Avec des milliards de FCfa investis chaque année, pourquoi le système éducatif sénégalais bat toujours de l’aile, à l’aune de «l’application» des décisions présidentielles sur l’enseignement supérieur, l’éducation et la formation ? En attendant une solution radicale aux perturbations cycliques du système éducatif, les résultats des examens nationaux, notamment Cfee, Bfem et Bac renseignent sur la décadence des enseignements-apprentissages. En l’espace d’une décennie académique, le taux de réussite des évaluations nationales a chuté de 10 points. Au-delà du quantum horaire plombé par des grèves interminables, il y a la question des intrants pédagogiques. L’absence des outils pédagogiques dans l’élémentaire, notamment les albums de lecture et de calcul ne favorise-t-il pas la baisse de niveau des élèves ? L’annuaire statistique 2015 que nous avons parcouru, dégage les indicateurs d’un échec scolaire. Les germes de mauvais résultats scolaires, surtout au niveau de l’élémentaire y sont exposés. Pendant ce temps, les écoles privées enchaînent les bonnes performances. Aujourd’hui, certains s’interrogent sur la pertinence du diplôme du Cfee.
Qu’est-ce qui explique la hausse du taux d’échec dans les examens nationaux ? A qui imputer ce taux massif d’échec au concours d’Entrée en sixième, de l’examen du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee), au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) et au Baccalauréat ?
L’Office du Bac, en décidant de ne pas publier officiellement les résultats du Bac de 2014 et 2015, cache-t-il quelque chose ? Quid de la direction des Examens et Concours qui semble faire la sourde oreille pour les résultats du Cfee et du Bfem de 2014 et 2015 ? Amadou Moctar Ndiaye et ses services se cachent derrière une « interpellation administrative » pour ne pas les donner.
L’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal (Unapees) pose le débat et déplore la non publication des rapports de 2014 et 2015. En effet, Les résultats globaux et officiels du Bac ne sont pas publiés depuis l’édition de 2013. Pas de données fiables pour les acteurs éducatifs afin de se prononcer sur des bases scientifiques, l’évolution du système éducatif. Depuis une quinzaine d’années, la chute des résultats occupe l’actualité et a poussé l’actuel gouvernement à organiser les Assises de l’Education et les Concertations de l’enseignement supérieur. L’Etat est accusé de pilotage à vue du système, au moment où les syndicats d’enseignants crèvent le quantum horaire à cause des différents plans d’actions déroulés. Le taux de réussite au Bac, toutes séries confondues, a connu une chute de 10 points en prenant comme référence les résultats de 2006. Il a été enregistré un taux de réussite de 48,8% en 2006 contre 36,6% en 2016. Les responsabilités dans cette chute vertigineuse sont partagées. Selon les résultats fournis à la presse, les éditions de 2014 et de 2015 ont enregistré les pires résultats durant ces 15 dernières années avec des taux de réussite de 31% au Bac.
Bfem et Cfee suivent la décadence
Pour revenir au Certificat de fin d’étude élémentaire (Cfee), le taux de réussite était de l’ordre de 68,6% en 2010. Les performances ont chuté de 13,3% en 2011 (53,2%) et moins de 2,5% l’année d’après (38,5%) en 2012. En 2013, l’hécatombe à la proclamation des résultats au CFEE à l’échelle nationale se poursuit avec seulement 33,9%. La région de Dakar a enregistré un taux de réussite de 42,89% contre 60,09% de réussite en 2012, soit une baisse de 17,2%. En 2014 et toujours au CFEE, les résultats nationaux sont estimés à 34,3%, soit 0,4% de plus que l’année d’avant.
Le taux de réussite du Cfee est de 37,87% en 2015 contre 34,4% en 2014. Bon nombre d’écoles sont capotées sans une moindre admission déclarée. 35 établissements scolaires du département de Goudomp (région de Sédhiou) ont affiché 0 admis au Cfee en 2014. En 2015, cinq (5) écoles dans le département de Médina Yoro Foulah n’ont enregistré aucun candidat admis. Cette tendance se poursuit dans certains établissements en 2016, notamment à Kaffrine où 11 établissements scolaires, à l’issue des épreuves de cette année au Certificat de fin d’études élémentaires (CFEE), contre 54 écoles, ont eu zéro admis.
Pour le Bfem, son taux de réussite n’a pas encore atteint la barre des 50% d’admis. Il a été enregistré un taux de réussite de 43,20% en 2015 contre 42,52% en 2014, alors qu’il était de 47,5% pour tout le Sénégal en 2010. Pour Mamadou Youri Sall de l’université Gaston Berger de Saint Louis, ces différents facteurs favorisant la déperdition scolaire et universitaire estimée par élève à 272.706 Fcfa aux contribuables. «Le coût de la déperdition, est de 620.000 Fcfa. Donc, tout ce qu’on dépense pour avoir un Cfee, les 56 % sont dus aux échecs et aux retards. C’est à peu près la même chose pour la Licence», dit-il
«Les admis du 1er tour sont très faibles compte tenu des résultats finaux pour cette session 2016. La compensation a été trop forte au niveau des résultats du second tour. Les redoublants ont grossi les rangs des admis en partie», a souligné Seck de la Cosydep.
Les bons résultats du privé
Et si les mauvais résultats du public sont masqués par les bons résultats de l’enseignement privé ? La réponse coule de source. Les écoles privées, surtout celles catholiques, font d’excellents résultats dans les examens nationaux. Pour preuve, 9 élèves parmi les 25 ont réussi au test d’entrée à Mariama Ba en 2014. Les 25 de la liste d’attente étaient des élèves du privé. Que dire des bons résultats de Yavuz Selim dans les concours généraux. Pour l’édition 2016, l’enseignement privé catholique a encore obtenu de très bons résultats aux examens du Bac et du Bfem 2016. Selon l’Office diocésain de l’information et de la communication (Oficom), les résultats globaux des établissements privés du Bac et Bfem sont respectivement à 88,87% et 89,78%, de réussite avec plus de 150 mentions toutes catégories confondues. L’institution Notre-Dame et le Séminaire Saint Joseph de Ngasobil ont fait du 100% au Bac et au BFEM. L’Immaculée Conception de Dakar de l’Institution Sainte la Jeanne D’arc du Collège Notre-Dame du Liban, les Cours Sacré-Coeur et d’Anne Marie Javouhey, ont respectivement 95,60%, 94,44%, 93,70%, 93,28% et 93 %.
Au-delà des considérations « aériennes »
A l’heure de la mise en œuvre des décisions présidentielles sur l’enseignement supérieur et l’éducation et la formation, le Sénégal consacre 6% de son PIB à l’Education et à la Formation – contre 4,6% pour la moyenne africaine.
Qu’est-ce qui expliquerait le fait que le Sénégal occupe le 154ème rang sur 187 pays dans le classement de l’Indice de Développement Humain (IDH) et parmi les 9 pays les plus éloignés de l’Indice de Développement de l’Education(IDE) ? Pour trouver la réponse, au-delà des considérations d’une insuffisance du quantum horaire liée aux perturbations en milieu scolaire, référons-nous aux informations statistiques contenues dans l’annuaire statistique 2015. Le pilotage du système éducatif du pays ne justifie-t-il pas les mauvais résultats aux examens nationaux, au regard des indicateurs relatifs aux effectifs scolaires, aux personnels, aux infrastructures, au mobilier, au matériel didactique etc… Tout porte à le croire en jetant un coup d’œil à l’annuaire statistique national de 2015. Quand les fondamentaux sont faussés au départ, on ne peut avoir que des mauvais résultats. Tenez-vous bien ! Dans l’élémentaire, on note la quasi-inexistence des outils pédagogiques dans les classes. L’intrant pédagogique est plus présent dans le privé que le public. L’annuaire statistique 2015 nous renseigne qu’au niveau du CI (Cours d’initiation) le public a 1274 albums de lecture au moment où le privé enregistre 6859 dans l’Inspection d’académie de Dakar. C’est le cas au niveau du Calcul où le privé dépasse largement le public en enregistrant 8489 contre 4922. Au niveau de l’inspection d’académie de Pikine et Guediawaye, même scénario. Le privé obtient 1203 albums de lecture contre 429 pour le public.
Pour ce qui est des équipements scolaires, le privé enregistre 686 armoires et bibliothèques contre 322 pour le public. Idem pour les ordinateurs où le privé a 366 contre 72 pour le public. Le privé a 201 photocopieurs dans l’académique de Dakar contre 52 pour le public. Quid des évaluations standardisées où le public reste loin derrière le privé. Dans la circonscription académique de Dakar, le privé organise 263 évaluations standardisées contre 145 pour le public. 512 pour le privé au niveau de Pikine et Guédiawaye contre 150 pour le public. Ce qui pose un véritable problème de pilotage du côté des inspections académiques et des inspections de l’éducation et de la formation. A l’heure du partage plus équitable du savoir avec l’accès à l’internet, le public joue le dernier rôle en obtenant 1069 ordinateurs au moment où le privé caracole avec 2131 ordinateurs. Dans l’académique de Pikine Guédiawaye, c’est 1566 ordinateurs pour le privé contre 418 du public. Une situation alarmante dans la mesure où le nombre d’écoles privées fait deux fois plus que celui des écoles privées.
Qu’en est-il du nombre de redoublants à l’élémentaire au regard de ces fossés relevés dans les outils pédagogiques ?
23 522 redoublants dans le public
Avec 1327 écoles urbaines pour un effectif de 681 210 élèves, le public enregistre 23 522 redoublants. Le privé qui a un effectif de 238 000 élèves (1105 écoles), enregistre 6703 redoublants. Partant de ces indicateurs, les résultats scolaires peuvent-ils atteindre un taux de réussite acceptable ? Nous donnons notre langue au chat. Mais le véritable paradoxe au niveau de l’élémentaire est le fait que la région de Matam caracole en tête du classement des examens du Cfee. Matam obtient respectivement 78,8% en 2010, 67,4 en 2011 et 48,4 en 2012/2013.
Baisse du recrutement des enseignants
Partant du rendement du système éducatif sénégalais avec ces résultats, il a été remarqué dans l’Elémentaire, en 2015, que le nombre de maîtres à recruter s’élève à 2300 contre 2 568 en 2014, soit une baisse de 10,43 %. Au niveau du Moyen-Secondaire général, le nombre de professeurs recrutés est passé de 1930 en 2014 à 1446 en 2015, soit une baisse de 25,07 %. Un recul très net est noté au niveau des vacataires (57 en 2015) contre 525 (dont 368 de la Formation payante de la FASTEF) en 2014, soit 89,14 %. Cette tendance baissière se poursuit au niveau des professeurs contractuels. En effet, ils sont passés de 1389 en 2015 contre 1405 en 2014, soit une baisse de 1,13 %.
Pour boucler la boucle du recrutement des élèves professeurs, le gouvernement a annulé l’admission au Concours d’entrée à la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (Fastef). Ils étaient 17 000 candidats à subir les épreuves du Concours d’entrée en octobre 2015. Les autorités parlent de suspension provisoire.
Pour le Concours de recrutement des élèves maîtres (Crem), il a noté la baisse drastique du nombre de candidats admis à subir la formation dans les Centres régionaux de formation du personnel enseignant (Crfpe). Pour la session 2015/2016, seuls 1000 candidats, notamment 852 en français et 148 en arabe, ont été déclarés admis. Selon certaines sources, certains Crfpe (Louga, Matam, Kedougou, Ziguinchor, Sedhiou, Kaffrine et Fatick) ont été fermés faute d’élèves maîtres à former. Pis encore, les autorités ont aussi procédé à l’annulation du processus de recrutement des inspecteurs de l’Enseignement moyen et secondaire.
Ces différents indicateurs qui ont précipité la chute de la qualité des enseignements-apprentissages, ont été mentionnés dans le rapport introductif sur l’Education présenté le 29 octobre 2015 au Conseil interministériel sur la rentrée scolaire 2015-2016. Le déficit en inspecteurs et en manuels scolaires conformes au Curriculum de l’éducation de base (CEB) surtout en mathématiques et dans les disciplines scientifiques, y occupe une place importante.
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