, nous nous sommes vus à Paris. A chaque fois qu’il arrive à Paris, il descendait à l’hôtel Saint James dans le 16e, on était toujours ensemble. Comment se fait-il que cet homme, tout d’un coup, demande à ses fidèles de me traiter de démon de la Françafrique ? Je n’ai jamais fait de mal ni à Karim Wade ni au Président Wade, encore moins à Idrissa Seck. D’ailleurs, dans les interviews que j’ai données, j’ai toujours dit que Idrissa Seck avait une envergure d’un homme d’Etat, c’était un homme intelligent et que je ne le suivais pas dans certains de ses choix politiques. Quant à Karim Wade, la seule fois où je me suis opposé violemment à lui, c’est quand il m’a réveillé le jour des émeutes de l’électricité à Dakar (27 juin 2011 : Ndlr) pour me demander de dire au Président Sarkozy de faire intervenir les Forces françaises à Dakar. Tout le monde se rappelle de sa phrase : «Tonton, le pays brûle.»
NDIAGA NDIAYE
IGFM