Lundi 9 novembre 2019. La mesure du limogeage du commissaire central de Dakar, Mamadou Ndour, deux mois après sa nomination à ce poste, est officialisée. Muté au cabinet du Directeur général de la police nationale, il devient l’un des plus éphémères centraux de la police. «L’Obs» a cherché à cerner les dessous de cette décision à tout le moins surprenante.
C’est un fait rare dans la gestion des affaires de l’Etat. Il n’est pas courant qu’une mesure administrative soit retardée pour des raisons de sensibilité managériale. Si la sanction négative prévue contre tout agent ayant manqué à la rigueur d’une mission avait été appliquée, le Commissaire central Mamadou Ndour allait quitter ses fonctions depuis la semaine dernière. Mais, pour ne pas «trop heurter» et «cacher la faute commise», son limogeage a été différé. Pourtant, la décision de son départ avait été arrêtée depuis le lundi 2 décembre 2019. Mais, c’est avant-hier que la mesure est tombée : Le commissaire Mamadou Ndour quitte la tête du très stratégique commissariat central de Dakar deux mois après sa prise de fonction. Il est recasé au cabinet du Directeur général de la police. Il cède son fauteuil au commissaire El H. Dramé, jusque-là aux commandes du commissariat spécial de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd). Une décision qui a assurément pris de court le commissaire M. Ndour qui, préposé à la sécurité de la capitale, n’a même pas eu le temps de prendre la température de son cabinet.
Les raisons véritables de ce limogeage parfaitement verrouillées, la thèse officielle avancée parle «d’une affectation du commissaire Ndour». Des sources de «L’Observateur» soufflent que la «mesure discrétionnaire du Directeur général de la police nationale» brandie pour justifier le limogeage du commissaire Ndour relève d’un exercice «diplomatique». Des cadres de la hiérarchie policière jurent qu’il existe un lien de causalité directe entre le limogeage du commissaire Ndour et la manifestation improvisée devant les grilles du Palais de la République, le 27 novembre dernier, par l’activiste Guy Marius Sagna et ses camarades. Une manifestation pour protester contre la hausse de l’électricité. Mais, l’issue de la marche a ulcéré jusqu’au plus haut niveau de la sphère présidentielle où l’on continue à s’interroger sur comment un groupuscule de manifestants bien identifiés a pu accéder facilement jusqu’aux grilles du Palais de la République. La question a été posée en premier au Directeur général de la police nationale Ousmane Sy par le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye. La séance d’explication s’est tenue le soir même de la manifestation. Après quoi, le problème a été exposé au chef de l’Etat par les autorités concernées par cette question. Mais, l’affaire prend une autre tournure quand le sujet a été évoqué lors d’une réunion de la sécurité. Une rencontre qui a réuni toutes les personnalités dont la mission se rattache aux questions de sécurité. «Des failles présumées du système décelées et qui expliquent l’irruption soudaine de Guy M. Sagna et Cie aux portes du Palais, ont été mises sur la table», confie-t-on. Autant de couacs qui seront logiquement imputés au principal préposé à la sécurité de la capitale sénégalaise, le commissaire Mamadou Ndour, fut-il nouvellement installé. De sources avisées, «le limogeage du central Ndour sera alors acté, avant d’être reporté à une date ultérieure», histoire, nous indique-t-on, «de ne pas rendre flagrant le lien entre la décision et le malheureux évènement».
Une période mise à profit par le Dgpn et son staff pour cogiter sur le profil le plus pertinent du moment pour remplacer le très éphémère central M. Ndour. Le jeune et brillant commissaire El H. Dramé qui a fait ses preuves dans la sécurité publique, en dirigeant plusieurs commissariats d’arrondissement (Médina – Parcelles Assainies – Point E…), mais aussi dans la sécurité frontalière (commissariat spécial du Port, commissariat spécial de l’Aibd), est officiellement promu, lundi dernier, à ce poste.
Ces griefs et manquements déplorés
Unanimement, l’irruption soudainement de l’activiste Guy M. Sagna et Cie devant les grilles du Palais est le summum d’une série d’impairs relevés, pour expliquer «ce dangereux précédent». Ces images fortes, montrant des membres de la plate-forme Frapp-France dégage, «poster» héroïquement devant les grilles du Palais de la République, au milieu d’une poignée d’éléments des forces de l’ordre et de journalistes, est l’expression d’une certaine «cassure» notée dans la stratégie de sécurité du centre-ville. Un manquement qui sera aussi imputé au commissaire Ndour, censé imprimer les contours de la ceinture de sécurité aussi bien du centre-ville que du Palais de la République. Selon des informations de «L’Obs», «nombreux sont ceux-là qui n’ont pas compris que le central Ndour, nouvellement arrivée, n’ait pas reconduit la méthode de son prédécesseur, le commissaire Ndiarra Sène, en matière de service de maintien de l’ordre. Cette méthode qui a consisté à occuper systématiquement les différents axes stratégiques menant au centre-ville, par des dispositifs variés de check-point, barrages, patrouilles dissuasives et autres infiltrations. Une disposition qui a permis de contenir à la lisière du centre des affaires et bien loin du périmètre du Palais présidentiel, les manifestations les plus redoutées de l’époque.
Autre grief décelé, la «passivité» du premier rideau sécuritaire posté constamment aux abords de l’entrée principal du Palais. Un premier rideau qui avait permis d’étouffer des velléités de manifestations devant le Palais. Le dernier cas spectaculaire en date remonte au 4 novembre 2018, avec l’interception à distance raisonnable, du jeune Cheikh Tidiane Diop qui voulait s’immoler devant les grilles du Palais. Curieusement, le 27 novembre dernier, Guy Marius Sagna et Cie ont pu franchir ce premier rideau, se payant le luxe de «poster» devant les grilles du Palais, au grand dam des «gardes rouges», contraints de jouer des coudes pour stopper les «assaillants».
Au nombre des manquements relevés par nos sources, figure aussi le renseignement. Comment Guy Marius Sagna et ses camarades ont pu, ce jour, faire tout ce trajet, jusque dans le périmètre du Palais, sans qu’aucun renseignement ne puisse alerter sur leur intention et sa mise en œuvre ? En sus du renseignement, notent nos interlocuteurs, «la surveillance des artères publiques, via des caméras adaptées aurait permis d’alerter et d’anticiper».