«On ne réveille pas un lion qui dort, au risque d’être brutalisé. » Le 23 juillet, à Dakar, nul doute que l’avertissement de Macky Sall à ses adversaires visait une personne en particulier : Ousmane Sonko, inspecteur des impôts et domaines, dont la propension à mettre en cause le chef de l’État et son entourage dans différentes affaires de corruption présumée irrite au plus haut point à la présidence.
Des révélations dérangeantes
Depuis le mois de mai, Sonko, également à la tête du parti Pastef-Les Patriotes, a pointé du doigt plusieurs « anomalies » fiscales ou budgétaires dans le fonctionnement de l’État. L’information selon laquelle l’Assemblée nationale ne verserait rien au Trésor public alors que des impôts sont prélevés sur les salaires des députés ? C’est lui. Les soupçons de fraude fiscale visant Aliou Sall, le frère cadet de Macky ? Encore lui. Les accusations sur la redistribution des biens saisis à Karim Wade à des proches du président ? Toujours lui…
Ajoutez à cela un certain sens de la formule et de la provocation – « Un lion qui dort, c’est le symbole d’un ventre bien rempli, du manque d’agressivité et de la paresse », a répondu Sonko – et l’on comprendra aisément l’agacement que peut susciter cet ancien syndicaliste dans les couloirs du Palais de la République.
À force d’être titillé, le lion a fini par se réveiller. Le 29 août, un décret présidentiel annonce qu’Ousmane Sonko est radié de la fonction publique pour manquement à son devoir de réserve. « Tout ce que j’ai dit est basé sur des informations publiques, tirées de documents officiels, et non sur des éléments glanés dans l’exercice de ma profession d’inspecteur des impôts. Ils veulent juste museler et asservir les hauts fonctionnaires », se défend l’intéressé, qui entend contester cette décision en formant un recours devant la Cour suprême.
Ces derniers mois, à l’image de Sonko, plusieurs nouvelles têtes, extérieures aux partis d’opposition traditionnels, ont endossé le rôle de « poil à gratter » de Macky Sall. C’est le cas de Nafi Ngom Keïta, la présidente de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) limogée par décret présidentiel fin juillet. Alors que l’exécutif a en partie justifié cette décision par des tentatives de « manipulation de l’opinion » et « des fuites organisées de documents officiels confidentiels », ses défenseurs affirment qu’elle a en réalité été renvoyée pour s’être intéressée d’un peu trop près aux affaires de certains membres du clan présidentiel.
Il y a aussi, et surtout, Abdoul Mbaye, banquier de formation et Premier ministre d’avril 2012 à septembre 2013, qui vient de relancer son parti, l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT).
Le 15 août, il a adressé à Macky Sall une lettre publique, dans laquelle il s’interroge sur les conditions d’attribution des permis d’exploitation du pétrole sénégalais à Pétro-Tim, société pétrolière liée à Aliou Sall. L’affaire a fait grand bruit, à tel point que Mahammed Boun Abdallah Dionne, l’actuel chef du gouvernement, a lui-même pris la plume pour lui répondre et défendre son patron.
Un besoin de transparence
Issus de parcours très différents, Sonko et Mbaye sont loin d’être des poids lourds politiques locaux, mais ils ont en commun de taper là où ça fait mal : la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, deux thèmes qui avaient été les chevaux de bataille de Macky Sall lors de sa victoire contre Abdoulaye Wade, en 2012.
« Ils brillent par leur style offensif et leurs profils atypiques : l’un est un inspecteur des impôts dont le côté téméraire plaît aux Sénégalais, l’autre démarre une carrière politique sur le tard, ce qui est pour le moins inhabituel dans ce pays », analyse l’éditorialiste Babacar Justin Ndiaye. Récusant l’étiquette de « lanceurs d’alerte », les deux hommes se considèrent plutôt comme des leaders souhaitant inaugurer une nouvelle façon, plus transparente, de faire de la politique.
Les attaques à répétition de ces nouveaux venus ont vite fait d’eux les coqueluches des médias locaux. Depuis quelques mois, pas une semaine ou presque ne passe sans qu’un journal, une chaîne de télévision ou une radio n’évoque Sonko, Mbaye ou les dossiers qu’ils ont soulevés sur la place publique.
« Nous sommes en démocratie, tout le monde a le droit de s’exprimer. Mais il y a aussi une éthique à respecter : on ne peut pas formuler des accusations aussi graves et d’une telle mauvaise foi sans apporter la moindre preuve », s’agace un conseiller du chef de l’État. « Nous posons seulement des questions importantes qui méritent des réponses. Les citoyens sénégalais ont le droit de savoir », rétorque Abdoul Mbaye. Même son de cloche chez Sonko, qui estime qu’il est « normal que Macky Sall réponde de certaines choses après avoir promis une gestion transparente et vertueuse de l’État ».
Des sanctions contre les « justiciers »
Face à ces adversaires virulents, le pouvoir exécutif a fini par répondre en employant la manière forte. Nafi Ngom Keïta a donc été limogée et Ousmane Sonko radié. Quant à Abdoul Mbaye, la majorité ne cesse de pointer ses démêlés avec la justice pour faux et usage de faux dans sa procédure de divorce.
Entre les deux camps, la guerre est déclarée. Tandis que les membres du clan présidentiel promettent une contre-offensive dans les semaines à venir, Sonko et Mbaye n’ont pas l’intention de se taire. Quitte, pour le premier, à prendre parfois des postures de Zorro de la bonne gouvernance : « Nous aidons les Sénégalais à ouvrir les yeux sur ce qui se passe. Nous allons donc continuer à mettre le doigt sur la mauvaise gestion de Macky Sall et de son entourage. »
Des élans justiciers qui font sourire les partisans du chef de l’État, prompts à rappeler son bilan dans ce domaine. « Depuis 2012, le président a mis en place l’Ofnac, le code de transparence ou encore la déclaration de patrimoine des ministres et hauts fonctionnaires. Tous ces dispositifs font du Sénégal un des leaders reconnus de la sous-région en matière de lutte contre la corruption. Évidemment, nos adversaires se gardent bien d’évoquer tous ces efforts », souligne Seydou Guèye, ministre porte-parole du gouvernement.
Rivaux politiques
Derrière leurs critiques acerbes contre le pouvoir en place, Ousmane Sonko et Abdoul Mbaye nourrissent de vraies ambitions politiques. Tous deux ont les prochaines élections législatives, prévues en juin 2017, dans leur ligne de mire.
Ils affirment notamment vouloir instaurer un plus grand contrôle gouvernemental pour mettre fin au rôle de « chambre d’enregistrement » qu’ils attribuent à l’Assemblée nationale. À l’image de leurs sièges de parti, qui ne sont séparés que de quelques centaines de mètres dans le quartier de Ouest-Foire, à Dakar, les deux hommes ne cachent pas qu’ils pourraient prochainement se rapprocher. Ils se sont d’ailleurs déjà rencontrés à deux reprises, pour évoquer les contours que pourrait prendre une éventuelle alliance aux législatives.
L’émergence de ces nouveaux rivaux fait-elle frémir la majorité présidentielle ? Ses cadors assurent que non, préférant ironiser sur l’inexpérience et le manque de poids électoral des deux trublions.
Entre Macky Sall et ses nouveaux opposants, le match ne fait peut-être que commencer
« Ils ne nous font pas peur et ne constituent pas une menace sérieuse. Ils entretiennent l’effervescence politique à Dakar, mais sont absents dans le reste du pays. Qu’ils se présentent face aux électeurs et nous verrons qui gagnera… », ironise Mame Mbaye Niang, ministre de la Jeunesse et de l’Emploi. Les partis de Sonko et Mbaye n’ayant jamais participé à une élection, il est vrai qu’il est difficile de connaître leur influence réelle dans les urnes.
« Les législatives seront un premier test. Les Sénégalais adhèrent à notre discours et ils [la majorité] le savent. D’où leur volonté d’en découdre, mais nous les attendons », affirme, bravache, le leader de Pastef-Les Patriotes. Entre Macky Sall et ses nouveaux opposants, le match ne fait peut-être que commencer.
L’opposition serre les rangs
Les représentants des principaux partis d’opposition se sont réunis le 30 août dans un grand hôtel de Dakar pour lancer officiellement la plateforme des Forces démocratiques et citoyennes du Sénégal (FDC-Wallu Sénégal), qui entend mettre fin aux « dérives » du régime de Macky Sall. Outre Oumar Sarr, du Parti démocratique sénégalais, et Déthié Fall, de Rewmi, une dizaine de figures de l’opposition, dont Ousmane Sonko et Abdoul Mbaye, étaient présents. À l’issue de la réunion, les meneurs du FDC-Wallu Sénégal ont appelé à l’organisation d’une grande marche le 1er octobre dans la capitale pour la « défense de la démocratie et des valeurs de la République »