Pourquoi l’Arabie saoudite n’est pas visée par le décret anti-immigration de Trump

Pourquoi le décret anti-immigration de Trump vise-t-il le Yémen et la Somalie et non l’Arabie saoudite ou le Pakistan ? Aux États-Unis, certains pensent que les intérêts économiques personnels du président américain peuvent expliquer cette décision.

Depuis qu’il a signé le décret exécutif  barrant l’accès des États-Unis pendant quatre-vingt-dix jours aux ressortissants à majorité musulmane [Iran, Irak, Yémen, Somalie, Soudan, Syrie et Libye] vus comme des viviers du terrorisme, le président américain Donald Trump  se retrouve sous le feu des critiques, mais aussi des soupçons.

Tandis que plusieurs chefs d’État, dont François Hollande et une partie du monde des affaires, notamment la prestigieuse banque Goldman Sachs, ont exprimé leur désapprobation , une partie de la presse américaine est allée plus loin en suggérant que le multimilliardaire aurait pris cette mesure en tenant compte de ses intérêts économiques personnels.
Le New York Times et le Washington Post  ont ainsi tous deux fait remarquer que le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak, tous visés par le décret, ont un point commun assez troublant : ce sont des pays dans lesquels le magnat de l’immobilier n’a aucun, ou très peu, d’intérêts financiers.
Pour étayer ces allégations, le site d’informations économique Bloomberg a publié la carte  comparant les nations bannies par le décret anti-immigration, et celles où, d’après son enquête, la Trump Organization a des liens commerciaux. La démonstration est édifiante.
Des incohérences et des soupçons
Donald Trump a motivé sa décision par la lutte contre le terrorisme. Mais vu sous ce prisme, le choix des pays visés comporte certaines incohérences qui peuvent nourrir les suspicions.
Interrogé par France 24, Khalil Jahchan, analyste politique et directeur exécutif de l’Arab Center of Washington, un think tank spécialisé dans la recherche sur la diplomatie américaine dans le monde arabe, se dit troublé. « La mesure prise par l’administration Trump n’a aucun rapport avec la réalité de la menace terroriste contre les États-Unis, puisque manifestement, certains États dont sont originaires des terroristes qui ont agi à même le territoire américain ne figurent pas sur cette liste ».
L’Égypte, les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, dont des ressortissants figurent parmi les 19 pirates de l’air du 11 septembre 2001, sont ainsi absents de la « liste noire ». Tout comme la Turquie, frappée par une vague terroriste sans précédent depuis plusieurs mois, et visée par une note du département d’État datée du 25 janvier qui invitait les citoyens américains à « évaluer attentivement la nécessité de se rendre dans ce pays actuellement ».
Selon les médias américains, ces « oublis » ne sont pas dus au hasard. La Trump Organization a toujours, ou a eu, des sociétés ou des liens d’affaires dans l’ensemble de ces pays. Alors que le président américain avait annoncé, mi-janvier, qu’il allait céder le contrôle « complet et total » de son empire immobilier à deux de ses fils pour éviter tout soupçon de conflit d’intérêts, le New York Times et Bloomberg ont listé quelques-uns des actifs qu’il possède dans les pays exemptés par le décret, en s’appuyant sur des documents fédéraux officiels.
Il est notamment question de deux immeubles de luxe à Istanbul et d’un parcours de golf pompeux à Dubaï franchisés et qui portent le nom de Trump, deux sociétés inactives en Égypte, et huit SARL en Arabie saoudite, dont la THC Jeddah Hotel Manager Member Corp, mentionnées dans la déclaration du président américain à la commission électorale financière américaine (FEC). Rien qu’en Turquie, ses affaires lui ont rapporté 5 millions de dollars l’année dernière.
Trump botte en touche
Ces incohérences présidentielles n’ont pas seulement soulevé des questions dans les médias. Elles ont également étonné l’élu du Michigan Justin Amash. « Si on s’inquiète du radicalisme/terrorisme, pourquoi pas l’Arabie saoudite, le Pakistan et d’autres? », s’est-il interrogé sur Twitter.
Pour sa défense, la présidence américaine assure que les nations visées par la mesure ont elles-mêmes été qualifiées de pays « à risques » par le Congrès américain et par l’administration Obama, qui les ont précisément pointées du doigt dans le cadre du programme d’exemption de visa, durci en novembre 2015.
D’aucuns avancent l’argument selon lequel le nouveau président aurait cherché, via ce décret, à démontrer qu’il a tenu parole. « Cette démarche, selon moi, peut s’expliquer par la volonté de Donald Trump de tenir certaines promesses électorales énoncées durant la campagne présidentielle », estime Khalil Jahchan. Et ce, à moindres risques pris, tant il est vrai que la mesure concerne des pays avec lesquels les liens économiques des États-Unis sont peu importants, voire inexistants.

Lors d’un entretien accordé à ABC News, Donald Trump, qui n’avait pourtant pas hésité à taper sur l’Arabie Saoudite pendant la campagne électorale, en menaçant de ne plus acheter de pétrole à la monarchie wahhabite, a préféré botter en touche. « Nous excluons certains pays, pour les autres, nous allons être extrêmement vigilants et il deviendra plus difficile d’entrer aux États-Unis », a-t-il répondu alors qu’il lui a été demandé pourquoi l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan, et le Pakistan n’avaient pas été inscrits sur la liste.
Le président américain, qui s’est défendu ces derniers jours de toute discrimination à l’égard des musulmans, s’est d’ailleurs entretenu au téléphone avec le Roi Salmane d’Arabie , dimanche. Aucune mention n’a été faite du décret présidentiel dans le compte-rendu donné par la Maison Blanche.

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