C’est le premier dossier de terrorisme jugé au Sénégal : Libération a appris de sources autorisées que le Doyen des juges de Dakar a pris une ordonnance renvoyant Assane Kamara devant les Chambres criminelles pour activités terroristes présumées. Quant à son complice présumé, Atoumane Sow, il a bénéficié d’un non-lieu.
Libération a appris de sources autorisées que pour la première fois un compatriote sera jugé sur le sol sénégalais pour activités terroristes présumées. Son nom : Assane Kamara, ancien étudiant en Économie à l’Université de Sherbrooke (Canada). Après plus d’un an d’instruction, le Doyen des juges Samba Sall a pris une ordonnance pour le renvoyer devant les Chambres criminelles pour activités terroristes présumées.
Quant à son complice présumé, Atoumane Sow, il a bénéficié d’un non-lieu. Pour autant, le magistrat n’a pas suivi le parquet qui demandait qu’Assane Kamara soit aussi poursuivi pour apologie du terrorisme, délit pour lequel l’imam Ibrahima Sèye de Kolda avait été condamné à trois ans ferme en appel. Interpellé au téléphone hier, Me Ousmane Sèye confirme le renvoi de son client devant les Chambres criminelles mais tempère :
«Nous respectons la décision du juge mais Assane Kamara n’est pas et ne saurait être un terroriste. Nous allons le démontrer facilement devant les Chambres criminelles. Comment peut-on écarter le délit d’apologie au terrorisme et le poursuivre pour terrorisme alors que les deux vont de pair ? Il devait avoir un non-lieu comme son complice présumé car le dossier est vide.
Nous avons hâte d’être devant les Chambres criminelles qui, nous en sommes sûrs, vont dire le droit en relaxant Assane Kamara. » Courant 2016, Assane Kamara né en 1992, domicilié à Sacré-Cœur et Atoumane Sow qui habite Grand-Yoff avaient été arrêtés pour association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste, apologie du terrorisme et complicité de financement du terrorisme.
C’est la mère d’Assane, désespérée, qui a alerté les enquêteurs de la Police judiciaire. A. Lô s’était présentée dans les locaux de la Division des investigations criminelles (DIC) complètement sonnée. Elle révélait que son fils, qui était jusque-là étudiant en Economie à l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada) a rejoint la Tunisie pour faire le Jihad. Elle a souligné devant les enquêteurs sa « transformation» depuis son mystérieux séjour en Tunisie.
D’ailleurs, elle ajoutait qu’à son retour au Canada, son fils fréquentait des Afghans et des Pakistanais dans une sorte de mosquée baptisée « Sahaba » où, son rejeton, devenu imam, prêchait le Jihad, pour ne pas dire la lutte armée contre les « mécréants ». La maman désespérée disait s’être elle-même rendue au Canada pour faire revenir son fils à la raison, mais que ce dernier ne voulait rien entendre. Et c’est en désespoir de cause qu’elle s’est rendue, à son retour à Dakar, à la DIC pour « arrêter » son fils avant qu’il ne fasse une bêtise. La maman avait alerté les enquêteurs.
De ce fait, elle donnera une information précieuse aux enquêteurs: son fils aurait été recruté par le nommé Atoumane Sow – blanchi par l’instruction – pour le compte d’un certain Shamin Abdoul qui aurait même financé le voyage de son fils. Cette déposition en main, les éléments de la DIC signalent aussitôt Assane Kamara aux policiers de l’aéroport qui le mettent sur la fameuse liste de surveillance du système Sécuriport. Une démarche qui se révèle payante puisque ce dernier, revenu à Dakar dans la nuit du 21 au 22 janvier 2016, est accueilli par un de ses amis, P. Y.Ndiaye.
Les enquêteurs de la DIC le filent pendant un moment, jusqu’à ce qu’il entre et ressorte de chez lui, à Sacré-Cœur II, avant de l’intercepter et de le conduire à leur siège, sis à Rue Carde. Aussi, Assane Kamara est informé de son placement en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour terrorisme. Dans un premier temps, les agents de la DIC l’informent qu’ils vont effectuer, en sa compagnie, une perquisition dans sa chambre. Un pamphlet contre les confréries est retrouvé dans sa chambre. Un transport qui s’est révélé fructueux.
Dans sa chambre, les enquêteurs trouvent un exemplaire du Coran, un billet Dakar-Tunis au nom du mis en cause présumé, un numéro de compte à la Banque islamique et un transfert d’argent par virement effectué par le nommé Harris Katich. Plus grave encore, la DIC met la main sur une série de pamphlets contre les confréries religieuses, mais aussi des pratiques comme la visite des morts aux cimetières. Interrogé par les enquêteurs, Assane Kamara nie être un terroriste, mais avoue avoir fréquenté des affidés des Frères musulmans qu’il a connus à la mosquée de l’Association des musulmans de Sherbrooke.
Il reconnaît s’être rendu en Tunisie, mais jure que c’était pour rencontrer un certain Waffi qu’il aurait connu à l’université. Il ne savait sans doute pas que les enquêteurs de la DIC avaient découvert que le virement en question lui a été envoyé, depuis l’Algérie, par un jihadiste dont le nom de guerre est Abou Zayid. Face à cet élément de preuve, Assane Kamara a reconnu l’existence de ce virement, mais jure que l’argent a été envoyé dans le compte de son ami Atoumane Sow qui l’aurait détourné.
Une déclaration qui confirme la déposition faite par sa mère à la Division des investigations criminelles. Les enquêteurs dé- couvriront plus tard plusieurs virements effectués en sa faveur par un certain Samir Halilovic, un imam de Liberté VI interrogé comme témoin. Entre temps, Atoumane Sow avait été cueilli par les enquêteurs, tout comme P. Y. Ndiaye contre qui aucune charge n’a été retenue. En effet, celui-ci a affirmé avoir connu Assane Kamara dans une mosquée à Liberté VI Extension.
Il ajoute qu’avec leurs amis A. Fall et A. Seck, ils parlaient beaucoup de religion. N’empêche, il a précisé n’avoir jamais été au courant des liaisons dangereuses d’Assane Kamara. L’imam de la mosquée, M. Bâ, a été aussi interrogé comme témoin.