[Reportage] Zone industrielle de Pikine : Les ouvriers dans l’enfer total

Zone industrielle de Pikine
Zone industrielle de Pikine

Dans les faubourgs de Dakar, au cœur du département de Pikine, se trouvent des usines où se jouent quotidiennement des drames silencieux. Ces drames, ce sont les histoires de milliers de travailleurs, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, qui se battent pour leur survie dans des conditions de travail dignes d’une autre époque. Dans cette zone, les ouvriers vivent un véritable calvaire qui rappellent à bien des égards l’esclavage moderne. Seneweb y a fait un tour afin de donner la parole à ces jeunes travailleurs désespérés à la quête de la survie

Dans ces usines, les horaires de travail semblent ignorer toute humanité. Les ouvriers, souvent jeunes et sans autre option d’emploi, travaillent entre 7 et 19 heures sans pause suffisante. Les pauses repas sont rares, et il n’est pas rare de voir des travailleurs continuer leurS tâcheS, affamés, pour répondre aux exigences de leurs supérieurs. Le rythme effréné et inhumain est imposé sans relâche. « Les employeurs nous demandent de travailler sans relâche, toujours plus vite, pour atteindre des objectifs de production de plus en plus ambitieux. Les conditions de travail sont devenues insupportables marquées par un rythme intense et une pression constante. Les ouvriers, même lorsqu’ils sont épuisés, n’ont parfois même pas le droit de s’asseoir pour se reposer quelques instants. Cette situation illustre une réalité où la recherche de productivité maximale prime sur le bien-être des travailleurs » confie Abdoulaye âgé 24 ans employé dans une usine .Abdoulaye n’est pas un cas isolé. Des centaines de travailleurs partagent son sort, s’épuisent jour après jour dans des conditions extrêmes.  » Je travaille dans une usine située à Pikine. Chaque jour, je dois endurer de longues heures de travail sans répit. La fatigue s’accumule, mais je n’ai pas le choix. J’ai une fille à nourrir, à élever, et ses besoins passent avant tout. Même si je suis épuisée, je continue à travailler car c’est la seule façon de m’assurer qu’elle ne manque de rien. C’est difficile, mais en tant que mère, je fais tous les sacrifices nécessaires pour subvenir à ses besoins et lui offrir un avenir meilleur. » raconte Mariama, une ouvrière de 30 ans.
 
 
 
Outre les longues heures, les conditions physiques de travail sont elles aussi alarmantes. Les ateliers sont souvent mal ventilés, mal éclairés et insalubres. Les équipements de sécurité sont rares, voire inexistants. En effet, les travailleurs manipulent des produits sans protection adéquate, exposés à des risques sanitaires majeurs. Les cas d’accidents du travail sont nombreux, mais peu sont déclarés par peur de perdre leur emploi. Les témoignages sont glaçants. « Nous travaillons dans des conditions très dangereuses, où chaque journée représente un risque pour notre santé et notre sécurité. Les machines bruyantes, les produits chimiques nocifs, et l’absence de mesures de protection adéquates rendent notre environnement de travail particulièrement périlleux. Pourtant, nous n’avons pas d’autre choix. Pour beaucoup d’entre nous, ce travail est le seul moyen de subvenir aux besoins de nos familles et d’assurer un revenu stable. Malgré la peur et les dangers, nous continuons à nous rendre à l’usine chaque jour, car abandonner ce travail signifierait plonger nos proches dans la précarité.  » se désole Fatou
 
 
 
Le sacrifice de ces travailleurs ne se reflète pas dans leur salaire. Malgré les heures interminables, la rémunération reste largement insuffisante pour subvenir aux besoins de base pour certains ouvriers. La plupart d’entre eux gagnent 2500f et 3000f CFA par jour une somme dérisoire qui ne couvre ni la nourriture, ni le logement, ni les soins de santé. Et souvent, les salaires arrivent en retard. « Nous attendons nos salaires pendant des moments sans savoir quand nous serons finalement payés pour le travail acharné que nous accomplissons chaque jour. Cette incertitude financière crée une angoisse constante, car nous avons des factures à payer et des familles à nourrir. Et pourtant, quand nous osons exprimer notre mécontentement ou demander quand nous serons payés, on nous répond par des menaces de licenciement. Cette situation nous place dans une position de vulnérabilité, où nous devons choisir entre garder le silence face à l’injustice ou risquer de perdre notre emploi. C’est une réalité difficile et injuste que nous sommes forcés d’endurer pour survivre . »déplore Omar Diop. Cette précarité financière plonge les travailleurs dans un cercle vicieux, où chaque jour est une lutte pour survivre.
 
 
 
Un autre aspect de l’exploitation est l’absence de contrat de travail. Sans documents légaux, les ouvriers ne bénéficient d’aucune protection. « Nous travaillons sans contrat, sans aucune garantie ni protection juridique. Chaque jour est marqué par l’incertitude, car si on nous licencie, nous n’avons aucun recours possible pour défendre nos droits. Sans contrat, nous ne bénéficions d’aucune sécurité d’emploi ni d’aucune indemnité en cas de licenciement. Nous devons simplement accepter notre sort, car protester ou revendiquer nos droits pourrait signifier perdre le peu que nous avons » confie Fatou. Elle poursuit « les licenciements sont arbitraires, et toute tentative de revendication est souvent sanctionnée par un renvoi immédiat. Les ouvriers vivent dans une peur constante, pris au piège d’un système sans pitié.
 
 
 
Pour en savoir plus sur les conditions de travail des ouvriers, nous avons réussi à décrocher une journée de travail dans une usine. Notre prime pour cette journée était de 3 000 FCFA. La règle est claire: travailler de 7 heures du matin à 19 heures. Dès notre arrivée, nous avons constaté que les conditions étaient inhumaines : chaleur étouffante, bruit assourdissant des machines, et rythme de travail infernal. Tout ce que les employés nous avaient raconté au cours de notre reportage s’est avéré être la réalité. Les témoignages sur les longues heures de travail, la fatigue extrême et l’absence de protection ne sont pas des exagérations. Au bout de deux heures, nous avons quitté les lieux.
 
 
 
Le tableau serait incomplet sans mentionner l’absence de régulation gouvernementale. Les inspections du travail sont rares, les sanctions contre les employeurs défaillants quasi inexistantes. Cette impunité encourage une exploitation systématique des travailleurs.  D’ailleurs les employeurs profitent du désespoir de ceux qui, faute d’alternatives, acceptent n’importe quelles conditions de travail. Ainsi, l’esclavage moderne dans les usines du département de Pikine est une réalité tragique qui appelle une réponse urgente. Pour mettre fin à ces pratiques inhumaines, les travailleurs appellent au renforcement des lois du travail .Nous avons essayé de contacter les directions de plusieurs usines pour obtenir leur point de vue sur les conditions de travail des ouvriers. Malheureusement, aucune d’entre elles n’a souhaité se prononcer sur la question. Nos demandes d’entrevue sont restées sans réponse.
 
 
 

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