Au XIX e siècle déjà John Stuart Mill alertait ses compatriotes parlementaires sur l’absurdité et l’illégitimité consistant, une fois élu, à se comporter comme des représentants de leur localité oubliant qu’ils sont des députés de la nation. Un député est d’abord celui de la nation et non de telle ou telle localité : une fois qu’ils sont au sein de l’hémicycle, leur posture régionaliste et chauvine doit disparaître pour représenter la nation tout entière.
On pourrait appliquer la même logique aux DG aspirant à être des élus locaux dans leur localité. Il n’y a pas de collectivité locale qui tombe du ciel, qui sorte ex nihilo : ce sont des démembrements de l’Etat. C’est manquer de grandeur, d’esprit chevaleresque et finalement de civilité que d’être chauvin jusque dans l’espace scolaire. Profiter des ressources de l’Etat et les investir spécifiquement dans sa localité, c’est manquer d’esprit républicain. Un DG d’une société ou d’une institution publique n’est pas un particulier, il n’est pas censé distribuer des biens ou des prébendes aux siens. Offrir des cahiers à son effigie à des potaches c’est introduire tacitement la politique à l’école, donc le parti pris, donc des joutes entre élèves dont les parents ont des préférences politiques opposées. L’école n’est pas un lieu d’intériorisation d’une idéologie, elle est un lieu d’acquisition de la science.
Un DG qui se permet de faire des dons de cahiers à son effigie sous prétexte qu’il veut rendre service à ses « parents » ou à ses pays, ne comprend visiblement pas sa mission. Au cas même où cet argent serait issu de son salaire, la décence lui interdit de distribuer ces cahiers à son effigie dans l’espace scolaire. L’école est d’abord l’école de la république, c’est celle-ci qui l’a construite et qui paie le personnel qui la fait vivre. Cet acte est par conséquent antirépublicain, extrêmement chauvin, égocentriste et trop régionaliste. Avec ce régime, l’indécence républicaine a non seulement atteint son paroxysme, mais elle est devenue arrogante, insolente et foncièrement stupide.
Même les singes ont l’instinct grégaire. On ne peut pas être le produit de l’école apolitique, laïque et républicaine et se permettre d’y introduire des pratiques aussi indignes. Voilà pourquoi il urge d’exiger des hommes politiques futurs candidats à la présidentielle qu’il accepte publiquement le principe d’un Appel à candidature pour certains postes dans l’administration. L’indignité risque d’abîmer ce pays si on ne fait rien. La république a ses lieux sacrés, des enceintes sacrées, pour utiliser le mot de Rousseau : ce sont les lois et les bonnes mœurs politiques. Quand on a le pouvoir, sa responsabilité devient plus grande : on devrait pouvoir s’interdire des choses légales. Entre la loi et la sagesse, il faut savoir choisir cette dernière, car ce qui fait la force même d’une loi, c’est sa sagesse. Une loi peut être injuste, arbitraire, là où une sagesse injuste est un contresens. Les hommes peuvent rencontrer des difficultés à interpréter la loi, mais la voix céleste qui résonne en chacun d’eux est à la fois claire et distincte. Il est encore possible de redonner à la politique sa noblesse, mais pour ce faire, il faut la confier à des hommes vertueux, qui sont très sensibles à l’honneur.
Alassane KITANE