En pleine campagne électorale, la prudence sémantique du président américain lui vaut les critiques du camp républicain.
Contre le terrorisme, Barack Obama mène la guerre sur plusieurs fronts. Et pour se différencier des républicains, il y une bataille sur laquelle il s’est engagée avec détermination : celle des mots.
Depuis la vague d’attentats en France en 2015, à l’opposé des éléments de langage du camp adverse, le président américain se refuse à associer « terrorisme » et « islamisme ». Tout comme il ne lie jamais dans la même phrase « islam » et « radical » pour éviter, selon lui, tout amalgame et de donner aux terroristes une légitimité religieuse qu’ils n’ont pas.
A quelques semaines du scrutin du 8 Novembre pour élire le ou la prochain(e) président(e) des Etats-Unis, Barack Obama a réaffirmé et défendu avec obstination cette idée. La semaine dernière, lors du « Presidentielle town hall de CNN, la mère d’un soldat mort à Bagdad en 2007, lui pose en direct cette question : « Croyez-vous que les actes de terrorisme sont faits en raison de motivations religieuses islamiques proclamées ? Et si oui, pourquoi refusez-vous toujours d’utiliser le terme ‘terroriste islamiste’ ? » Barack Obama lui répond :
« Je suis prudent lorsque je décris ces problèmes pour faire en sorte de ne pas mettre dans le même panier ces meurtriers et les millions de musulmans qui vivent dans le monde et dans notre pays, qui sont pacifiques, responsables, qui font partie de nos soldats, de nos policiers, de nos pompiers, de nos enseignants, de nos voisins et de nos amis. »
« Une vision naïve », selon les Républicains
La séquence n’a pas manqué d’être critiquée par les tenants d’un vocabulaire plus strict. Les républicains y voient un aveu de faiblesse, une incapacité à désigner l’ennemi et une façon d’éviter le problème. Sur la chaîne conservatrice Fox News, la « Gold Star mother de CNN qui a fait face à Barack Obama déclare n’avoir pas été satisfaite de la réponse de son président. Elle a expliqué que, certes il fallait « faire la différence entre les gens mauvais et les bonnes personnes, mais que le résultat était que [son] fils avait été tué par des ‘terroristes islamistes' ». L’éditorialiste de la chaîne, Bill O’Reilly, a considéré de son côté que Barack Obama avait « une vision naïve du monde ». « Tout le monde sait que les musulmans ne sont pas des gens violents. Cependant, de nombreuses nations arabes contribuent lourdement au terrorisme. » Et de citer l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite…
Donald Trump n’est pas en reste. Après le massacre d’Orlando, en juin dernier, alors que Barack Obama parlait d’un « acte de terreur et dénonçait de « violents extrémistes » et des « voyous », le candidat républicain s’est offusqué : « Est-ce que le président va enfin mentionner le terrorisme islamiste radical ? S’il ne le fait pas, il devrait immédiatement démissionner dans la honte ! »
Surfant sur l’émotion, plus incendiaire que jamais, Donald Trump avait même réussi l’exploit de faire prononcer à sa rivale pour la présidentielle, Hillary Clinton, les mots tabous, qu’elle s’était jusque-là bien gardé de proférer. Disant ne pas craindre d’utiliser cette expression, elle a déclaré :
« Nous faisons face à des ennemis terroristes qui utilisent l’islam pour justifier le massacre de gens […] Nous devons vaincre le terrorisme djihadiste radical, et nous le ferons […] djihadisme radical, islamisme radical, je pense que c’est la même chose […] mais ce n’est pas le sujet […] Tout ce discours, cette démagogie, cette rhétorique ne vas pas résoudre le problème. »
Bush et sa guerre contre « l’axe du mal »
Mais ce glissement sémantique entraîné par un Trump exalté, est une rupture dans le discours politique américain, même chez les républicains. En son temps, Georges W. Bush n’avait pas utilisé l’expression « terrorisme islamiste ». Pour justifier sa guerre en Afghanistan, après les attentats du 11-septembre, l’ancien président républicain avait inscrit son action dans une « guerre contre le terrorisme » ou bien encore dans une « guerre contre l’axe du mal ». « Tout le monde doit comprendre ceci : nous ne combattons pas l’islam, nous combattons le mal », avait-il asséné le 6 Novembre 2001 sans jamais qu’il ne change de position jusqu’à la fin de son mandat. Eliott Abrams, ancien conseiller de l’ancien président, a expliqué à « Bloomberg » : « Nous avions envahi deux pays musulmans -l’Afghanistan et l’Irak- et nous allions être accusés d’être en guerre contre l’islam. L’administration voulait être sûre que l’on comprenne que nous n’étions pas en guerre avec l’islam et avec les musulmans du monde ».
Dans cette continuité, l’administration Barack Obama, après les attentats de Charlie Hebdo, s’affichant délibérément en opposition avec le premier ministre Français Mannuel Valls, avait insisté sur le souhait de ne pas parler de « guerre contre l’islamisme radical ». Dans une conférence de presse, le porte-parole de la Maison-Blanche, Josh Earnest, avait précisé d’ailleurs que les musulmans du monde entier avaient condamné de telles attaques, que les terroristes manipulaient la religion et que par conséquent, ce terme était à éviter « parce qu’il ne décrit pas précisément ce qui est arrivé. »
Ne pas s’aliéner les alliés arabes
L’expression est tellement sensible aux Etats-Unis, est devenue si politique à la faveur de la campagne présidentielle actuelle, que la Maison Blanche fût accusée par les républicains en mars dernier d’avoir censuré un discours officiel de François Hollande où il évoquait « le terrorisme islamiste ».
Pour le spécialiste Dominique Moïsi, conseiller spécial à l’Institut Montaigne, Barack Obama tient un discours « réfléchi et profond » qui lui ressemble. « Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2008, il fait ces grands discours au Caire et à Istanbul dans lesquels il en appelle au dialogue positif entre deux civilisations, pas loin du discours de Bush », rappelle-t-il. « Sauf qu’Obama est allé plus loin. De manière plus pragmatique, il ne voulait pas donner d’arguments à une nouvelle intervention militaire terrestre. La position nuancée de Washington tient aussi au fait que les Etats-Unis ont un rôle central dans le monde. Leurs responsabilités sont plus grandes, ils prennent moins de risques ».
Au-delà de cet aspect moral et de la volonté de ne pas faire de rapprochement entre islam et terrorisme, à n’importe quel prix, il y a peut-être une raison un peu moins avouable. Selon le site » Bloomberg » les Etats-Unis ne souhaiteraient pas heurter leurs alliés du monde arabe,et notamment l’Arabie Saoudite. « La longue guerre contre le terrorisme islamiste radical nécessite au moins le soutien tacite de nombreux musulmans radicaux », écrit Bloomberg qui ajoute :
« Dans certains cas, les pourvoyeurs du wahhabisme, tels que l’Arabie Saoudite, sont des alliés de longue date. »
Et c’est peut-être à travers cette lecture qu’il faut lire la déclaration de Barack Obama sur CNN lorsqu’il dit :
« Ce que j’ai appris, en écoutant certaines de ces familles musulmanes, aux Etats-Unis et à l’étranger, c’est que lorsque vous commencez à parler de ces organisations comme de terroristes islamistes, la façon dont cela est entendu, la façon dont cela est perçu par nos amis et nos alliés à travers le monde, c’est que l’islam est terroriste. Et alors, ils se sentent comme attaqués. Dans certains cas, cela rend plus difficile d’obtenir leur coopération dans la lutte anti-terroriste. »
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