Reprise des cours, le 2 juin : Pourquoi l’Etat du Sénégal devrait annoncer la fin de l’année scolaire

La décision du chef de l’Etat de faire reprendre les cours le 2 juin prochain, quelle que souveraine qu’elle puisse être, a fait naître beaucoup de réactions, souvent hostiles. La praticabilité de cette mesure reste une question majeure puisque la situation sanitaire a presque échappé au contrôle de l’autorité avec le nombre ahurissant de cas positifs. Qui pis est, les différentes sorties des ministères de l’éducation et de a formation professionnelle sont loin de rassurer les acteurs de l’école. A moins de vouloir se servir des enseignants et élèves comme des « rats de laboratoire », il faut impérativement trouver une solution aux 5 problèmes qui rendent impossible une reprise effective le 2 juin prochain.

 

Malgré le nombre de cas positifs, 1634 dont 975 sous traitement le Sénégal a décidé d’emboîter le pas aux pays qui ont décidé de rouvrir les classes. L’éducation devient ainsi le premier secteur à sortir de son confinement depuis 2 mois. Toutefois, la situation du Sénégal est différente de celle de ces autres pays du fait de plusieurs facteurs. D’abord parce que le système de santé est totalement différent. Ensuite parce que la maladie a atteint son pic dans ces pays d’Europe alors que le Sénégal est dans une phase ascendante de l’épidémie. Dès lors, le choix insistant des autorités étatiques à rouvrir les écoles, injustifiable au demeurant, risque de connaitre un fiasco total.

  1. La problématique du voyage retour

Les ministères concernés savent que la reprise des cours ne peut se faire sans qu’une levée de l’interdiction de voyage ne soit opérée. Mais là où ils semblent sous-estimer la situation, c’est quand ils apprécient l’éventualité d’une telle mesure en ayant en tête les enseignants seulement. A maintes reprises, le directeur de la formation et de la communication du ministère de l’éducation nationale, Mamadou Moustapha Diagne s’est prononcée sur la question sans penser aux élèves. Or beaucoup d’élèves, retournés au village après la suspension des cours, se retrouveront dans la difficulté de voyager au même titre que les enseignants.

 

Auront-ils tous des autorisations pour voyager ? Cette question mérite d’être posée puisque les voitures ne font plus le trajet interurbain et le ticket de voyage a subi une hausse hallucinante. A moins qu’ils ne soient accompagnés dans cette logique de reprise, il n’est pas besoin d’être expert pour se rendre compte que beaucoup d’apprenants villageois seront laissés à eux-mêmes. D’ailleurs, lors de leur rencontre avec le ministère de tutelle, les syndicats d’enseignants ont fait de ce point une condition non négociable pour la reprise des cours en toute sécurité.

  1. Le dépistage des enseignants

Le dépistage est un autre engagement difficile à mettre en œuvre pour ce que devrait coûter un test par personne. L’Etat du Sénégal, qui a écarté le dépistage généralisé parce que coûteux, s’acquittera difficilement de cet engagement de tester tous les enseignants ayant voyagé, avant la reprise des cours. Dans une enquéte sur les tests covid19  publiée récemment par SeneNews, il apparait qu’un test coûte entre 40 000 FCFA et 50 000 CFA. De ce point de vue, il est quasi-inimaginable de tester tous ceux qui sont dans la situation indiquée par le ministère et qui pourraient être estimés à 40 000 acteurs au bas mot. Le contexte des congés de la jeunesse avait fait qu’un nombre important d’enseignants avaient quitté leurs postes pour retrouver leurs familles.

Sur cette question aussi, les autorités n’ont pris en compte que les enseignants. Pourtant, il faut s’attendre au retour de milliers d’apprenants répartis entre les classes de CM2, Bfem, et terminale. Dès lors, tester les enseignants et laisser les élèves équivaudrait à donner un coup d’épée dans l’eau pour son inefficacité et son incohérence. Devant cette situation, on est tenté de croire que l’Etat n’aura pas les moyens de tester tout le monde. Or, tout le monde est un porteur susceptible du virus.

3. Le transport pour les élèves en milieu urbain

Même si ce problème ne se posera pas en milieu rural, il doit bénéficier d’une attention particulière afin que la reprise puisse se faire dans les conditions idoines en milieu urbain. Et pourtant, au risque d’être taxé d’oiseau de mauvais augure, il faut oser pointer du doigt les limites qui se dressent. Avec la réorganisation conjoncturelle que connait le secteur du transport, il sera particulièrement difficile pour les élèves et enseignants de faire la navette entre l’école et chez eux sans un double risque.

Le premier risque concerne le déroulement des enseignements apprentissages. Aussi bien pour les enseignants que pour les élèves, ils sont exposés à des retards dus à l’absence de voitures comme il sera particulièrement difficile d’en trouver pour aller travailler. Ces retards se répercutent sur la compréhension de l’élève et sur le rendement de l’enseignant. Le deuxième et non moins important risque est celui de la contraction de la maladie, favorisée par les rassemblements et bousculades en dehors de l’établissement, notamment au niveau de arrêts bus. A toujours s’exposer au virus qui circule avec les transmissions communautaires, on peut finir par le ramasser malgré les précautions prises dans les écoles. Cela est surtout valable pour les enfants de CM2 qui ne peuvent pas être sous surveillance en permanence.

  1. Conditions d’hygiène dans les établissements

Bien que le risque zéro n’existe pas, surtout en temps de pandémie, il faut reconnaitre que certains choix ne sauraient rassurer pour leur caractère précipité. Même en France, la référence des décideurs politiques, où la reprise est sujette à des conditions très claires, la décision de rouvrir les écoles n’est pas avalisée par tous les parents d’élèves. De la même manière, elle revêt un caractère impopulaire au Sénégal tant les acteurs et parents d’élèves ne sont pas rassurés face à la maladie. Contrairement au gouvernement qui fait une fixette sur la date du 2 juin, les acteurs de l’école préfèrent ne prendre aucun risque : l’éducation ne vaut pas plus que la santé !

L’autorité a annoncé des mesures (encore qu’elle manque souvent à son engagement) certes, mais cela laisse de marbre certains enseignants qui lui demandent d’ailleurs de commencer par reprendre les séances de conseils des ministres en « mode présentiel » au lieu du mode viséoconférence. Sur ce point, le secrétaire du Cusems, Abdoulaye Ndoye a été très clair face au ministre de l’éducation.

Sur les ondes de la radio Sud Fm, il affirme que  la reprise ne doit pas se faire sans l’avis du comité national de gestion des maladies : « nous ne voulons pas que ce qui est arrivé au Japon nous arrive. Au Japon, on a repris les cours, le 6 avril, et une semaine après, les écoles ont été fermées parce qu’il y a une contamination de masse ». Sachant le risque auquel l’école est exposée, mention a été faite de la nécessité de protéger les enseignants en leur dotant  des masques chirurgicaux avec trois plis, des gants, du gel hydro-alcoolique et des kits de lavage de mains. Ces préalables ne peuvent aucunement être satisfaits pour les dizaines de  milliers d’écoles qui existent au Sénégal

  1. Le dispatching et la répartition des classes

Beaucoup de propositions ont été faites par des acteurs de l’école pour permettre un bon déroulement des enseignements apprentissages. Mais le problème de l’organisation des classes reste une question à ne pas négliger. Si dans les écoles à effectifs réduits, la difficulté ne semble se poser, c’est tout le contraire pour les écoles dont les effectifs tournent autour de milliers. Ce problème du dispatching sera d’autant plus important pour les classes de CM2 qu’il faudrait faire forcément appel à d’autres enseignants.

En effet, à cette période de l’année, des élèves de l’élémentaire vont se retrouver entre les mains d’autres enseignants, différents de ceux qui les avaient eus avant la pandémie du coronavirus ; ce qui peut perturber la continuité des cours. Pour casser en deux une classe de CM2 qui fait 50 élèves par exemple, il faudra impérativement deux enseignants. Dans les écoles qui n’ont qu’une classe de CM2, le problème de la répartition des cours peut ne pas se poser. A contrario, les écoles qui ont 3 classes de CM2 auront besoin de 6 salles de cours pour faire observer la distanciation sociale et autant de maitres ou maitresses pour terminer le programme. Même si la difficulté ne se pose pas en termes d’effectif, elle pourrait toujours s’offrir à nous en termes de compétence et de maitrise.

Pour les cycles moyen et secondaire, le problème change forcément de nature. Il se porte ici sur le nombre d’heures à gérer par professeur. Si le retour ne concerne que les enseignants qui tiennent des classes d’examen, il y aura forcément un grand chamboulement sur les emplois du temps. La raison est qu’il y a des professeurs qui peuvent tenir jusqu’à 3 classes d’examen, notamment ceux dispensant les mathématiques et le français au collège, ainsi que ceux dispensant la philosophie, l’histoire et la géographie, les sciences pour la série S et le français au lycée. Pour une classe cassée en deux, ces enseignants se retrouveront avec 12 heures là où ils avaient initialement 6 heures. Dès lors, comment pourraient-ils faire pour le reste des classes qu’ils doivent tenir dans la limite de leurs nombres d’heures ?

C’est pourquoi il se pose un problème de méthode. Fixer le retour pour seulement les enseignants qui tiennent les classes d’examen, comme l’a sous-entendu le DFC du ministère de l’éducation nationale, est une bonne manière de faire capoter la reprise des cours. Tout semble indiquer que l’on va vers un fiasco tant les obstacles à surmonter sont nombreux. S’ils ne sont pas d’ordre sanitaire, ils sont d’ordre pédagogique, mais le constat général est qu’il y a loin de la coupe aux lèvres pour une reprise effective. Les 5 problèmes soulevés dans ce papier sont à inscrire dans l’agenda de la préparation du retour dans les classes, lequel retour ne peut se faire sans des mesures spécifiques.

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