Des imams de la région lyonnaise ont choisi d’évoquer le génocide des Rohingyas en Birmanie dans leur prêche du vendredi 8 septembre.
Manifestations de soutien, dons, mais aussi appel aux politiques… La communauté musulmane exprime son soutien, et accuse les médias et la communauté internationale de se désintéresser de ces victimes « musulmanes ».
Une famille Rohingya atteint la frontière du Bangladesh, mardi 5 septembre 2017. / Bernat Armangue/AP
Dans plusieurs mosquées de la région lyonnaise, le prêche sera consacré au « génocide des Rohingyas en Birmanie », lors de la prière, vendredi 8 septembre.
« En onze jours selon l’ONU, plus de 130 000 Rohingyas sont allés se réfugier au Bangladesh ou se trouvent déjà plus de 400 000. (…) C’est comme si on avait forcé à l’exil tous les habitants de Lyon et Villeurbanne à la fois », écrivent les signataires de cet appel lancé à tous les imams de France, conduits par Kamel Kabtane, le recteur de la grande mosquée de Lyon, Azzedine Gaci, recteur de celle de Villeurbanne, et Abdelkader Bendidi, président du Conseil régional du culte musulman.
« Pour la simple raison qu’elle est musulmane »
D’autant qu’aux déplacements de population s’ajoutent « les massacres massifs, viols, infanticides » en cours. Autrement dit « l’extermination méthodique de toute une population pour la simple raison qu’elle est musulmane », n’hésitent pas à affirmer les imams.
En quelques jours, la mobilisation pour la cause des Rohingyas en Birmanie a pris comme une traînée de poudre au sein de la communauté musulmane, en France comme à l’étranger. Les photos des violences en cours depuis la fin août dans l’Etat de Rakhine, région située à l’ouest du pays et secouée depuis plusieurs années par de fortes tensions entre musulmans rohingyas et bouddhistes, ont circulé.
L’émotion très vive qu’elles ont suscitée s’est rapidement propagée, déclenchant finalement des réactions officielles.
Autorités françaises et internationales
Le 6 septembre, le Rassemblement des musulmans de France (proche du Maroc) a exhorté dans un communiqué « les autorités françaises et internationales à agir au plus vite et avec la plus grande vigueur pour faire cesser l’extermination de populations civiles ». « L’Union européenne devrait également se mobiliser pour obtenir l’arrêt immédiat de cette violence aveugle et œuvrer pour la préservation de la dignité humaine pour ces populations meurtries », estime aussi son président Anouar Kbibech.
« Horrifiée par cette barbarie abjecte », l’Union des mosquées de France (proche du Maroc elle aussi) s’est insurgée le même jour contre « le déferlement de la haine et de la barbarie » contre ce peuple qu’elle considère comme « le plus persécuté du monde »
Marches de protestations et appels à la solidarité
Dans plusieurs pays, des marches de solidarité ou de protestation ont été organisées. En Indonésie, environ 4000 musulmans ont répondu à l’appel d’organisations islamistes et manifesté mercredi devant l’ambassade de Birmanie à Jakarta pour exiger la fin des violences.
A Moscou mais aussi dans le Caucase, d’autres rassemblements de musulmans ont également lieu, rapporte Le Courrier de Russie. Par ses messages de soutien aux victimes – « simplement parce qu’ils sont Rohingya et musulmans » – le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, semble avoir contribué à la mobilisation.
Nombreux sont les fidèles ou les responsables musulmans à relayer les appels à la solidarité des ONG islamiques. Sur le site Internet de Human Appeal, les Rohingyas sont en tête des causes à soutenir, devant la Syrie, la Palestine ou le Yemen : l’association propose de financer un kit d’urgence pour une famille (130 €) ou un colis alimentaire pour un mois (90 €).
Nombreuses critiques
Les critiques les plus vives sont émises contre Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix qui a déploré un « iceberg de désinformation » sur le sujet.
Les médias, et plus largement de la communauté internationale, sont très largement accusés de se désintéresser du sujet.
« Il faut se rendre à l’évidence, la vie des Noirs, des Arabes et des musulmans à moins de valeur que la vie des autres désormais », a écrit le 5 septembre sur son compte Facebook l’intellectuel et militant Tariq Ramadan. « Le silence qui accompagne massacre des #Rohingya en dit long sur les colères sélectives de la « communauté internationale » dont le cœur ne bat plus qu’au rythme des indignations sélectives et orchestrées des US, de l’Europe et des grandes puissances ». Le post a été partagé plus de 7000 fois et approuvé par plus de 15 000 internautes.
Eviter tout amalgame
Mais d’autres voix s’élèvent, plaidant pour une solidarité moins sélective, ou en tout cas ne versant pas dans le dénigrement.
Dans son communiqué, l’Union des mosquées de France appelle par exemple «à rester vigilant quant aux images relayées et aux expressions utilisées afin d’éviter tout amalgame ou confusion avec l’immense majorité des bouddhistes et des valeurs que prône le bouddhisme ».
Certains groupes actifs sur la Toile pour déconstruire le discours musulman extrémiste – comme Radio Hihi – se sont eux aussi emparés de la question. Certains de leurs membres soulignent les liens qu’entretiennent l’Arabie Saoudite et les rebelles rohingyas.
« Une instrumentalisation de ce conflit par certaines puissances va forcément aggraver la situation. Avec l’Arabie qui rentre en jeu, la confessionnalisation du conflit va s’accroître avec des conséquences au-delà même des frontières de la Birmanie… », analyse l’un d’eux. « Le sens de la nuance… sera la clé de voûte d’une lecture juste (des événements) ! », reconnaît un autre, qui ne souhaite pas pour autant « faire une croix sur la cause ».