L’Organisation de commerce et de développement (OCDE) a publié, ce mardi, les chiffres de l’aide publique au développement (APD). Jamais elle n’avait atteint un tel sommet. Plus de 134 milliards d’euros en 2016. L’engagement des 29 pays du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE a doublé depuis 2000. Mais alors que les dépenses consacrées aux réfugiés dans les pays donneurs continuent de croître, le développement de pays les moins avancés semble délaissé. Michael Siegel, chargé de plaidoyer APD et financement du développement chez Oxfam France, regrette une perte de sens de l’engagement public, en particulier pour la France.
L’aide publique au développement n’avait jamais été aussi élevée. Peut-on considérer que l’engagement des Etats s’est accru ?
Ces chiffres sont assez trompeurs. Les pays donneurs gonflent artificiellement leur flux d’aide avec les coûts d’accueil des réfugiés. Ils comptabilisent par exemple les frais administratifs ou de rapatriement. Il y a une perte de sens sur ce qu’est l’aide au développement. Elle doit davantage venir renforcer la fiscalité des pays du Sud. Il faut leur donner les moyens de mobiliser eux-mêmes les ressources nécessaires pour financer leurs services sociaux. Cela a été une grande priorité de la conférence d’Addis-Abeba en juillet 2015. Mais on constate que les efforts restent à être fournis pour prélever l’impôt et lutter contre l’évasion fiscale. Il faut aussi que les Etats s’engagent davantage du côté de la société civile, la soutiennent, pour qu’elle soit en mesure de demander des comptes à ses dirigeants.
La France a consacré 0,38% de son revenu national brut (RNB) à l’APD. L’engagement est-il suffisant ?
C’est bien en dessous de l’objectif de 0,7% de richesse nationale fixé en 1970 par les Nations unies, mais en dessous également des 0,41% annoncé dans la loi de finances de 2017. La France est la cinquième puissance économique mondiale mais se retrouve à la douzième place des contributeurs d’aide en proportion de son revenu national brut. L’aide française a été amputée de 2,4 milliards d’euros durant le quinquennat de François Hollande. Il y a un manque manifeste de volonté politique. Il faut prendre exemple sur le Royaume-Uni qui depuis 2013 a inscrit la loi l’objectif de contribution de 0,7% de sa richesse nationale.
Et en termes de qualité, on constate que seulement un cinquième de l’aide française va vers les pays les plus pauvres. On privilégie une aide sous forme de prêts aux pays solvables plutôt que de faire des subventions vers les secteurs sociaux de base comme la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement dans les pays les plus pauvres. En plus du budget général de l’Etat, il faudrait avoir des financements innovants, comme la taxe sur les transactions financières, la taxe sur les billets d’avion et la lutte contre l’évasion fiscale. Rien que cette dernière pourrait rapporter entre 60 et 80 milliards d’euros par an.
A deux semaines de l’élection présidentielle, quelle place tient l’aide publique au développement dans le débat politique ?
La solidarité internationale est la grande absente des débats télévisés pendant cette élection présidentielle. Des ONG ont pourtant organisé des conférences, mais les candidats ne sont jamais venus et ont préféré envoyer leurs représentants. Seuls Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon se sont engagés à atteindre l’objectif de 0,7% d’ici la fin du prochain quinquennat. Pour Emmanuel Macron, il faudrait attendre 2030. Mais le plus inquiétant est de voir un candidat comme François Fillon qui veut mettre l’APD au service des intérêts sécuritaires et migratoires de la France. On sait quels peuvent être les dangers du repli nationaliste avec Donald Trump qui, une fois devenu président, a coupé les financements américains sur la santé sexuelle et reproductive. Et à deux semaines de l’élection présidentielle, on espère que la France ne viendra pas confirmer cette tendance.
Sources Libération – Liberation.fr