Dans un article paru dans la presse en ligne de ce jeudi 17 août 2017, le professeur Hamidou Dia s’indigne, avec raison, de certains propos alléguant une dérive « ethniciste » dans notre pays. C’est vrai que ceux qui jouent avec ce concept sont soit des partisans de la pensée facile soit des soldats de Satan (nitou sayatané) motivés par des mobiles louches. Cependant, l’analyse que vous faites de la question semble s’inscrire dans une dynamique dangereuse de déplacement de la problématique pour ne pas avoir à l’affronter.
En effet, dans une parenthèse qu’il a ouverte au début de son propos, M. Dia écrit ceci : « Mais d’abord une parenthèse importante en direction de mes amis wolofs qui font preuve de ce que feu Amadou Aly Dieng appelait le wolofo-centrisme. Jugez-en : la lune est wolof, les habits sont wolofs, la vérité est Ndiaye donc wolof, etc. Et ceux qui ne sont pas wolofs sont des barbares (lakkat) sans compter que le sérère, le Hal pulaar, le maure lui appartiennent. Il est ainsi au centre de tout. Il paraîtrait que même Sidy Lamine Niasse ferait partie de cette engeance. Cela est injuste et insultant pour les autres ethnies du Sénégal qui sont, avec le wolof, d’égale dignité ontologique et citoyenne. L’attitude wolof suscite la colère et l’indignation des autres ethnies. A juste titre ».
Ce qui est choquant dans cet article ce n’est pas le faux qui y est prêché, mais l’insoutenable degré d’ignorance dont fait montre le professeur Dia sur la question de l’ethnocentrisme wolof. En taxant « ses amis » wolof d’ethnocentrisme, le professeur joue un jeu dangereux en cherchant de façon subtile à dédouaner les propos outranciers et sataniques de Penda Ba sur les wolofs. C’est d’ailleurs étonnant et suspect de mettre Penda Ba et Amie Collé Dieng sur le même pied : la première a insulté et maudit une communauté tandis que la seconde s’est montrée irrévérencieuse à l’égard d’une institution. Ces deux crimes n’ont absolument rien à voir et c’est déjà manquer d’argument que de chercher à les rapprocher. Mais au cas même où elles seraient toutes les deux des criminelles à condamner, cela ne vous donne pas le droit d’évoquer le fameux wolofo-centrisme pour étouffer les accusations de dérives « ethnicistes » proférées par je ne sais qui contre qui.
Je voudrais humblement faire remarquer que toutes les ethnies, toutes les races sont ethnocentristes : c’est une loi presque naturelle de la culture humaine. Ma culture est toujours la meilleure, ma race est toujours immaculée, ma religion est la vérité de toutes les religions, mes frères sont toujours plus vertueux que les autres… Cher professeur pourquoi donc ciblez-vous le wolof pour dénoncer l’ethnocentrisme ? Saviez-vous que nous sérères appelons les wolofs péjorativement sous le vocable de « Ô paal » ? Quand nous sérères disons « ô sérère kâ djégua djom » (un sérère est toujours digne) faisons-nous preuve de mépris envers les autres ? Saviez-vous que le Manding s’enorgueillit d’être le « mandingka bâ » (le grand mandingue) et appelle les autres « wolof ndingo » (le petit wolof) « séréro ndingo » etc. ? Rien de tout ceci n’est méchant ! Cher professeur, de tels termes qui s’inscrivent à la limite sur le registre de la plaisanterie inondent le vocabulaire de toutes les langues et c’est à la limite une banalité car les Sénégalais le comprennent et l’ont d’ailleurs dédramatisé depuis longtemps. Pourquoi voulez-vous que cela devienne subitement un problème ?
La paresse est l’ennemi mortel des intellectuels, les biens matériels leur prison et la partialité leur sarcophage. Si ce que vous appelez ethnocentrisme est plus marqué ou perceptible chez les wolofs, c’est simplement parce que la langue wolof est majoritairement parlée. Tous les artifices et intrigues du wolof sont compris et déjoués par les autres, tandis que le wolof (c’est sa faute me diriez-vous) qui ne comprend la multitude de langues est, sur ce point, défavorisé. Comme l’a suggéré notre prophète (PSL) un polyglotte est toujours favorisé sur celui qui est monolingue. Ce n’est pas à notre siècle que Montaigne disait « Nous appelons barbare ce qui n’est pas de notre usage ». Le fait que dans les chaumières des gens s’estiment supérieurs aux autres n’est pas le danger : le danger c’est lorsque c’est exposé et défendu sur la place publique ou que l’appartenance ethnique détermine le militantisme et l’engagement politiques.
Quand vous prétendez que « l’attitude wolof suscite la colère et l’indignation des autres ethnies. A juste titre » n’êtes-vous pas en train de susciter la haine sur la base de fausses allégations ? Ne sous-estimez pas le génie du peuple sénégalais, il sait comment gérer la diversité parce qu’il comprend pourquoi de la même pluie des plantes de nature et de saveur différentes germent sur le même espace ! Monsieur le professeur, l’ethnicisme n’est pas synonyme d’ethnocentrisme : tout le monde est à la limite ethnocentriste et ce n’est pas le problème. En revanche, c’est lorsque l’ethnie et la race sont mises en avant dans les institutions ou comme base de pratique politique qu’on parle d’ethnicisme. L’ethnicisme est une politique, c’est un système corrompu entretenu par des décideurs et des intellectuels faussaires dont le gagne-pain est l’illusion (au sens où l’entendent les philosophes du soupçon) pour légitimer, fortifier un pouvoir ou pour en faire bénéficier une ethnie aux dépens des autres.
En ce qui me concerne, je n’ai pas peur pour le Sénégal ; en revanche ce qui me fait peur c’est l’attitude suspecte des politiques et de certains intellectuels face aux problèmes qui ne sont pas spécifiques au Sénégal. Au Rwanda, ce sont des intellectuels et des politiques corrompus qui ont théorisé et institutionnalisé la haine entre tutsi et hutus. Le résultat funeste auquel a abouti cette entreprise sinistre est connu ! Et puis arrêtez de faire de l’amalgame en rappelant l’ethnie à laquelle appartiennent les anciens présidents sénégalais. Personne n’a un problème avec le fait que Macky Sall soit un haal pular : en faisant de telles insinuations vous lui rendez un très mauvais service !
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal