La confirmation de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) fera probablement l’objet d’un sommet extraordinaire qui se tiendra au début de l’année 2018. En attendant cette décision cruciale, le Pr Moustapha Kassé est plus que catégorique : « La question est très très mal discutée » au sein de l’organisation sous-régionale. Soutenant que « l’ouverture de la CEDEAO au Maroc posera d’énormes problèmes économiques à beaucoup de secteurs », l’auteur de « l’Afrique endettée » liste les raisons à
La menace de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO
« Réfléchir à trois ou quatre fois parce que… »
« Il faudra réfléchir à trois (3) ou quatre (4) fois parce que c’est la plus mauvaise affaire dans laquelle on s’engage. Premièrement, si vous regardez toutes les composantes économiques, la Finance, l’Industrie, l’Agriculture, les secteurs tertiaires, tous présentent des niveaux de productivité extrêmement très faibles par rapport à leurs concurrents marocains. Deuxièmement, l’Etat marocain est très interventionniste dans l’appui et l’aide de ses entreprises. Il les arme pour mieux compétir. Ce que malheureusement notre Etat ne fait pas ou ne fait pas bien. Il y a quelques initiatives de promotions du secteur privé mais c’est encore largement insuffisant. Troisièmement, vous y ajoutez le patriotisme économique qui est très important, le Maroc dit consommons le Maroc d’abord mais ici on ne dit pas le Sénégal d’abord. On ouvre le marché à tout vent. Or, aujourd’hui, vous prenez une grande puissance comme les Etats-Unis qui, quand même, sont au cœur de la mondialisation et la font fonctionner, le président actuel dit l’Amérique d’abord ».
Des politiques sectorielles pour armer davantage les entreprises
« Donc, il y a un patriotisme économique qui doit se traduire par une modification de toutes les politiques sectorielles pour les armer davantage afin qu’ils puissent être plus compétitifs. Par exemple, prenez l’Agriculture marocaine, il y a une maîtrise formidable de l’eau, quelques trois-cent (300) barrages. Nous n’en avons que deux (2) ou trois (3) qui fonctionnent. Les terres inondées ne sont même pas exploitées de manière intégrale, il n’y a qu’une partie qui l’est… Non seulement le Maroc a l’eau mais l’eau qui est servie comme intrant dans l’irrigation, cette eau-là coûte beaucoup moins cher qu’au Sénégal, je crois que c’est du simple au double. Vous prenez l’Industrie, cela va être la même chose. Nous essayons de mettre en place une zone économique spéciale, le Maroc en a une bonne trentaine et, dans des secteurs à haute technologie… Pour toutes ces raisons, l’ouverture de la CEDEAO au Maroc posera d’énormes problèmes économiques à beaucoup de secteurs. De façon anecdotique, regarder la mandarine casamançaise, elle a disparu complètement, elle n’a pas résisté. Et, beaucoup d’autres produits ne résisteront pas simplement parce que le Maroc fait mieux. Quelqu’un qui fait mieux et vous lui concéder encore, vous lui faites des concessions douanières, il vous battra forcément ».
Le frein juridique et de la proximité
« L’autre aspect juridique est extrêmement important. Toutes les intégrations dans le monde, il y a aujourd’hui plus de 190 accords d’intégration, mais toutes les intégrations sont fondées sur la continuité territoriale parce que ce qu’on appelle la création ou le détournement de flux provient essentiellement de la proximité. Si vous n’avez pas de proximité avec le pays en question, ce qu’on appelle la continuité territoriale, cela me pose problème. Un autre problème juridique, c’est que demain, si vous interrogez les conditions d’admission d’un Etat, le Maroc ne les respecte pas. Aucune des conditions que posent essentiellement les textes de la CEDEAO ne sont respectés,… Je me dis au fond cette question-là est une question qui est très très mal discutée au niveau de la CEDEAO. Et, d’ailleurs, personne ne peut expliquer l’empressement pour faire admettre le Maroc alors que mêmes les services techniques n’ont pas encore rendu leur verdict sur ce cas qu’apporte ou ce que coûte l’intégration du Maroc. Je me dis là qu’il y a une précipitation que rien ne justifie… ».
PressAfrik