Après deux reports successifs les 14 décembre 2017 et 3 janvier 2018, le procès du maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall et des sept autres agents de la ville va reprendre ce mardi matin au palais de justice de Dakar. Ils sont notamment poursuivis pour « détournement de deniers publics », « blanchiment ». Si l’on en croit le juge Malick Lamotte, il n’y aura pas de troisième report.
Les débats qui vont s’ouvrir ce 23 janvier risquent fort d’être très techniques. Les avocats des différentes parties viendront soumettre aux juges les exceptions préjudicielles, de nullité et de fin de non-recevoir « in limine litis« , c’est à à dire avant tout débat au fond. On ne sait pas encore quelles seront les contenus de ces exceptions, mais il faut s’attendre à une longue bataille juridique, avec parfois des plaidoiries fleuves.
La semaine dernière, Khalifa Sall a saisi la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux fins d’obtenir sa libération immédiate et un dédommagement de cinquante milliards de francs CFA, dénonçant notamment ce qu’il qualifie de « détention abusive ». L’affaire sera entendue à Abuja, au Nigeria, le mardi 30 janvier. Les avocats de la défense pourraient donc, ce matin encore, réclamer un autre report jusqu’à la délibération de la Cour de justice de la CEDEAO. Cette procédure ne peut pas obliger le juge sénégalais à reporter le procès.
« Ce procès ne doit pas avoir lieu »
Me Doudou Ndoye : « Ce procès ne doit pas avoir lieu et je vais le démontrer dans ce tribunal ». Pour l’ancien garde des Sceaux qui défend Mme Sow, née Fatou Traoré, seule femme faisant partie des prévenus, le tribunal n’a pas le droit de juger Khalifa Sall.
Selon lui, l’instruction n’a pas été faite dans les règles de l’art, l’Assemblée nationale n’a pas levé l’immunité de Khalifa Sall, l’Agent judiciaire de l’État n’a pas le droit de se constituer… Telles sont les conclusions de Me Doudou Ndoye. Il cite également des courriers de l’AJE devant répondre à des citations, expliquant ne pas pouvoir le faire, son décret de création le lui interdisant.
Après Me Doudou Ndoye, Me Borso Pouye, de la défense, devait prendre la parole mais celle-ci a demandé à attendre jusqu’à demain, ne souhaitant pas intervenir 15 minutes avant la suspension de l’audience.
Le juge Lamotte le lui a accordé, avant de suspendre l’audience jusqu’à demain 9h.
Les parties réclament de statuer rapidement sur cette question
« L’État est entré dans cette affaire par effraction ». C’est ainsi que Me Ciré Clédor Ly, avocat de Khalifa Sall, résume son intervention à la barre. Il estime que le décret qui crée l’Agence Judiciaire de l’État ne lui permet pas d’intervenir dans cette affaire. Les missions qui lui sont assignées sont de protéger les intérêts de l’État, choisit, si nécessaire, des avocats ou des mandataires, et suit les procès, représentant la défense des intérêts de l’État.
« Nulle part il n’est dit qu’il peut intervenir dans un procès », explique Me Ly, avant d’ajouter que leurs « clients ne peuvent pas intervenir pendant les exceptions et lui, il intervient avec ses avocats ». C’est une rupture dans l’égalité des armes. Le Code des collectivités locales (CCL) interdit également à l’État de se constituer partie civile au nom de la Ville de Dakar. Le CCL précise ainsi que le maire ou le membre du Conseil municipal, désigné sur délibération, peuvent représenter la collectivité locale en justice.
À sa suite, Me Bamba Cissé, toujours de la défense, joint à leur cause des observations de l’AJE dans une autre affaire, où il avait estimé ne pas avoir le droit de se constituer partie civile, l’Université de Bambey, dont il s’agissait, étant une administration autonome ayant une personnalité juridique, comme l’est la Ville de Dakar.
Me Khassimou Touré, après avoir appuyé les argumentaires de ses précédents confrères, a demandé au juge de ne pas joindre ces exceptions au fond (permettant de reporter la décision du juge jusqu’à sa décision finale au procès).
Selon lui, le juge doit statuer « in limine litis » sur les questions de constitution de partie civile, autrement les parties auront le loisir d’intervenir et d’influer sur le cours du procès avant qu’on ne décide s’ils avaient le droit de le faire ou non.
« Quand un État devient fou, il en oublie les notions de droit »
Me El Hadji Diouf est de retour dans le prétoire pour défendre la recevabilité de la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. Cette fois, il appuie sa cause en citant le code des collectivités locales. Pour lui, la Ville n’a « pas besoin d’attendre l’autorisation de l’autorité administrative pour aller en justice ».
Mais « quand un État devient fou, il en oublie les notions de droit ». L’avocat n’a pas manqué d’égratigner les avocats de l’État et l’agent judiciaire de l’État, multipliant les piques. Sa plaidoirie clôt les débats sur la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. Les parties vont maintenant débattre de la recevabilité de la constitution de l’État du Sénégal.
Les avocats de l’État évoquent un problème déontologique
Reprise de l’audience. La parole est toujours aux avocats de l’État avec Me Yérim Thiam au prétoire.
« Nous ne disons pas que les avocats n’ont pas le droit de se constituer pour la Ville. Nous disons que le mandat qui permet à M. Sow de constituer des avocats pour la Ville n’est pas exécutoire », argue-t-il.
Il n’a pas manqué de rappeler que la constitution de Me El Hadji Diouf pose un problème déontologique et qu’ils attendent la décision du bâtonnier.
Constitution de partie civile irrecevable
Les avocats de l’État continuent de se prononcer sur la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. « Je suis d’accord pour la constitution de la Ville de Dakar dans le principe », indique Me Samba Bitèye, qui reste néanmoins sceptique quant à sa forme. Selon lui, la Ville n’a pas la qualité juridique nécessaire pour se constituer.
Le préfet ayant demandé une seconde lecture, le Conseil municipal n’a d’autre choix que de s’exécuter. Le « mandat donnant mandat » aux avocats de se constituer ne peut plus être valable.
À sa suite, Me Moussa Félix Sow signale que la délibération du 15 janvier dernier ne peut être exécutoire que 15 jours après la réception de l’accusé de réception venant du préfet. Ce délai de 15 jours n’étant pas écoulé, la constitution de partie civile ne peut être recevable. Il ajoute que ce n’est pas le rôle de Mme Wardini, première adjointe au maire, de répondre au préfet mais au Conseil municipal, après la seconde lecture.
Il termine sa plaidoirie en citant un communiqué de la Ville de Dakar, datant de mars 2017, dans lequel elle refusait de se constituer partie civile et déclarait n’avoir subi aucun préjudice.
Dernière remarque des avocats de la défense : ils souhaitent prendre la parole pour réagir. Le juge renvoie la demande après la pause déjeuner. L’audience reprendra à