Le camp au pouvoir atténue les ardeurs adverses après la mobilisation réussie de ‘Y en A Marre’. Certains déprécient même la portée de ce rassemblement et critiquent sévèrement l’implication de l’opposition dans la manifestation.
Après la marche du mouvement ‘Y en a marre’ vendredi, les alliés du camp présidentiel relativisent. A gauche, les partis traditionnels se félicitent de la tenue pacifique d’une marche dont les prémices ne présageaient pas d’une issue aussi heureuse. Pour le porte-parole de la Ligue démocratique (Ld), Moussa Sarr, la marche ‘‘est un élément qui montre que la démocratie sénégalaise est à un niveau de maturité incontestable. Tout le monde doit s’en féliciter. A la Ld, nous nous sommes battus pendant de longues années pour l’avènement de la démocratie au Sénégal. Donc, lorsque des citoyens sollicitent une marche pour protester ou exprimer leurs préoccupations, nous trouvons que c’est parfaitement normal et que la marche doit entrer dans les mœurs politiques du Sénégal. Je m’en félicite et souhaite que nous puissions faire de sorte que les Sénégalais qui le veulent puissent manifester leur désaccord. C’est normal dans une démocratie’’, défend-il.
Avec une légère réserve, le Parti de l’indépendance et du travail (Pit) dénonce quant à lui certaines exagérations sémantiques. Son secrétaire général, Samba Sy, invite à plus de retenue. ‘‘Cette marche nous permet de dire qu’il faut veiller à l’emploi judicieux des concepts. Trop souvent, on entend dire que nous étions dans un pays de dictature. La manière dont le tout s’est passé montre que nous sommes dans un pays démocratique et que les citoyens tiennent simplement à l’exercice des libertés, en conformité avec un vouloir vivre commun. Nous ne pouvons pas vivre ensemble, si chacun de nous entend agir à sa guise. C’est un bon rappel à l’ordre des uns et des autres. J’espère que nous cesserons d’entendre dire un certain nombre de choses qui nous font passer pour ce que nous ne sommes pas. Mais le contraire aurait été inquiétant. Dans une république démocratique, si vous n’entendez aucune dissonance, il y a de quoi s’inquiéter’’, confie-t-il au téléphone.
Me Moussa Bocar Thiam (PS): ‘’La mobilisation tant attendue n’a pas eu lieu’’
Vendredi 7 avril, le mouvement Yeam décidait d’organiser une manifestation à la Place de la Nation, ex-place de l’Obélisque, avec l’objectif de mobiliser un million de manifestants. Malgré une mobilisation réussie, cet objectif non atteint est une faille dans laquelle se glisse le porte-parole adjoint du parti socialiste, Me Moussa Bocar Thiam, pour minimiser la portée de la marche. ‘‘Par rapport aux chiffres faramineux qui ont été avancés, les faits sont têtus et montrent que la mobilisation tant attendue n’a pas eu lieu. Malgré toutes les spéculations autour d’une marche autorisée, les Sénégalais ont été matures. Ils ont compris que l’organisation et l’initiative venaient d’un groupuscule qui n’a d’autres objectifs que des visées politiques. L’absence de mobilisation des Sénégalais est une réponse politique à cette mobilisation’’, décrypte-t-il en laissant entendre que c’est un échec, malgré une présence massive. ‘‘Dès que l’objectif qui a été assigné n’a pas été atteint, il y a une lecture à en faire’’, ajoute-t-il.
Un autre allié du parti présidentiel, Me Ousmane Sèye, dans la logique du socialiste, se fait plus incisif encore. ‘‘‘Y en a marre’ escomptait mobiliser un million de personnes. Cet objectif n’a pas été atteint. Ensuite, presque toute la classe politique était associée. Si c’est ça ‘Y en a marre’ et l’opposition, ils ne peuvent inquiéter un pouvoir’’, défend le fondateur du Mouvement pour la république (Mpr).
A la remorque de l’opposition
La présence remarquée d’une opposition qui s’est offerte la tribune du mouvement n’est pas bien vue des alliés du parti au pouvoir. ‘‘C’est un melting-pot de personnes qui n’ont pas les mêmes objectifs. Cette incohérence dans la composition des manifestants témoignent d’un manque de respect pour les Sénégalais. ‘Y en a marre’ qui a combattu le régime libéral, manifeste aux côtés des gens du Pds. C’est illisible ! C’est pour cela qu’ils n’ont pas eu un message clair. C’était complètement confus. Ce sont des gens qui n’avaient pas de message clair à délivrer aux Sénégalais. Ce rassemblement traduit l’agonie de l’opposition sénégalaise’’, estime Me Moussa Bocar Thiam.
Même la position modérée de la gauche jusque-là est plus sévère, dès qu’il s’agit de se prononcer sur l’implication de l’opposition à la mobilisation de vendredi. ‘‘J’espère que ‘Y en a marre’ va faire le bilan et apprécier positivement ou négativement un certain nombre d’aspects de leur manifestation. Les organisations de la société civile n’ont pas vocation à concourir à des compétitions électorales. Je constate que la manifestation a été initiée par ‘Y en a marre’, et l’opposition en a profité pour se faire entendre. C’est comme si elle est en panne, qu’elle ne peut mobiliser par elle-même. Il a fallu que le mouvement appelle pour la voir participer. Cela démontre que notre opposition n’a pas encore retrouvé ses marques, qu’elle se cherche. C’est dangereux pour elle à quelques deux mois du scrutin’’, déclare le porte-parole de la Ld, Moussa Sarr. Quant au secrétaire général du Pit, ‘‘‘Y en a marre’ leur a fourni une occasion de se faire voir’’, déclare-t-il en direction des opposants.
Samba Sy (PIT) : ‘’Le 30 juillet, nous saurons si le peuple est satisfait’’
Le mouvement Y’en a marre a-t-il reconfiguré les rapports de forces avec cette mobilisation réussie ? Les alliés du président Sall tempèrent ou minimisent. Si le porte-parole adjoit du Ps parle d’un ‘‘épiphénomène’’, Me Sèye estime que les conséquences qui découlent de cette mobilisation sont à la défaveur du mouvement même. ‘‘J’ai remarqué dans le discours une position défensive-offensive. Après la marche, le mouvement est en train de se justifier partout qu’il n’est pas manipulé, qu’il n’a pas reçu d’argent, qu’ils ne sont pas des alliés de l’opposition. Cela montre un recul du ‘Y en a marre’ par rapport à la perception de l’opinion’’, poursuit Me Sèye. Pour ces quatre partis alliés de l’Apr, seules les réalisations de Macky Sall feront la différence au moment du choix décisif, dans trois mois.
‘‘Le président de la République et son gouvernement ont un programme qu’ils déroulent. Jusqu’à présent, la plupart des Sénégalais se retrouvent dans les actions du gouvernement de la République. Nous nous acheminons vers des élections. En démocratie, seul le peuple souverain a la légitimité de sanctionner positivement ou négativement. C’est une agitation normale dans une démocratie. La période de la précampagne va ouvrir. Le 30 juillet, nous saurons si le peuple est satisfait’’, conclut Samba Sy du PIT.