Elles sont veuves ou divorcées. Certaines parmi ces femmes, bravant les préjugés et les obstacles, se sont relevées pour se fabriquer un autre destin conjugal. D’autres, remplies de peur et d’appréhension, rechignent à replonger dans la vie à deux.
Depuis un peu plus d’un an, Bernadette, la quarantaine, vit une idylle avec un jeune homme approchant la trentaine. De son premier mariage, joie que n’a pas encore connue ce dernier, sont nés deux enfants. Après son divorce, elle a connu une «petite errance solitaire» jusqu’au jour où elle a rencontré le «fringant bonhomme» qui lui a redonné goût à la romance. Hélas, le plaisir a été intense et court. Les pesanteurs sociales ont eu raison de leur rêve. «J’étais très enthousiaste à l’idée de me marier avec lui, oubliant tous les obstacles qui s’opposaient à notre désir ardent. Je reste persuadée qu’il en voulait autant que moi, probablement par fougue de jeunesse en ce qui le concerne », confie Bernadette. La réalité la rattrape : «Je me suis rendue compte que je me créais des chimères. Je suis une femme qui arrive à la ménopause avec deux enfants et ses plus belles années derrière elle et qui veut contracter une union avec un jeune homme plein de promesses. L’obstacle de sa famille était presque insurmontable en raison des préjugés de la société». Le temps a fait son œuvre. Elle est passée à autre chose sans toutefois avoir rencontré un homme qui lui convient et s’accommode de sa situation de mère obligée d’élever, seule, deux garçons. Trouver « son » homme après le mariage, en affrontant les préjugés, une bien tumultueuse aventure au Sénégal ! Ce ne sont pas les propositions qui manquent pourtant pour cette ravissante liane. «Être dans un couple polygame, comme on me le propose souvent, ne m’enchante guère. Et les célibataires préfèrent la fraîcheur de l’innocence», dit-elle, narquoise.
Un «toubab» tombé du ciel !
Le sort de Rama a également emprunté une allée sinueuse. Elle en est à son quatrième mariage. De sa première union avec un cousin, sont nés trois enfants, aujourd’hui adultes. Au bout de quelques années, elle divorce pour un mariage avec un vieil amour qui a fait long feu. Le troisième n’a pas connu un meilleur succès. Cédant par lassitude, la quinquagénaire décide de se recentrer sur elle-même pour s’assurer une autonomie financière qu’elle n’a jamais eue. «La bienséance veut que les femmes de mon âge soient dans les liens du mariage. Je me suis toujours conformée à cette morale populaire même s’il fallait parfois subir les humiliations, les remarques désobligeantes. Mon premier mariage a été scellé par mes parents alors que j’étais très jeune. Le deuxième a été celui du cœur. Ne pouvant pas donner un fils à mon nouveau mari alors qu’il ne s’était jamais marié malgré son âge relativement mûr, ma belle-famille a tout fait pour briser ce mariage ; et ils y sont parvenus. Le troisième fut aussi court que stupide. Je me suis laissé aller en ouvrant mon cœur à un homme que j’ai connu par le biais d’un proche vivant à l’étranger car je trouvais le temps long et financièrement, c’était intenable», raconte-t-elle, amère. Trois histoires, trois désillusions! Ne trouvant son bonheur ni dans les liens conjugaux ni au plan professionnel, Rama, par le plus grand des hasards, rencontre un vieux «toubab» veuf, français de nationalité, qui la convainc de sortir de sa torpeur. «À mon âge, je ne me suis jamais imaginée dans un couple mixte. J’ai retrouvé une certaine quiétude, loin de toute cette pollution sociale et des épieurs qui commençaient à dénombrer mes mariages». Le bonheur lui est tombé dessus. Elle a su, contrairement à mère Astou, une habitante des Parcelles Assainies, vaincre sa peur de replonger.
L’ombre du défunt époux
Mère Astou a vécu un «calvaire» qui la maintient dans le célibat. Veuve, elle se laisse convaincre, malgré ses réticences, par des amitiés et sa famille de la nécessité de se remarier. Mal lui en a pris ! En plus d’éprouver cette douloureuse impression de «trahir» son défunt mari, elle a dû supporter une ambiance électrique du fait des mauvaises relations entre ses enfants et leur beau-père qui « oulait prendre un peu plus de place qu’il n’en fallait». Sa quiétude était troublée. «J’ai vécu des moments difficiles. Je me suis remariée pour ne pas blesser les convenances mais je regrette. Je me sentais envahie. Mes propres enfants se sentaient étrangers chez eux. J’ai fini par me libérer de ce mariage pour reprendre le cours normal de ma vie. M’occuper de mes enfants suffit à mon bonheur», confie-t-elle, confortablement assise dans un fauteuil pliant, non sans inviter les jeunes à prendre le temps de la réflexion avant de se remarier. «Elles sont parfois si pressées de replonger pour prouver à la société qu’elles sont désirées. C’est une erreur. Beaucoup d’entre elles se remarient mais souvent très mal», prévient celle qui dit bien vivre ce calme retrouvé. Cheveux blancs et cassés, Mère Daba Diop, 76 ans, n’a jamais vécu longtemps seule car, pour elle, « la solitude est mauvaise conseillère. Elle n’est pas recommandée pour une femme respectable». Dans sa vie, elle s’est mariée à quatre reprises parce qu’elle a perdu ses deux premiers maris très tôt. «Après la mort de mon premier époux, c’est son jeune frère qui l’a remplacé dans le lit conjugal. Et c’était presque naturel», confie-t-elle. Dans le secret des chaumières, elle appelait la malédiction sur ses maris. «J’ai entendu tellement de méchancetés. Pour certains, je portais le malheur à mes époux. Mais, raille-t-elle, cela ne m’a pas quand même empêché de me remarier trois fois. Mes deux derniers mariages s’inscrivaient juste dans les règles de bienséance. Il ne faut pas aller chercher plus loin. Aujourd’hui, les choses ont évolué. Les personnes âgées se remarient de moins en moins». Autres temps, autres mœurs !
L’équation des enfants
Si aujourd’hui Fatou Diagne s’est refaite une nouvelle jeunesse comme le laisse apparaître sa belle mine, elle n’a pas encore suffisamment de courage pour tenter une nouvelle vie. Son problème, ce sont les enfants. En effet, dit cette sage-femme, soit ce sont les hommes qui ont peur de se marier avec une femme qui a des enfants ou ce sont les enfants eux-mêmes qui ne supportent un homme «à la place» de leur père. Cette équation Hawa Harris l’a vécue. Mais c’est justement grâce au soutien de ses enfants qu’elle a pu trouver une nouvelle âme sœur. «Il y avait comme un manque dans la maison. Je sentais que mes enfants aimaient quand quelqu’un me rendait visite. J’ai pris le risque de m’engager et je ne le regrette pas jusqu’ici», dit-elle.
Les jeunes préfèrent les «jeunes filles»
Mamadou Dione, technicien en informatique, est formel. Il est hors de question d’épouser une femme divorcée. Tant qu’il a le choix, dit-il, ce sera avec une femme qui n’a jamais goûté au mariage. «J’ai peut-être tort, mais j’estime qu’une personne divorcée a un état d’esprit différent de celle qui n’a jamais connu le mariage. L’idéal, c’est qu’on découvre le mariage en même temps», dit-il. Ismaïla Wane, lui, évoque des raisons culturelles. Originaire de Thiambé dans le département de Matam, il explique que chez eux, les femmes divorcées sont très souvent épousées par des vieux ou des veufs. «Le mariage est sacré chez nous. Il y a la nuit nuptiale avec tout ce qu’elle renferme comme symbolique. C’est une question de fierté», explique-t-il.
Selly Ba, Socilogue
«La stigmatisation fait que les femmes n’ont pas la force de se refaire une vie»
Pour Selly Bâ, sociologue, s’il est difficile pour les femmes de se reprendre après un divorce ou la perte du mari, c’est parce que le regard de la société est pesante. Selon elle, il y a naturellement une certaine pression sociale sur la femme célibataire. La finalité du mariage est très importante chez nous. Une femme qui ne se marie pas est difficilement acceptable, dit-elle. «Les divorcées, c’est comme l’échec de la femme. À chaque fois qu’il y a séparation, on dit que la femme n’a pas assez joué son rôle. Or, le mariage c’est deux personnes», analyse-t-elle.
Mieux, dit-elle, même à l’approche du mariage, quand on donne les conseils, systématiquement, c’est à la femme qu’on les donne, or tous les deux doivent être préparés. «C’est encore pire chez les femmes veuves. Elles sont stigmatisées. Ce qui fait qu’elles n’ont pas assez confiance en elles pour prendre leur vie en main. Dans notre processus de socialisation, on donne plus de forces et de courage aux hommes alors que, dans ce contexte actuel, la femme en a le plus besoin. C’est ce qui fait que la plupart d’entre elles, quand elles ne se remarient pas, sont considérées comme des personnes qui ne se sont pas entièrement accomplies», dit-elle.
Oumar FÉDIOR et Alassane Aliou Féré MBAYE