Né vers 1938 à Madinatoul Salam, près de Mbour, Cheikh Béthio Thioune est décédé ce mardi 7 mai 2019 à l’âge de 81 ans. Il était un chef religieux très connu au Sénégal. Guide des «Thiantacounes», il a des disciples dans les quatre coins du globe. L’homme est pourtant un ancien fonctionnaire, formé à bonne école, mais qui a troqué son costume contre un caftan. Qui était-il?
1-Le 17 avril 1946, sa rencontre avec Serigne Saliou Mbacké
Le 17 avril 1946, Cheikh Béthio Thioune avait à peine 8 ans lorsque, accompagné de son frère Guillé Thioune, il rencontre Serigne Saliou Mbacké. C’était à Tassette, village situé dans le département de Mbour. Il avait été subjugué par l’aura de celui qui deviendra plus tard le 5e Khalife général des mourides. Leur compagnonnage est connu de tous.
Disciple fidèle de Saliou Mbacké, il organise depuis plusieurs années à son domicile à Mermoz (Dakar) et à Touba des «Thiant» (chants religieux et de réjouissance) durant lesquels des centaines de moutons et bœufs… sont immolés pour la restauration des invités.
Le 11 janvier 1983, Cheikh Béthio Thioune est consacré «Serigne» par Serigne Saliou qui l’élève ensuite au rang de «Cheikh» en 1987.
2- Il fut instituteur et délégué médical
Cheikh Béthio Thioune a reçu une solide formation. Entré le 3 novembre 1947 à l’école française régionale de Mbour jusqu’au Ce2 en 1952, il a obtenu à Thiès son certificat d’études primaires avant d’entrer au lycée moderne de Thiès, devenu Malick Sy, en 1955. Son Bepc (actuel Bfem) en poche en 1959, il intègre le lycée Faidherbe de Saint-Louis où il effectue sa classe de seconde. L’année suivante, il est transféré au lycée Van Vollenhoven (devenu lycée Lamine-Guèye). Plus tard, il débute une carrière d’instituteur. Il est alors affecté à Agnack, à quelques encablures de Ziguinchor, où il devient chargé d’école pendant deux ans. Il est ensuite affecté à Thiès à l’école des champs de courses avant qu’il ne quitte l’enseignement. Pour subvenir à ses besoins, il devient délégué médical avant de devenir inspecteur de l’expansion dans le Sine-Saloum durant cinq ans.
3-Condamné à 6 mois ferme en 1966
Alors qu’il était enseignant, il a intégré le Parti africain de l’indépendance (Pai). En 1966, après avoir placardé le long des murs de la capitale du rail des affiches communistes, il a été arrêté avec d’autres militants du Pai. Jugé, il a été condamné à 6 mois ferme. Peine qu’il ne purgera pas puisque le Président Léopold Sédar Senghor avait sorti un décret pour amnistier Béthio Thioune et ses coinculpés avant d’ordonner leur réintégration dans la fonction publique. Mais Béthio avait déjà décidé de mettre une croix sur l’enseignement.
En avril 2012, Cheikh Béthio Thioune est, à nouveau, arrêté dans l’affaire du double meurtre de ses talibés Bara Sow et Ababacar Diagne, qui seraient battus à mort sur son ordre. Placé sous mandat de dépôt à la prison de Thiès, il avait été transféré à la Maison d’arrêt (Mar) de Rebeuss avant d’être autorisé à aller se soigner en France. Plus tard, il bénéficiera d’une liberté provisoire.
4-Diplômé de l’Enea et de l’Enam, camarade de promotion de Tanor Dieng
Après une carrière d’instituteur et voulant réintégrer la fonction publique, Cheikh Béthio Thioune fait le concours de l’École nationale d’économie appliquée (Enea) et le réussit. Sa formation professionnelle terminée, il devient inspecteur d’animation à Méwane, dans le département de Tivaouane. Il sera ensuite nommé inspecteur régional du ministère de la Jeunesse et des Sports à Dakar.
Plus tard, il fait le concours d’entrée de l’école nationale d’administration et de la magistrature (Enam) et est déclaré admis. Il fait partie de la promotion Gabriel D’arboussier de 1976 avec Ousmane Tanor Dieng, le Secrétaire général du Parti socialiste (Ps). A sa sortie, il est affecté au ministère de l’Intérieur comme administrateur civil. Affecté à Diourbel comme administrateur municipal, il organise en 1977 la première fête de l’indépendance du Sénégal organisée hors de Dakar, présidée par le président Senghor. Il sera ensuite affecté successivement comme administrateur à Kaolack, à Pikine comme secrétaire général de la commune de Pikine et à Dakar comme secrétaire général de la communauté urbaine de Dakar.
5- Administrateur civil principal de classe exceptionnelle, à sa retraite en 1996
En janvier 1996, après 38 ans de carrière administrative, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite. Il était alors administrateur civil principal de classe exceptionnelle. Il s’installe alors à Touba dans le village de Dianatoul Mahwa, devenu son fief.
6-Président de la Communauté rurale de Touba en 1996
Très proche de Serigne Saliou, il était placé en 3e position sur la liste mise en place par le khalife général, Serigne Saliou Mbacké, pour les élections municipales et rurales de novembre 1996. Ainsi, était devenu le président de la communauté rurale de la ville de Touba. Le choix porté sur lui était contesté par les petits-fils de Cheikh Ahmadou Bamba. Mais Cheikh Béthio qui avait le soutien de Serigne Saliou Mbacké, avait réussi à quadrupler le budget de la communauté rurale qui était de 208,5 millions de Francs CFA, pour le porter à 810,43 millions, en instituant de nouvelles taxations sur les commerces.
7- Quatre millions de disciples au Sénégal et dans le monde
Cheikh Béthio Thioune s’attribuait 4 millions de talibés. Lors de l’élection présidentielle de 2007, il avait pris partie pour Abdoulaye Wade. Wade avait gagné au premier tour et avait fait inscrire la deuxième épouse du guide des thiantacounes, Aïssa Mama Kane, sur les listes des candidats à l’élection législative. Elle est ainsi devenue députée.
En 2012, il avait récidivé, donnant son soutien à Wade. Malgré tout, le «Pape du Sopi» était battu au 2e tour par son ancien Directeur de campagne en 2007, Macky Sall.
8- Condamné à 10 ans de travaux forcés
Le 23 avril 2019, Cheikh Béthio Thioune est jugé avec dix-neuf de ses disciples par la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Mbour. Ils étaient poursuivis entre autres, pour association de malfaiteurs, recel de malfaiteurs, recel de cadavre, complicité de meurtre, non dénonciation et détention d’arme sans autorisation. Ils comparaissaient notamment pour le meurtre en 2012 de deux de leurs condisciples, Bara Sow et Ababacar Diagne. Les victimes avaient été torturées à mort avant d’être enterrées à Médinatoul Salam, une localité de la commune de Mbour.