Qui va inquiéter Macky Sall pour 2019 ? Un peu prématuré de poser la question certainement, mais avec les remous dans les grands partis alliés de l’Apr et ceux de l’opposition, les ennuis judiciaires de Khalifa Sall et Karim Wade, les derniers scores électoraux, la maîtrise de tous les leviers de décision, le chef de l’Etat semble intouchable.
Au poker, il aurait été le croupier, battant les cartes, les distribuant, annonçant les mises…, en somme le maître du jeu. ‘‘Nous allons réduire l’opposition à sa plus simple expression’’. La pique avait fait pouffer certains qui ont pensé que la carence politique prétendue du Président Sall serait un frein à ses propres ambitions. Ensuite, elle a fait jaser, principalement l’opposition qui se rendait compte que cette déclaration supposée être anodine lui devenait de plus en plus assassine. Enfin, en l’état actuel des choses, l’on ne peut s’empêcher de penser que Macky Sall est en phase de réussir son pari, si ce n’est déjà fait. Ses propos tenus en avril 2015 dans une ville symbolique du socialisme sénégalais, Kaffrine, montrent à quel point la centrifugeuse Sall accélère sa capacité à absorber alliés et opposants. Sans trop s’attarder sur les motivations de cette déclaration, le constat est amer pour ceux qui souhaitent sortir l’actuel locataire de l’Avenue Roume.
Sa logique d’alliance avec les grands partis de l’échiquier politique a non seulement l’avantage de greffer des forces à un noyau dur ‘‘apériste’’ qui gravite autour de 26%, mais aussi d’affaiblir ses propres alliés, puisque dans le même temps, ces formations, historiques sont au bord de l’implosion ou se sont déjà disloquées. Récemment, c’est un parti historique, la Ligue démocratique (LD), qui est secoué par les ondes de choc de la démission de son secrétaire général, Mamadou Ndoye Mendoza. Poussé vers la sortie après son désir de plus en plus manifeste de marquer la scission d’avec l’Apr, sa ‘‘revanche médiatique’’ met ses camarades et le Président Sall dans l’embarras. Des émoluments mensuels de 4 millions, de la part de Macky Sall, qui lui étaient destinés, ont été versés dans les caisses du parti, révélait-il dans une sortie sur les ondes de la Sud Fm. Le Palais en est quitte pour quelques piques, mais réussit manifestement à mettre sous étouffoir les velléités de dissidence dans ce parti allié important.
Dans cet art de troubler l’eau pour pêcher en eaux troubles, les manœuvres du Président n’ont pas épargné le Parti socialiste. Le Ps traverse l’une des plus grandes crises de son histoire avec une faction institutionnelle qui se maintient dans la mouvance présidentielle BBY, malgré l’incarcération, depuis bientôt sept mois, de son chargé de la vie politique, Khalifa Sall. La capitale qui était comme une cocotte-minute prête à exploser du temps où l’opposition était conduite par Abdoulaye Wade dans les années 80-90, se trouve docile pour son maire pourtant très adulé. En dehors du malaise Khalifa, la participation des Verts à la prochaine présidentielle va présenter une configuration pour le moins bizarre. D’une part, son absence, en 2019, serait perçue comme une première historique à son désavantage ; d’autre part, le Ps sera dans l’embarras de se présenter en s’opposant à un régime dont il est comptable du bilan. Le Président Sall ne lésine pas sur les moyens pour garder son allié le plus bénéfique tout en ramassant les miettes des secousses qui l’agitent.
Quant à l’Alliance des forces de progrès (Afp), il est très difficile de ne pas franchir le Rubicon et déclarer qu’elle est partie intégrante de la mouvance. Elle n’est plus l’ombre que d’elle-même, depuis que les cadres du parti, Malick Gakou, Mamadou Goumbala et 15 autres, révoltés par l’effacement de plus en plus inquiétant du parti progressiste au profit de BBY, ont décidé de se rebeller, avant de se faire exclure du parti de Moustapha Niasse, en 2013.
Le vide autour du président se traduit aussi par l’étêtage des figures politiques influentes. Beaucoup de candidats peuvent et vont certainement se présenter contre Macky Sall dans moins de deux ans. Mais deux de ses challengers les plus présidentiables, les plus populaires, risquent de ne pas participer à la Présidentielle de 2019 : le maire précité de Dakar et Karim Wade. Tous deux en délicatesse avec la loi sénégalaise, la condamnation déjà effective de Wade-fils et l’avenir judiciaire en pointillé de Khalifa Sall sont des casse-têtes politiques en moins pour Macky Sall.
Haut la main
Outre ces manœuvres politiciennes à l’interne, ce sont les différentes confrontations électorales depuis 2012, ayant toutes tourné à l’avantage du parti au pouvoir, qui renforcent les pronostics favorables envers Macky Sall. Les Législatives de 2012, les Locales de 2014, le Référendum de 2016 ont été remportés par la coalition présidentielle. Les Législatives du 30 juillet dernier ont confirmé ces tendances de manière on ne peut plus catégorique dans la mesure où elle a réduit l’opposition à son minimum électoral (2 départements gagnés sur 45). Une configuration de superpuissance électorale marron-beige qui mène à certaines déclarations prématurées de cadres comme Mbaye Ndiaye qui, au lendemain des Législatives, parlait d’une victoire au premier tour pour la Présidentielle 2019.
Dans nos colonnes, l’expert électoral Ndiaga Sylla a bien relativisé les propos de l’ancien ministre de l’Intérieur. Mais il a dû concéder que la stabilité des scores électoraux de l’Apr est un paramètre important dans la bonne marche qu’elle affiche, malgré des défections importantes dans ses rangs. ‘‘En 2012, il a fait 53% avec l’essentiel des forces de Taxawu Senegaal. Aujourd’hui, il fait 49%, c’est-à-dire presque 50%. De ce point de vue, on ne peut pas parler de recul’’, souligne-t-il. Il s’y ajoute, dit-il, que le pouvoir a été accusé d’avoir parrainé des listes. Or, ces dernières ont capté quelques suffrages, sans compter les listes dissidentes de la coalition. ‘’Il a donc la majorité, même si c’est une majorité simple. Il faut donc accepter que Benno Bokk Yaakaar reste majoritaire.’’
C’est fort de toutes ces victoires électorales et de toutes les fausses manœuvres de l’opposition, dont il ne cesse de tirer parti, que Macky Sall s’est finalement décidé à accéder à leur insistante requête de remplacer ‘‘le ministre de l’Intérieur partisan’’ Abdoulaye Daouda Diallo. Mais même pour cet acte de bonne volonté destiné à pacifier l’espace politique, le Président Sall a tenu à faire savoir qu’il avait toujours les cartes en main en leur faisant une demi-concession. Un ‘‘apériste’’ pur jus trône encore à la Place Washington en la personne de Aly Ngouille Ndiaye. ‘‘C’est tout simplement un coup de bluff. Simplement parce que c’est un responsable du Parti au pouvoir qui a été enlevé, pour être remplacé par un autre responsable de même dimension’’, avait déclaré Hélène Tine. Ce dernier s’est vite empressé de montrer des signes de bonne volonté en invitant l’opposition au dialogue.
Opposition cherche leader
La situation s’est davantage compliquée pour une opposition qui a dû se rendre à l’évidence. Macky manœuvre bien. A tel point que le malaise continue de se propager dans ses rangs avec la démission de Thierno Bocoum de Rewmi, hier, et la torpeur inexplicable dans laquelle baigne Mankoo. Seul Abdoulaye Wade, dans le sillage de son sauvetage électoral aux Législatives de 2017, essaie de tailler des croupières au régime actuel. Conscient de ses limites, le ‘‘vieux’’ cherche de nouvelles alliances stratégiques et sa récente entrevue avec Ousmane Sonko peut être classée dans cette optique, même s’il est surréaliste d’en attendre grand-chose. Le gap laissé par l’opposition MTS-Coalition gagnante est rempli d’autres forces en devenir qui bourgeonnent et ne vont pas se priver de combler les petits vides laissés par l’opposition traditionnelle. Elles se proposent tout naturellement de prendre ces places, même si leurs maigres statistiques (9 députés pour chacune de ces nouvelles formations pratiquement toutes créées entre 2014 et 2017) montrent qu’il y a un très long chemin à parcourir.
L’opposition pourra toujours se consoler de disposer d’une vaste popularité en cas d’agrégat de ses forces. En perdant la bataille contre un système d’organisation laissé à un ministre de l’Intérieur qu’elle a elle-même dénoncé, ses principales déconvenues électorales étaient scellées à l’avance. Si elle ‘‘est sociologiquement majoritaire’’ comme elle aime le dire, le cas d’Hillary Clinton, lors de la dernière Présidentielle américaine, devrait achever de la dessiller. Au vote populaire, elle est bel et bien devant Donald Trump avec plus de 65 millions de voix contre 62. Mais le système étant ce qu’il est…
ENQUETE QUOTIDIEN