Au Sénégal, les confréries sont des institutions de régulation sociale. Aucune couche de la société ne les ignore et l’Etat central en a fait un partenaire important. Ce qui lui a permis de désamorcer momentanément la crise scolaire.
Face aux colons, ce sont les marabouts qui ont été le symbole du refus. Avec une politique basée sur la domination à tous les niveaux, une évangélisation permanente, les colons venus de France n’avaient pas en face d’eux des intellectuels connus, classiques. Mais plutôt des figures comme El Hadji Oumar Tall, Maba Diakhou Bâ, El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba, Amary Ndack Seck, entre autres. Ils ont montré la voie à suivre pour se libérer de la domination du blanc.
Armes à la main ou méthode pacifique en bandoulière, ces religieux ont réussi une mission que certains jugeaient impossibles. En effet, ils ont enseigné, formé, éveillé et réveillé des citoyens qui ont à leur tour compris qu’ils pouvaient devenir libres et offrir l’indépendance à leur pays. Artisan de la construction d’une unité nationale forte, c’est très tôt qu’ils ont intervenu dans la gestion de l’Etat sous l’ère des colons. Ce qu’ils ont perpétué à partir de 1960, année de la création d’un Etat du Sénégal indépendant avec comme Président Léopold Sédar Senghor.
Ce dernier, catholique de confession, avait cependant obtenu le soutien des marabouts musulmans comme Serigne Fallou Mbacké, khalife général des Mourides de 1945 à 1968. D’ailleurs, l’on se souvient qu’en pleine crise au sommet de l’Etat en 1962, Senghor tout comme Mamadou Dia avaient fait des «recours» auprès des marabouts. Une preuve de leur puissance comprise et acceptée par les politiques. Un soutien qui a pris de l’ampleur à l’arrivée de Serigne Abdoul Lahad Mbacké (1968-1989), surtout sous le magistère du Président Abdou Diouf. D’ailleurs, il n’avait pas manqué de donner des consignes de vote, demandant à ses disciples de soutenir le successeur de Senghor.
ms-khalife-touba
Incontournables La relation entre le marabout et le disciple ne concerne pas seulement le domaine spirituel – il y a aussi le domaine séculier qui donne aux marabouts un pouvoir incontournable. «Devant la difficulté d’offrir des liens sociologiques forts entre l’Etat central et la société, les confréries ont pu créer ce cadre», écrit le professeur Donal Cruise O’Brien dans un ouvrage collectif (avec les professeurs Mamadou Diouf et Momar Coumba Diop) intitulé ‘’La construction de l’Etat du Sénégal’’.
Cette relation de confiance forte entre le marabout et son disciple a poussé les tenants du pouvoir à en faire des partenaires privilégiés. En contrepartie de soutiens à tous les niveaux, les confréries interviennent dans la gestion de certains dossiers. Dernier exemple pertinent en date : l’implication de Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine et de Serigne Sidi Mokhtar Mbacké dans la suspension du bras de fer entre l’Etat et les syndicats Cusems et Grand Cadre. Seulement, il ne faut pas omettre un fait essentiel : si certains marabouts gardent en ligne une démarche orthodoxe et se donnent le droit de réserve sur plusieurs sujets, d’autres ont troqué leurs habits religieux pour les apparats de la politique.
D’ailleurs, depuis plusieurs années – 2000 est surtout l’année de référence – certains sont devenus des marabouts-politiciens. Dans tous les cas, entre l’Etat et les confréries, la relation est ancienne, profonde, diverse et diversifiée. Ce que Serigne Bass Abdou Khadr, porte-parole du khalife général des Mourides avait expliqué en ces termes : «Le mouridisme et l’Etat sénégalais sont comme les deux cornes d’un bœuf. Elles ne se rencontrent jamais, mais sont inséparables.»
Abdoulaye Mbow (actunet.sn – Nouvel Hebdo)