Inspirés de l’histoire de son Saint-Louis natal, ses modèles uniques ont fait sensation à travers le monde. Parmi sa clientèle privilégiée, on peut compter des Premières dames et de grandes stars. Rama Diaw, s’impose ainsi comme une valeur sûre de la mode…
Au pas de charge, Rama Diaw valse du showroom à l’atelier. Elle s’assure que ses instructions sont respectées à la lettre. Que les différentes étapes de la confection sont réalisées avec minutie et dextérité. Elle est suppléée dans ses tâches par son grand-frère qui assure l’administration. De temps à autre, la maîtresse des lieux ramène au juste milieu les deux côtés de sa robe évasée cachant sa charpente moulée par un pantalon et un top noir. En même temps, elle guide deux chalandes à la peau blanche, visiblement séduites par les articles proposés. Elles n’en finissent pas de s’exclamer devant les pièces uniques et ont l’air de vouloir en savoir davantage, notamment sur la matière exploitée…
Le wax, sa matière de prédilection
Du wax, justement Rama Diaw en porte de la tête au pied. Un foulard soigneusement travaillé et noué avec soin sur sa tête, agrémente le reste de sa mise. De couleur marron-noire doré, un châle est assorti à un pan de sa robe, confectionné avec deux wax du même ton. Ses chaussures sont également faits avec cette étoffe. Sa matière de prédilection… Même si elle travaille aussi sur du pagne tissé, du voile mauritanien, du jersey, de l’indigo, le wax occupe l’essentiel du stock installé dans son bureau qui n’est qu’un enchevêtrement de coupons de tissus en tous genres. C’est d’ailleurs avec ce bout de tissu qu’elle a tissé sa toile et assis sa notoriété ici et à travers le monde.
Au pas de course, la jeune styliste mène son petit monde à la baguette. Perfectionniste, elle n’hésite pas à exiger le meilleur de ses agents préposés à la confection de ses créations. A chacune de ses prestations, c’est le Top-niveau ou rien. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle soit sollicitée pour exposer ses modèles partout. Revenue fraichement des Etats-Unis, précisément du Missouri, elle y était pour présenter une conférence à Washington University sur sa collection «Black and white 2». Ceci dans le cadre d’une manifestation visant à promouvoir la culture saint-louisienne et sénégalaise de manière générale. Durant ce séjour, la costumière a pris part à deux expositions éphémères à Washington. Il faut dire que du temps, elle n’en a pas beaucoup. Toutefois, malgré un agenda surbooké, Rama Diaw veille scrupuleusement à respecter ses délais de livraison. «J’ai beaucoup de sollicitations et je fais en sorte d’être ponctuelle malgré tout et de les satisfaire au mieux. Si cela ne tenait qu’à moi, mes clientes ne seraient jamais déçues. Une grande photographe, Angèle Etoundi Essamba (Camerounaise) m’a sollicitée. J’habille régulièrement la chanteuse Maréma Fall. J’habille aussi Fatoumata Diawara (une chanteuse, comédienne et auteure-compositrice-interprète malienne). Pour vous dire que les artistes et bon nombre de célébrités font appel à moi. Je ressens de plus en plus le besoin d’agrandir mon activité», souligne-t-elle.
En attendant d’y parvenir, Rama s’emploie à accroître sa clientèle. Et cela passe par la rigueur. Comme une seconde nature chez la styliste, cela transpire même à travers ses gestes et son phrasé énergique. Et c’est sans doute l’un de ses nombreux secrets, qui a contribué à forger sa réputation auprès de sa prestigieuse clientèle. L’épouse du chef de l’Etat, Marème Faye sall, s’est en tout cas laissée convaincre par son savoir-faire. Lors du voyage du président français, Emmanuel Macron au Sénégal, la styliste a eu droit à une visite des plus singulières dans sa boutique, située sur la rue Blaise Diagne du quartier Nord de l’Ile de Saint-Louis. Notre Première dame nationale y a conduit celle de la France, Brigitte Macron. «C’était une belle publicité pour moi. Je n’avais pas beaucoup de Français parmi mes clients. Mais depuis, ma clientèle est occidentale à 75 voire 80 %. Avant j’avais plus d’Allemands, d’Espagnols, d’Américains… », se réjouit-elle.
Le coup de pub des premières dames Macron et Sall…
Sur cette liste d’acquéreuses remarquables, figurent de très hautes personnalités d’ici et d’ailleurs. Ce qui exige une attention tout aussi particulière. La plus petite erreur de coupe est revue et corrigée. Quitte à reprendre l’article en entier. Très à cheval sur les finitions, la styliste ne laisse passer le plus petit «fil» «Je vérifie jusqu’au centimètre les coutures, parce que je n’aimerais pas qu’une cliente se retrouve avec un article avec des mesures très nettes, et un autre jour, il y ait pour cette même taille un surplus d’un centimètre», dit-elle.
Membre d’une fratrie de six enfants, Rama Diaw tient cet héritage artistique de son père, un ancien artiste plasticien et musicien de l’Armée sénégalaise. Mais si elle est parvenue dans un autre domaine, elle lui doit tout de même sa ténacité. Le soutien indéfectible de sa mère n’a pas été non plus négligeable dans sa carrière. «Elle a été la première personne à avoir cru en moi. Elle m’a beaucoup aidée et soutenue dans mon projet. Elle a toujours été là pour me seconder et me donner un coup de pouce», affirme-t-elle, fière. Rama Diaw a depuis sa tendre enfance senti brûler en elle une flamme pour la mode. Alors qu’elle était encore au lycée, elle se plaisait à customiser ses vêtements. Ce qui ne laissait pas son entourage indifférent. «J’ai d’abord été mon propre cobaye. Je voulais toujours me démarquer des autres, avoir la pièce unique. Je faisais moi-même mes coupes de vêtements que j’amenais chez le tailleur». Au fur et à mesure que le temps passait, cette passion grandissait en elle. Rama Diaw n’a donc pas voulu s’attarder outre mesure sur les bancs de l’école. Elle choisit d’aller au bout de son rêve. Après un échec au baccalauréat, l’élève de la série B (G) du lycée technique André Peytavin n’a pas souhaité se donner une seconde chance. Elle remballe ses cahiers et déroule ses chiffons…
Vendeuse de légumes et de crèmes glacées
Ainsi, elle se met en tête de créer sa propre marque de vêtements. Pour cela, il lui a fallu inhaler la poussière des grandes artères de la ville et les dards des rayons du soleil. Il lui fallait réunir la somme de 150 000 F Cfa pour un départ. La créatrice de mode a d’abord été vendeuse de légumes, puis de crèmes glacées. «Je vendais des légumes très tôt au marché. J’achetais chez les grossistes. Je prenais un chou que je coupais en quatre. Ou avoir 5000 F Cfa de légumes différents sur un plateau et les vendre par pièce», se rappelle-t-elle. Elle a aussi tenu une buvette, cultivé et vendu des bouquets de fleurs dans les hôtels et restaurants de Saint-Louis, fait du porte à porte pour écouler ses articles. A force de persévérance, elle est arrivée à ses fins. « Ma toute première création, c’étaient des maillots de bain sur du wax que toutes mes copines avaient achetés à crédit», lâche-t-elle sur un ton railleur. Révélée au public en 2009 grâce à l’association N’dart, par le biais d’un concours qui avait pour but de dénicher les nouveaux talents. Devant des stylistes et designers qui alignaient sur leur book plusieurs années d’expérience, la novice a arraché la troisième place du podium. «La collection était basée sur des tenues de ville, de plage, de soirée, de cérémonie et une surprise. Je me suis lâchée sur la tenue de récupération, elle m’a fait gagner beaucoup de points», poursuit-elle.
De distinctions en distinctions
Elle en sort ragaillardie et décide d’expérimenter une nouvelle collection. Celle-ci va lui permettre de pousser des ailes dans l’hexagone. C’est au salon international du laboratoire de la mode ethnique à Paris, qu’elle va l’exposer. «Là j’ai commencé à vraiment vendre, à toucher des euros. Je vendais au Sénégal, mais c’était avec des copines ou avec des personnes qui prenaient à crédit, promettant de payer le lendemain ou dans un mois», ajoute la créatrice de mode. Elle a participé à plusieurs reprises à Africa Festival de Wurzburg, en Allemagne, où elle a obtenu un Award.
Rama Diaw a fait de l’expression de la modernité et de la diversité du monde son style. L’histoire de Saint-Louis, sa ville natale, réputée avoir le sens de l’élégance et du goût, l’inspire beaucoup. Ses découvertes lors de ses voyages donnent, selon elle, une valeur ajoutée à son travail. La collection 2019-2010, dénommée «Persévérance», scindée en deux parties et constituée de wax-pagne tissé et voile mauritanien-pagne tissé, en est une illustration. Du haut de ses quarante berges, elle envisage d’étendre ses tentacules dans le monde, en participant à de grands défilés comme la fameuse «Fashion Week». Ouvrir une autre boutique à Dakar, c’est une autre de ses ambitions…